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Bac : il ne s’est rien passé au mois de juin dernier…

Bac : il ne s’est rien passé au mois de juin dernier…

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Il ne s’est rien passé au mois de juin dernier.

Mais n’avez-vous pas entendu comme une rumeur ?

Sanitaire, médiatique et technocrate – c’est tout un : la « gouvernance » consiste à tout polir. Dans un paysage virtuel aussi lisse, les anomalies, les aspérités, les crevasses n’existent guère. Plutôt : elles n’existent pas car elles ne doivent pas exister. C’est l’ère du post-politique ; se faire entendre et débattre, un fantasme de l’ancien monde. Si vous croyez en être, vous n’avez rien compris : vous n’avez pas compris que la discussion n’a pas lieu, que votre parole n’est d’aucun poids, depuis que l’Algorithme et la Statistique sont meilleurs juges que vous. C’est justement ce que ce mois de juin m’a fait comprendre un peu mieux.

En prenant part à l’indignation devant ce qu’on appelle encore « le bac », j’ai vu combien le virtuel et le réel ne parlaient pas la même langue. Nous sommes allés en nombre dire cette indignation à ceux dont nous dépendons sans les connaître – agents du Rectorat –, les 17 et 29 du mois de juin dernier.

Il y a bien eu une audience ! – instructive d’ailleurs : nous les voyions enfin ; c’étaient bien des personnes. « Enseigner » n’avait simplement pas le même sens pour eux que pour nous.

Nous, je veux dire : quelques enseignants, d’horizons très divers, devant le « monstre froid ». (Comme il s’agit d’une personne fictive, dont les entrailles sont tout aussi fictives, nous n’en attendions pas de miséricorde.)

Individuellement pris, les agents en question sont bien doués d’affects, de pensée. Mais la Machine à laquelle ils se vouent ne pense pas : elle calcule ; elle n’est point affectée : elle traite.

Si nous n’étions qu’un échantillon de la corporation, nous avions des entrailles quant à nous ; nous n’avions presque que cela.

On invoquera pêle-mêle : Responsabilité, Conscience professionnelle, Souci des élèves… que nous eussions abandonnés pour une révolte de carnaval ! (Une telle opinion n’est pas rare, je le sais.) Or c’est précisément ce qui nous poussait hors de chez nous.

Entre autres motifs, nous refusions la numérisation totale. Le « socius » est plus que menacé par elle – et c’est sans doute la plus grande utilité qu’on lui trouve. Nous pouvions assentir à ces méthodes nouvelles, et, de la sorte, rester chez nous, dans nos pénates, puisqu’elles nous atomisent, comme il en va de tant d’autres métiers.

Mais c’est quand le socius est en péril qu’on sent le mieux l’urgence de le faire être. Prenant soudain conscience de sa mortalité, le Nous s’est réveillé.

Début juillet je me suis pris à rêver d’un autre monde, où chaque métier aurait son Nous, son Moi, pour parler du réel – plus qu’aucun député : une politique de corporations plutôt que de partis.

Condamné à la rêverie, j’ai ouvert l’opuscule : Note sur la suppression générale des partis politiques1. Toutefois j’y trouve encore quelque chose d’impossible. A moins d’en faire une idée platonicienne ou de s’en remettre à l’ange protecteur de la France, de quoi notre nation est-elle faite sinon de ces corporations qui sont ses membres, ses organes, ses tripes ?

Nietzsche aurait pu l’ajouter à son pamphlet contre « la nouvelle idole »2, l’Etat post-moderne n’a pas de tripes, mais il a mieux : des machines, et des agents de ces machines (qui se transforment eux-mêmes en machines à leur tour). En prétendant être quelqu’un, l’Etat n’est plus personne. Il n’est donc plus responsable – de rien.

Mais je retiens ceci, un constat positif, un vrai motif d’espoir, non d’idéologie : c’est qu’un corps de métier bien conscient de lui-même, c’est vraiment quelque chose ! Et c’est vraiment quelqu’un.

 Notes

  1. Simone Weil (texte extrait des Ecrits de Londres).
  2. Ainsi parlait Zarathoustra, I, 11e discours.

Quelques documents pour en savoir plus :


Philippe de Gaulle est mort et plus rien n’est gaullien
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Appel du 18 juin 2014 (contre LGBT)
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Urgence et tragédie
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