Clovis, Roi des Francs
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Enfance de Clovis (466-481)
La chronologie du règne de Clovis est très mal connue. En effet, l'essentiel de ce que nous en savons provient des quinze courts chapitres du livre II de L’Histoire des Francs, rédigés à la fin du VIème siècle par Grégoire de Tours, né près de trente ans après la mort de Clovis. Les historiens ont longtemps pensé que ce texte relevait plus de l'hagiographie que de l'Histoire puisque la narration des événements suit un découpage par tranches de cinq années (guerre contre Syagrius après cinq années de règne, quinze pour la guerre contre les Alamans, guerre contre les Wisigoths cinq années avant sa mort ; au total, un règne de trente ans après un avènement à l'âge de quinze ans), mais aucune étude n'a jamais fondamentalement remis en cause ces indications, qui, selon toute vraisemblance, sont légèrement simplifiées, mais restent valables « à peu de chose près ». La seule date fixée par d'autres sources que Grégoire est celle de sa mort, en 511, ce qui daterait son avènement en 481, peut-être en 482.
Clovis est né l'année 466, dans la lignée mérovingienne. Il est le fils de Childéric Ier, roi des Francs saliens de Tournai, et de la reine Basine de Thuringe. Il a 3 sœurs :
- Alboflède ou Albofledis, baptisée en même temps que lui, qui devient religieuse mais meurt peu après ;
- Lantilde ou Landechildis, mentionnée brièvement par Grégoire de Tours quand elle aussi est baptisée en même temps que son frère ;
- Audoflède ou Audofledis, que Clovis marie en 495 à Théodoric le Grand, roi des Ostrogoths d'Italie.
Concernant son enfance, les historiens ne peuvent que formuler des hypothèses en se référant aux coutumes de son siècle. Clovis est probablement né à Tournai, puisque son père, exerçant des fonctions administratives, devait résider dans une ou plusieurs cités de Belgique seconde et occuper le palais attribué à l’attention des gouverneurs romains. Il a reçu, selon les coutumes germaniques, une sorte de baptême païen au cours duquel son parrain le nomme Chlodowig, que l’on peut traduire par « illustre dans la bataille » ou « combat de gloire ». Son prénom dérive ensuite vers « Hlodovic » puis « Clodovic » qui, latinisé en Chlodovechus, donne Chlodweg, Hlodovicus, Lodoys, Ludovic, « Clovis » et « Clouis », dont est né en français moderne le prénom Louis, porté par dix-huit rois de France. Son éducation débute dans la partie de la résidence réservée aux femmes, le gynécée puis, vers six ou sept ans, son père prend en charge son éducation en lui offrant un casque de fer, un bouclier et un scramasaxe utilisé pour la parade. Bien que sa majorité est fixée à douze ans, il ne lui est pas possible de combattre avant l'âge de quinze ans. Il reçoit une instruction basée sur la guerre faite d’activités sportives, d’équitation et de chasse. Il parle le francique, et devant succéder à son père à la tête d’une province romaine, il apprend le latin. Il n’est cependant pas possible de prouver qu’il ait su lire et écrire. Il dut aussi se voir enseigner l’histoire de son peuple.
État de la Gaule à l’avènement de Clovis (481)
À la mort de son père en 481 ou 482, Clovis hérite d'un royaume qui correspond à la Belgique seconde (à peu près la région de Tournai en actuelle Belgique), petite province située entre la mer du Nord, l'Escaut et le Cambrésis, soit un territoire allant de Reims jusqu'à Amiens et Boulogne, à l'exception de la région de Soissons qui est contrôlée par Syagrius ; à noter que le royaume est situé dans la partie la plus froide, la plus inculte et la moins fertile des Gaules.
