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Chronique du pays réel – Au Flore…

Chronique du pays réel – Au Flore…

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Chronique du pays réel – Au Flore on s'inquiète beaucoup du vote le Pen

Deux types s'assoient sur une banquette du « Flore » bien au centre de l'établissement. Ils ont une barbe soigneusement taillée, une petite chemisette blanche à manches courtes, un petit « panama » blanc sur leurs crânes un tout petit peu dégarnis et des petites lunettes noires accrochées aux cols. Ils ont la mine grave, l'heure n'est pas à la fête. Le premier à poser son séant sur le cuir rouge soupire bruyamment en hochant la tête. Le deuxième écarquille un peu les yeux, il souffre,

il est angoissé le pauvre.

Il demande tout en rangeant dans une pochette spéciale en cuir blanc les écouteurs de son « smartphone », un de ces gadget coûtant trop cher du fait de la pomme dessinée dessus :

- Tu as vu les derniers sondages ? La Le Pen elle reste bien devant tous les autres et elle est là au second tour ! Moi ça m'inquiète drôlement ! Pas toi ? Si ça se trouve l'année prochaine on sera plus là pour en parler.

- Si, bien sûr, répond le second tout en faisant un geste autoritaire afin de faire venir le serveur à leur table. Mais les gens, on les prévient pourtant. Si il y a une dictature l'année prochaine ce sera de leur faute, ils se rendent pas compte ! Moi ça me rappelle quand on a étudié les heures les plus sombres de notre histoire quand on était à « Sciences Po ».

- Tu te souviens, c'est là qu'on s'est connus, et c'est après ce cours qu'on a « conclu » dit le premier en avançant la main gentiment vers celle de son voisin de banquette qui pique un fard rosé.

Le serveur s'avance. Les deux hommes demandent presque en chœur un mille-feuilles (10,50 Euros) et un « petit » café (4,30) chacun. Le loufiat s'en retourne sans leur faire l'aumône d'un regard, il échange un clin d'œil avec un de ses collègues au « zinc ». Les deux amateurs de pâtisserie se sont pris romantiquement les mains au-dessus de leur table. Ils se sourient tendrement.

L'un des deux, le plus anxieux reprend :

- Tu te rends compte ? Si ça se trouve la Le Pen elle abrogera la loi Taubira !

- Mais, non essaie de le rassurer l'autre, il y a plein d'homosexuels autour d'elle, il paraît. Mais enfin bon, moi personnellement, Philippot c'est pas ma « tasse de thé » ! rejoute-t-il en pouffant derrière sa main délicatement en éventail devant sa bouche ourlée.

- On aura plus qu'à prendre nos cartes au FN ! Mais je pense qu'ils ne voudront pas de nous, ils doivent préférer les « pédés cuir » à mon avis. C'est pas tellement notre genre. Nous on aime bien la douceur, susurre-t-il allusif. Et puis c'est chiant quand même on va devoir voter Juppé alors qu'on a défilé contre lui en 95.

- C'est sûr lui répond son amoureux, mais moi je crois qu'il y a quand même trop de beaufs qui ont le droit de vote, c'est pas normal. On devrait passer un genre de brevet d'électeur. Ce serait un petit diplôme et ça favoriserait les gens qui ont fait des études, qui ont quand même un peu de culture. Ou alors les électeurs ils paieraient une petite inscription, comme ça on ferait le tri.

Dehors le temps se couvre subitement, des nuages cachent le soleil. Je crois comprendre que pour eux cela ressemble à un présage funeste du deuxième tour des présidentielles. Ils se reprennent les mains, se les serrent convulsivement. Ils sont quand même de gauche, quoi ! Ces pauvres sont vraiment des ingrats, des ploucs qui ne les écoutent plus, des franchouillards qui ne veulent pas de leur expertise dans les arts.


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