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Ÿcra

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Par  

A quelques mètres de là, des tréteaux, des planches et vieilles portes allongées, recouverts de longs manteaux bleus et de nattes, ont été dressés sur la rue de l’hirondelle. Des dingues et des paumés, des marginaux, des artistes et des rêveurs y sont attablés et leurs silences de parfois quelques minutes sont la hauteur de leurs yeux sans paupières, de leurs éclats de voix entrechoqués soudain et s’arrêtant en même temps. Un arrêté voudra dépaver la rue de l’hirondelle, fermer l’hôtel de la Salamandre, résumer la ruelle à un axe. Eux ont gravité toute leur vie sur cette échappée, debout, accroupis, couchés. Certains d’entre eux, plusieurs, ont même vécu mille vies avant de passer toute leur vie ici, à l’instar des réplicants dans Blade Runner qui ont tenu le regard de Dieu avant de s’éteindre. C’est la première fois qu’ils sont ainsi regroupés, comme dans un film qui réunirait les héros de plusieurs films. Chacune de leur parole resuscite une nuée d’étoiles au ciel, craquelle l’écran du jeu faux, le rappelle un peu à son prime état le mercuriel seize.

L’un d’eux jouait une boucle simple, entrainante, un peu sombre, à la guitare. Il a dit « vous savez, vous voyez, dans mon rêve de nuit il y a le ressenti de l’accomplissement d’une vie c’était de jouer une fois, une seule fois, ma chanson sur scène – peut-être une réminiscence d’une autre vie vouée à la musique et qui se serait faite tuer avant d’avoir pu même réaliser ce pour quoi elle était »

« et pourquoi ce ne serait pas ta vie à toi ? on cherche tous les étoiles qui dépoussièrent l’horloge dans notre buffet mauve ».

« ho oui ça serait beau Ami. Des poussières d’étoiles comme des paillettes multicolores partout. C’est impossible à nettoyer, impossible. Ils laisseront tomber leur projet de casser le sol parce qu’ils ne voudront pas se salir, et parce qu’ils seront éblouis… »

Celui qui venait d’intervenir, toujours en criant presque comme s’ils se croyaient tous sur une scène de théâtre alors qu’ils font surtout résonner leur solitude abyssale, était assis quelques places plus loin, ses longs cheveux châtains étaient de la même teinte que son tee-shirt long. A côté de lui, dessinant par terre en s’appuyant sur un bout de manteau long, un enfant.

« une explosion, il faut une explosion qu’ils ne comprennent pas, qui ne tue personne mais qui leur fasse peur à tout jamais, sinon ils reviendront, il faut qu’ils comprennent que le Lion vert va les terrasser si leurs engins de ravin viennent ! » (une autre, une femme vive et aux yeux crépitants d’intelligence et de charité)

« comment on le dessine, le Lion vert, » demanda l’enfant.

« ouais le Lion vert j’ai aussi entendu qu’il se terrait ici, lança un maigre à l’immense barbe et au jean sale. Edmond l’a vu, je crois ? (l’intéressé acquiesca) Karim aussi c’est ça ?

« Oui à chaque fois juste son ombre quand il s’élançait. C’était là (il montrait un angle vers le porche) je suis sûr que si on déclenche une explosion de pétales de toutes les fleurs médicinales du monde comme une nova le Lion se montrera et ils ne pourront plus dormir car il restera à l’entrée de leurs rêves, même dans leurs paroles à l’entrée de leurs lèvres. Et nous ce sera l’inverse il transformera nos cauchemars en rêves pour aller nous réveiller, et quand il nous ramènera à la surface..à chaque fois..nous ne serons plus tristes…(la voix de Karim semblait avoir été lacérée de coups de couteau, longtemps dans le temps)

Toutes et tous autour des tréteaux avaient les yeux hagards, inquiets, curieux, regardant à travers les corps.

Le guitariste a dit, au bord des larmes :
« Est-ce qu’il y aura moyen que je joue mon morceau sur nos tables en même temps que l’explosion ? Vous avez le même instant que moi en vous, l’instant d’aboutissement d’une vie encore incréé, vous devez répondre à la même question que moi si vous voulez libérer la force de rêver à votre instant jusqu’à ce qu’il rejoigne la matière aux rives de l’éveil et dans le rêve nous serons plusieurs et nous aurons plus chaud, et nous aurons de l’eau avant l’aube, [oui ils seraient la plus belle promesse qui puisse être, fraternels de miséricorde chaleureuse et inquiète, je les ai rencontrés, j’ai rencontré ces gens], « est-ce que cet instant suffira à éponger toute la mélancolie qui a cru en nous ».

 

« nos questions n’ont jamais de réponse »

 

« si, la pluie. La pluie ! Sous l’averse à chaque fois quand je cours je sais, ça cogne à ma poitrine comme si ça voulait rentrer dans le buffet mauve pour dire que j’avais raison ! Il nous faut la pluie ! »

« je connais quelqu’un qui fait venir les nuages quand il regarde le ciel. Ce peut être un bon début pour la pluie ». Celle qui venait de parler était grimée presque comme une indienne, ses traits étaient teints de manière très élégante avec du vert anglais, de l’or, de la lave. Sa voix était plus posée mais fleurait bon les souks d’Oran.

Toutes, tous étaient stupéfaits, bés. Ils venaient de puzzler en plein jour dans les éclats d’une discussion des derniers désespérés d’être nés, la pangée phosphorante qui correspondait à la carte cachée au cœur du labyrinthe de leurs neurones, le fin fond de leur pensée poussée à bout jusqu’au rêve dernier. Ils la voyaient tous derrière leur iris, bien que regardant tous dans des directions opposées.
Leur émoi, leur gravité, leurs espoirs et desseins sont donnés à cet instant désiré que d’aucun diraient dérisoire. Et pourtant leurs visages témoignent de l’absoluité de cette quête. Car du pays que redeviendrait cette lueur quand ils l’atteindraient, ils étaient Rois.

Qui est peut-être juste un bien, un présent, une offrande d’un instant pour s’effacer derrière et ne plus jamais réapparaître dans aucune vie.

 

Qui est peut-être juste de s’excuser d’être là.

 

C’est le premier jour de l’automne. Dans quelques heures il ne sera plus, et il aura été magnifique, à peu de chose près il aurait pu justifier les jours.

 

 

Extrait du roman de François Richard publié aux éditions Le Grand Souffle : Ÿcra percer à nuit le monde (VIE)


Saint Pétersbourg
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Une bien mauvaise nouvelle
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