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Greg Reynaert, L'homme d'un autre endroit

Greg Reynaert, L'homme d'un autre endroit

Par  
Propos recueillis par Maximilien Friche

Greg Reynaert s’est lancé dans une carrière professionnelle de saxophoniste à la fin des années 90 en multipliant les projets musicaux, et notamment avec la création du groupe de jazz fusion ELIJAH. En 2011, il décide de créer son propre univers musical, par le biais d'une rencontre avec l’écrivain Aurélien Lemant. Son premier album solo, «L'homme d'un autre endroit», vient de sortir. Aurélien Lemant y signe les textes et lui compose et interprète les titres.

Avec une voix voilée à la Daniel Darc, Greg Reynaert propose un blues chaleureux, où la gravité devient une option. Les textes ne s’imposent pas, la voix ne nous matraque pas, à nous de cueillir les mots au creux d’une écoute, au hasard d’une attention portée. A nous de dérouler la pelote une fois l’aphorisme poétique saisi. A nous de reconstruire avec ampleur. Ce qui paraissait tendrement ténébreux et parfois anodin devient d’un coup vertigineux. Il y a une véritable élégance dans la musique et l’interprétation de Greg Reynaert, il a produit un arrangement précis pour installer confortablement le texte. Et nous sommes à l’écoute de l’album comme en ballade le dimanche après midi, une ballade depuis son fauteuil club, aux accoudoirs bien hauts, on écoute le blues, on entend alunissons, alunissons. Oui, nous aussi nous sommes à l’uni son.

Greg Reynaert et Aurélien Lemant ont accepté de répondre aux questions de MN.

 

MN : Le rythme et le ton sont-ils suggérés par les mots ?

Greg Reynart : Pour être plus succinct, je dirais qu'ils sont suggérés par le sens que l'on veut bien donner aux mots. En effet, le sens d'un texte diffère en fonction du "ressenti" de chacun. Ainsi, la musique que je compose sur les textes d'Aurélien n'est autre que le reflet de mon propre ressenti, que je matérialise par la musique que je leur associe. La difficulté pour le compositeur est d'aller dans le même sens que l'auteur, afin de percevoir un ressenti commun, tout en respectant sa propre vision de l'œuvre. C'est à dire que l'auteur et le compositeur, même avec leurs différences, doivent faire preuve de complémentarité pour les amener, naturellement, dans la même direction ; et c'est justement cette convergence qui créera un univers artistique commun aux deux protagonistes. Le problème est qu'il est souvent très difficile de trouver son "alter-ego" … sauf pour moi ! Aurélien était une évidence …

 

MN : La musique est-elle un véhicule dans la chanson, pour que les mots voyagent avec élégance, efficacité, force… ou au contraire les mots sont-ils des révélateurs de ce qui est contenu dans la musique, une traduction de ce code ?

G.R : Je dirais les deux à la fois puisque, grâce aux mots et à la musique, se crée un univers propre à l'auteur et au compositeur. De plus, ayant la chance d'être interprète, je suis en quelque sorte à la fois le porte-parole et le réceptionniste de cet univers commun, y recevant donc les auditeurs. Selon moi, le mot le plus important dans la création commune d'un univers, est la cohérence. Et c'est justement cette cohérence qui fait en sorte que les éléments rebondissent les uns sur les autres… la musique met en valeur les textes, qui mettent en valeur la musique … La boucle est bouclée ! … Le cercle est la figure géométrique même de la cohérence ! … non ?

 

MN : Votre blues n'est pas ténébreux, il nous ballade dans un flirt avec la gravité sans en avoir l'air. On rentre dans l'album de façon anodine, vous vous installez dans le décor, et tout à coup, on prend conscience que l'on a été piégé. Est-ce cela la chanson ? Faire semblant de ne pas toucher à la profondeur pour y amener l'autre ?

G.R : La chanson, selon moi, n'est pas un piège. Elle n'a de valeur que si elle permet à l'auditeur de s'évader de sa "conscience cartésienne", vers de lointaines contrées où baigne son "inconscient culturel". Qui ne s'est jamais pris un jour pour Jimi Hendrix, dans sa chambre d'ado, en train "d'imiter" le maître, dans l'un de ses solos endiablés ? A cet instant précis, vous êtes Jimi Hendrix ! Alors oui, la chanson vous permet de voyager à travers les temps, les corps et les espaces, au gré de l'imagination qu'elle vous procure ! Est-ce un piège pour autant ? Je ne le pense pas puisque vous êtes libre d'être qui vous voulez être, où et quand vous le voulez …

 

MN : Aurélien, de votre côté, comment s'est faite l'écriture de ces textes ?

Aurélien Lemant : Si je savais. J'entends toujours les gens dissocier inspiration et travail. Mais c'est comme opposer le sel et le poivre. Quand vient l'élan poétique, je le travaille, c'est aussi simple que ça. Les techniciens qui croient au labeur pour le labeur, sans y insuffler d'esprit, sont des besogneux. Ce n'est pas un reproche, c'est leur malédiction. A l'inverse, on ne peut pas passer sa vie à attendre l'illumination, il faut la provoquer, créer les conditions de sa venue. Les conditions, ici, c'était la présence de Grégory. Quelqu'un attendait mes poèmes pour les mettre en chansons. Je n'aime rien au monde davantage que la musique ; le reste, pour moi, est du bonus sur un DVD. Cela suffisait à ce que je me mette sous la bonne pression. A chaque instant son projet. Quand un texte demandait à jaillir, je l'aidais à accoucher. Je suis une sage-femme.