Les Francs saliens (en jaune) et rhénans ou ripuaires (en orangé) dans la première moitié du Vème siècle
Lorsque Clovis est élevé sur le pavois, on compte plusieurs entités rivales :
- les Francs, eux-mêmes divisés en plusieurs branches dirigées par des chefs qui sont des parents de Clovis et qui cohabitent sur le territoire qui s’étend de Tournai au Rhin ;
- les Romains qui contrôlent une enclave gallo-romaine entre Meuse et Loire, dernier fragment de l'Empire romain d'Occident ;
- les Wisigoths qui occupent les belles contrées situées entre la Loire et les Pyrénées, et qui ont subjugué la plus grande partie de l’Espagne ;
- les Burgondes au sud-est, possèdent toute la portion que baigne le Rhône et ses affluents ;
- les Alamans situés dans la région alsacienne ;
- les Bretons, qui avaient obtenu leur indépendance depuis plusieurs décennies.
Hors des frontières de Gaule, on compte :
- les Hérules en Italie, vaincus par les Ostrogoths en 493) ;
- les Angles et les Saxons qui ont conquis l’actuelle Angleterre ;
- l’Empire d’Orient, qui, bien que n’ayant guère les moyens d’intervenir en Gaule, conserve une importante valeur symbolique.
Clovis, qui n’est alors âgé que de 15 ans, prend la tête du royaume franc salien. Le titre de « roi » n'est pas nouveau chez les Francs car celui-ci est dévolu aux chefs de guerre des nations barbares au service de Rome.
Toute sa vie, Clovis s'efforcera d'agrandir le territoire de son royaume mais, en fin stratège, il se garde bien d’attaquer tout de suite ses parents saliens ; il va plutôt choisir de s’en faire des alliés pour entreprendre ses premières conquêtes. De même, en épousant une princesse rhénane en premières noces, Clovis s’assure également la paix avec les Francs Ripuaires. Cette union avec une épouse dite de « second rang », dont naît un fils, Thierry, est vue comme un « gage de paix » puisqu’elle assure la paix entre Francs rhénans et saliens, permettant ainsi à Clovis de tourner ses ambitions vers le Sud.
Clovis contre le royaume des Romains (486)
A partir de 486, Clovis, alors âgé de 20 ans, mène l'offensive vers le sud. Il livre une première bataille à Soissons, contre Syagrius, dans le but de s’approprier son royaume. Syagrius, fils du célèbre Aétius, adoré des Romains, respecté des barbares par sa justice et sa grandeur d’âme, accepte le défi hostile de Clovis qui, dans un langage déjà chevaleresque, lui avait fait dire de fixer le jour et le lieu de la bataille. Celui-ci se déroulera près de l’église de Nogent, à six lieues de Soissons. Clovis, à la tête de 6 000 hommes et assisté de son cousin, Ragnacaire, roi de Cambrai et propriétaire du territoire sur lequel il était obligé de passer, marche contre Syagrius qui, non soutenu par les Romains, fuit à Toulouse où il trouve asile auprès du roi des Wisigoths, Alaric, fils du puissant Euric. Celui-ci n’hésite pourtant pas à le livrer à Clovis l'année suivante. Le chef gallo-romain est alors discrètement égorgé.
Alaric livre Syagrius à Clovis
En dépit de la victoire de Clovis, les Gallo-Romains refusent de se soumettre aux Francs et continuent à se battre pendant une dizaine d’années, à l’image des Parisiens, auxquels les premières conquêtes des Francs avaient fait éprouver une longue disette dont ils ne furent soulagés que par le courage de sainte Geneviève. Ainsi, ils ouvrent leurs portes aux Francs en 493, imitant l’exemple des cités environnantes. En effet, Clovis finit par les convaincre de se battre à ses côtés tout en leur permettant de conserver les us et coutumes afférents à l’armée romaine. Clovis emporte donc les villes de Senlis, Beauvais, Soissons et Paris, ce qui lui permet de contrôler tout le nord de la Gaule. Clovis déploie, dès les premiers temps de sa conquête, une politique inconnue à ses prédécesseurs : il ménage le culte des vaincus, il cherche même à se concilier l’amitié des chefs de cette religion, dont l’influence est alors toute-puissante sur les Gaulois-Romains, qui forment la base de la population des contrées qu’il vient de soumettre. Aussi la légende prétend que saint Rémi, évêque de Reims, avait fait réclamer auprès de lui un vase d’une grandeur et d’une beauté remarquable, pillé dans une église suite à la bataille de Soissons : « Suivez-moi dans Soissons, dit le roi aux députés de l’évêque, là nous devons partager le butin, et si le sort me donne ce vase, je vous le rendrai. »
