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Être désespéré mais avec élégance

Être désespéré mais avec élégance

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Pourquoi cette ligne de fracture. Pourquoi ces amis avec qui l’on partage les mêmes gouts musicaux, jusqu’aux plus obscurs ou inavouables, vous regardent avec un amical dégoût quand vous vous sentez suffisamment en confiance pour leur avouer votre passion pour Brel et les émotions que suscitent ses mots et mélodies.

Ecartons d’emblée la piste mélodique. Elle ne peut pas être mise en cause car autrement comment expliquer que tant d’artistes anglophones majeurs de Scott Walker à David Bowie (1) en passant par Nina Simone, Divine Comedy ou Marc Almond se soient approprié sa musique. C’est comme si, pour rester dans le chanteur belge, Plastic Bertrand avait été repris par The Clash ou Annie Cordy par Patty Smith.

Donc si la musique n’est pas en cause il faut aller chercher du côté des paroles. Chez Brel elles sont souvent synonymes d’échecs, d’amours contrariés, de bassesses, de petites lâchetés du quotidien avec néanmoins quelques fulgurances lumineuses et heureuses qui permettent opportunément d’équilibrer l’ensemble et d’éviter l’overdose. Chez Brel on ne « patauge pas dans le poisseux » et le secret réside dans cette ligne de crête permanente entre l’incarnation et le détachement, le drame et la comédie, la passion et la bagatelle, la froide humidité d’Amsterdam et la chaleur radieuse des Marquises, Ne me quitte pas et Les remparts de Varsovie.
Il faut donc avoir cette vue d’ensemble pour apprécier l’œuvre et c’est probablement ce qui manque à ces amis qui n’en voient que la face grotesque et larmoyante.
A leur décharge il faut dire que Brel en faisait des tonnes et incarnait ses chansons sans distance, sans surmoi. Il vomissait ses faiblesses, il suintait ses peurs par tous ses pores et postillonnait ses trahisons sans calcul et sans se soucier de l’image de médiocrité qu’il renvoyait à une époque où les Hommes étaient encore formatés pour n’être que forts et dominants.
Il se raconte même qu’Edith Piaf, qui pourtant n’était pas avare de pathos sur scène, disait après avoir vu Brel chanter sur scène: « Un homme ne devrait pas chanter comme cela ». C’est dire s’il avait mis la barre très haut en la matière et si son geste était révolutionnaire. 

C’est pour conclure en cela que Brel est moderne car il préfigure l’Homme occidental du XXIème siècle. Une sorte d’Adam chassé de son paradis patriarcal dont il était la figure centrale. Il est maintenant condamné à errer dans un monde dans lequel il est parfois tout juste toléré, dont il ne comprend plus les codes et où il ne sait plus quel est son rôle. Mais finalement c’est bien là que réside l’intérêt de l’aventure, prendre une route nouvelle jamais explorée où la sensibilité, l’improvisation et l’intelligence complètent, sans forcément les opposer, les traditions et les règles ancestrales.

(1) Admiration non partagée car il se raconte que lors d’une visite à Paris, David Bowie avait souhaité rencontrer Jacques Brel. Ce dernier refusa la rencontre en disant « Comment un pédé pareil peut-il croire que j’aurai envie de le voir ». Comme quoi, n’en déplaise à certains, même les plus grands ont leur part d’ombre.


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