 

MN : Étaient-ils écrits avant d'avoir trouver leur musicien ?

A.L : A l'exception des deux textes en anglais, The Playmobil et Gingerbread Man, qui datent du lycée (1993-94, respectivement) et d'un autre inédit que nous n'avons pas retenu, tout a été rédigé en pensant à Grégory : son personnage, sa voix, les mondes dans lesquels je m'imaginais le faire évoluer tout au long du disque. Avant Greg, ma poésie rimée ne s'écrivait pratiquement qu'en anglais, langue et patrie du rock. C'est notre duo, arrivé soudainement et sans chercher à comprendre, qui m'a autorisé à écrire aussi (et surtout) en français pour ce médium qu'est la pop.

 

MN : Aviez-vous eu une commande de Grégory, vous orientant sur un thème ?

A.L : J'ai un problème avec les commandes. Ça ne vient pas de mon cœur ? Il faudra patienter le temps que ça y parvienne, alors. Vous feriez aussi bien d'apprendre à compter les battements d'ailes d'un oiseau-mouche. Ça peut durer longtemps. A mi-chemin de l'écriture des titres de L'Homme d'un autre endroit, Grégory m'avait soumis deux thématiques qui l'animent tout particulièrement. L'une d'entre elles recouvrait un caractère beaucoup trop social pour moi. Je ne suis pas taillé pour poser de soi-disant grandes causes sur le papier, et ces chansons, écrites par d'autres, ne sont pas taillées pour moi, non plus. Ça passe chez moi par un autre canal : je fais des chansons qui racontent un état, j'écris des déclarations d'amour ou de mélancolie, des descriptions de l'Enfer ou des effets d'un lilas sur mon âme. On ne me demandera pas de sortir « Mon fils, ma bataille 2 ». C'est la différence fondamentale entre la variété et la pop, je suppose. La pop est résolument du côté de la poésie, pas de celui des bons sentiments. Au dos du premier vinyle de Leonard Cohen, en 1966, William David Sherman remarquait à son sujet que « La seule politique est la politique de l'amour ». Et on aime beaucoup Cohen, tous les deux. En revanche, l'autre demande de Greg le touchait, lui, d'une manière si émouvante et précise que je veux un jour donner sa chance à ce texte. A chaque instant son projet, comme je le disais tout à l'heure.

 

MN : Y-a-t-il une différence, de forme ou de nature, entre l'écriture d'un poème et d'une chanson ?

A.L : Je ne sais pas. Je ne crois pas. La musique est partout. Cependant, écrivant consciemment pour une future chanson, tu as tendance à aller plus naturellement vers le vers rimé. J'écris beaucoup par octosyllabes et plus encore en alexandrins avec césure à l'hémistiche, ayant tellement joué Corneille ou Racine – j'ai Andromaque dans la tête en permanence. Le théâtre, c'est d'abord de la poésie, plutôt que du spectacle. Comme la musique. Sur le prochain album, que l'on commence déjà à travailler, Greg m'encourage à lui donner des alexandrins. On a besoin d'une contrainte pour exercer une parfaite liberté. Et, j'ajoute, pour doubler le plaisir. La nôtre, de contrainte, c'est le nombre de pieds à respecter. Avec la rime en bout de vers, on sait où l'on va, mais pas forcément d'où l'on part. Chaque mot nouveau ouvre des millions de portes, tout en réduisant le nombre de couloirs à emprunter.

 

MN : Récitez-vous ces chansons, les dites-vous à haute voix et sans musique ?

A.L : Oui. D'abord par goût, parce que je lis absolument tout à haute voix. Ensuite par transformation de ce goût en discipline de comédien : ça rentre mieux dans le corps et les gestes en le disant ainsi. Pour en éprouver la musicalité et la validité du sens. L'autonomie.

MN : Qu'est-ce que change la musique, qu'est-ce qu'elle ajoute (ou retire) aux mots ?

A.L : Elle apporte d'abord une interprétation, parce qu'un texte en musique implique un chanteur. Une interprétation, dans les deux acceptions du terme : un sentiment et une signification. Et donc un certain nombre de choix. On pourrait par exemple chanter Ma Nuit Avec La Femme-Serpent de mille façons, et plus d'une sonnerait juste, j'imagine. Celle de Grégory implique un recueillement, une absence de pause. Ensuite, sa mélodie, le tempo qu'il a choisi, les arrangements du morceau, racontent quelque chose. La guitare est un second personnage, le double du chanteur. La basse produit un paysage. Les claviers, la batterie offrent des péripéties. C'est un disque coloré et narratif. J'ai besoin de ça.

Plus d’informations ici : http://www.gregreynaert.com/


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