De fait, après chaque victoire, les Francs pillent le pays conquis et particulièrement les églises qui possèdent des objets du culte en or et en argent, souvent ornés de pierres précieuses. De leur butin, les soldats et le roi forment des lots à peu près égaux et les tirent au sort entre eux. Mais Clovis, désirant certainement être agréable à l’évêque demande à ses guerriers de lui attribuer ce vase en plus de sa part. La plupart d’entre eux acceptent sauf un soldat qui, souhaitant faire respecter la loi franque de l’égalité dans les partages, brise le vase en disant à Clovis : « Tu n’auras rien de plus que ce qu’un juste sort t’accordera ». Aussitôt tous les regards des Francs, immobiles d’étonnement, se dirigent sur Clovis. Lui, dissimulant son indignation, prend tranquillement le vase brisé et le remet aux députés. Peu après, il convoque tous les hommes en vue d’une expédition et, lors de la revue des armes, il s’arrête devant celui qui avait brisé le vase et lui dit que ses armes sont mal entretenues. En même temps, il saisit la francisque de ce dernier et la lance à terre. Le guerrier s’étant incliné pour la ramasser, Clovis lève sa propre francisque et lui fracasse la tête en disant « Voilà ce que tu as fait au vase de Soissons ».
Cette « affaire » du vase de Soissons restera célèbre car elle nous donne un premier aperçu, d’une part, sur l’autorité du roi et, d’autre part, sur ses relations avec l’Eglise.
Clovis contre les Francs rhénans (491)
À partir des années 490, pour assurer l'expansion de son domaine, Clovis se lance dans une grande série d'alliances et de conquêtes militaires, n'hésitant pas parfois à faire assassiner certains de ses anciens compagnons ou certains membres de sa famille.
Il entame tout d’abord une série d'offensives contre la Germanie rhénane et transrhénane car le royaume des Francs rhénans s'étend dangereusement sur la Belgique seconde, dont l'alliance avec Clovis leur assure la possession des cités de Metz, Toul, Trèves et Verdun, que les Alamans menacent. Refusant de se laisser attaquer sur deux fronts, la stratégie impose à Clovis d'attaquer les Thuringiens rhénans, en 491, que l'expansion de leur royaume basé sur l'Elbe et la Saale fait déborder sur la rive droite du Rhin inférieur, absorbant Ratisbonne par la même occasion et faisant avancer les Alamans en direction des Francs. Une hypothèse veut que le royaume s'apparente à celui du roi des Francs saliens Cararic (vers 460 - 491 ou 510), qui aurait eu pour capitale la cité de Tongres et dont le contour est mal défini mais qui s'étend probablement dans la région de Trèves ou sur les bouches du Rhin. Cararic s'étant joint à Clovis dans la guerre contre Syagrius en fait donc son allié, mais il aurait attendu le déroulement de la bataille pour intervenir auprès du vainqueur, chose que n'apprécie pas Clovis. Il finit par le soumettre et le fait tondre avec son fils pour les faire entrer dans les ordres, respectivement en tant que prêtre et diacre. Seulement, après avoir eu connaissance de menaces de mort le concernant, Clovis les fait finalement assassiner et s'empare du royaume. Ainsi, dans la dixième année de son règne, Clovis agrandit encore ses domaines vers l’est, en s’emparant de la Tongrie (le diocèse de Liège).
Dans le même temps, Clovis désireux de se protéger des Wisigoths (peuple de la Gaule le plus redoutable pour les Francs-Saliens), cherche à se concilier avec les Bourguignons afin de pouvoir résister en cas d’attaque pendant qu’il est sur le front germain. Il parvient à ses fins lorsque, à la suite d'ambassades répétées auprès du roi Gondebaud (né avant 455, mort en 516 ; roi des Burgondes à partir des années 470, d'abord avec ses frères, Godégisile, Gondemar – mort en 500 – et Chilpéric – mort en 486, puis seul à partir de 501), Clovis choisit de prendre pour épouse Clotilde (née vers 474 ou 475 peut-être à Vienne, Lyon ou à Genève, morte autour de 545 à Tours), une princesse chrétienne de haut lignage, nièce de Gondebaud et fille du roi Chilpéric II et de la reine Carétène (ce peuple voisin des Francs était établi dans les actuels Dauphiné et Savoie). Le mariage, qui a lieu à Soissons en 492 ou en 493, concrétise le pacte de non-agression avec les rois burgondes. De plus, en choisissant une descendante du roi Athanaric (mort le 21 janvier 381 à Constantinople, est un roi wisigoth de la seconde moitié du ive siècle) de la dynastie des Balthes (puisque le grand-père de Clothilde, Gundioc, revendique le lignage d’Athanaric), Clovis se marie avec une épouse de premier rang qui lui assure un mariage hypergamique, lui permettant de hisser les Francs au rang de grande puissance. Dès lors, selon Grégoire de Tours, Clotilde fait tout pour convaincre son époux de se convertir au christianisme mais Clovis est réticent car il doute de l'existence d'un Dieu unique et la mort en bas âge de son premier fils baptisé, Ingomer (né et mort en 493), ne fait qu'accentuer cette méfiance. D'autre part, en acceptant de se convertir, il craint de perdre le soutien de son peuple, encore païen : comme la plupart des Germains, ceux-ci considèrent que le roi, chef de guerre, ne vaut que par la faveur que les dieux lui accordent au combat. S'ils se convertissent, les Germains deviennent plutôt ariens, qui rejettent le dogme de la Trinité mais qui favorisent, en quelque sorte, le maintien du roi élu de Dieu et chef de l'Église.
D’autre part, afin de protéger sa frontière avec l’Italie, Clovis accepte que sa sœur, Audofleda, épouse Théodoric le Grand (né vers 455 et mort le 30 août 526), roi Ostrogoths d'Italie, en 495. Ceci dans le but de contenir l'ambition croissante de son nouveau beau-frère.
Clovis contre les Alamans (496) et sa conversion au christianisme
Par ailleurs, les Alamans, la plus féroce des tribus de Germanie, établis dans les provinces modernes d’Alsace et de Lorraine, attaquent, en 496, les Francs-Ripuaires, possesseurs du territoire de Cologne, et alliés de Clovis.
Sigebert, roi des Francs rhénans, ayant été blessé au genou - blessure qui lui vaut le qualificatif de « boiteux » - Clovis leur porte secours lors de la bataille de Tolbiac. D'après Grégoire de Tours, Clovis, ne sachant plus à quel dieu païen se vouer et son armée étant sur le point d'être vaincue, prie alors le Christ et lui promet de se convertir si « Jésus que sa femme Clotilde proclame fils de Dieu vivant » lui accorde la victoire. Au cœur de la bataille, alors que Clovis est encerclé et va être pris, le chef alaman est tué d'une flèche ou d'un coup de hache, ce qui met son armée en déroute. La victoire est à Clovis et au dieu des chrétiens. Une hypothèse veut que la bataille ait eu lieu en 506 car, dans une lettre de Théodoric envoyée fin 506 ou début 507 à Clovis, il est mentionné la victoire de Clovis sur les Alamans que Théodoric a pris sous sa protection, la mort de leur roi, et leur fuite en Rhétie. Il est aussi possible qu'il y ait eu deux batailles contre les Alamans, l'une en 496 et l'autre en 506, où à chaque fois, leur roi périt au combat. Toujours est-il que cette victoire permet au royaume de Clovis de s'étendre jusqu'à la Haute-Rhénanie.
Après cet événement, il ne fut pas difficile à l’éloquent évêque saint Rémi de persuader Clovis que le Dieu qui gagnait les batailles et qu’adorait Clotilde était le seul Dieu tout-puissant, le seul qu’il fallait reconnaître. Clovis fut donc converti à la foi catholique, et les raisons politiques qui le forçaient de suspendre sa profession de foi publique sont levées lorsqu'après avoir harangué ses Francs, il les trouve disposés à le suivre aux fonts baptismaux avec la même joie qu’ils montraient lorsqu'il s’agissait de l’accompagner aux combats.