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L'impasse du salut ou la chute d'un homme

L'impasse du salut ou la chute d'un homme

Par  

« La finitude nous engage à nous perdre, ici et maintenant. »

« Je crois à la mort des âmes avant la mort de la chair. »

« Ce qui est nié, c’est l’absolu pour lequel l’homme est fait »

« Ressentir la multitude des pensées. Et prendre conscience que la substance du dedans permettrait de vivre mille vies différentes. Mille. »

 

Il faut lire Maximilien Friche dans ses livres et puis les relire, se fier à l’intuition qu’il se trame par lui une profondeur subtilement révélée, lorsqu’on le connaît d’abord comme fondateur et chroniqueur du site Mauvaise Nouvelle. Nous nous étions rencontrés précisément en croisant nos lectures respectives de l’autre ; en l’occurrence j’avais lu coup sur coup ses livres Apôtres d’opérette puis L’Impasse du salut tandis qu’il lisait les deux premiers tomes de ma série  V I  E. Un entretien autour d’Apôtres d’opérette en était sorti et j’invite chacun à le relire tant ses réponses apparaissent marquantes sur le sujet qui nous rassemble, probablement, celle du positionnement existentiel face à la littérature, perçue comme une clé secrète de cette condition.

A l’heure d’évoquer L’Impasse du salut dont la lecture vous laisse longtemps avec ses résonances profondes, comme les rêves troublés persistants, on s’aperçoit que l’auteur avait livré dans cet entretien, déjà, des éléments permettant de les appréhender. Et pour cause, d’une certaine manière la trame et le propos de L’Impasse du salut prolonge ceux d’Apôtres d’opérette, enfonce le clou bien que sous un autre angle, peut-être encore plus désespérant et plus fort. Dans L’impasse du salut, disparus les idéalistes dangereux d’Apôtres d’opérette qui prétendaient ériger la littérature en machine de guerre au premier degré. Même eux ne sont plus là, la focalisation se porte sur un monde bien connu en proie à la désacralisation, au destin de Renaud Manne, la traversée de son entourage et de sa condition archi-normés et qui de dégoût froid en dégoût froid l’amènera au dit « péché » puis à un acte meurtrier dénué de compassion. Renaud Manne aurait presque pu être un personnage du livre précédent, un « repenti » d’Apôtres d’opérette, qui aurait été socialisé toute une carrière, avant de rechuter sur la fin. En creux, la toujours redoutable question -et credo de l’auteur- de savoir d’où peut venir le salut dans un monde devenu farce, quelle forme peut prendre la politesse extrême de s’en abstraire, surtout lorsqu’on a eu l’heur d’en percevoir la déréalisation endémique.

L’Impasse du salut déploie la chute d’un homme en quelque sorte damné par la conscience de sa propre médiocrité insistée sur la durée de son existence, à moins que cette damnation soit une sorte de salut, quelque chose qui lui fasse enfin sortir de l’anesthésie pour quelque vibration vivante, hors toute morale. Résumée à cela, toute tentative de répondre à cette médiocrité, à sa hauteur, serait donc de nature inévitablement tragique -incluant le sacrifice de ces existences, de ces corps, espérant provoquer ne serait-ce que le temps d’un court frisson pour toute une vie, le rappel du sacré où cette vie doit revenir. Toujours, les personnages de Maximilien Friche recherchent cette rédemption et cela passe nécessairement par une déclaration de guerre vouée à une fin tragique, même si le ton est toujours celui de la farce, de l’ironie féroce.

Sur cette description, l’on pourrait rapidement penser à L’étranger de Camus (ou un Bartleby sous pilule rouge), mais ce serait une indication trompeuse quant à l’intensité toute singulière qui émane de cette mise à mort de page en page. Même si de mon point de vue les motivations profondes de Meursault (dans L’étranger) et de Manne sont les mêmes, et que le phrasé lapidaire et clinique crée une familiarité, Friche utilise ce lapidaire comme pure rythmique et la teinte d’un ton acerbe (que l’on devine imprégné des grandes tirades des classiques du théâtre) qui permet la respiration, et le passage salvateur des inspirations -vraiment marquantes, la marque des écrivains dignes de ce nom. Là-dessus, je lui avais dit que ce que j’allais chercher dans les livres était cela, les effets du souffle régénérant et héroïque de la grande littérature sur toute la bio, que je trouvais cela dans ses livres mais qu’il utilisait cette puissance pour induire, paradoxalement, qu’il n’y aurait pas de salut dans le Verbe, du moins le verbe incarné. Sans doute par appréhension du lyrisme, du romantisme, une préférence calmée pour la politesse d’un pas de côté, résolument.

Enfin sa différence avec ses illustres prédécesseurs réside aussi dans le filigrane d’évocations bibliques jamais perçues par les personnages eux-mêmes (à l’image du nom du personnage, Renaud Manne, qui ressemble juste au « man » basique anglais et pas vraiment à la manne à laquelle devrait renvoyer son essence, sa vie).

Rapprochant ce point du précédent (la défiance quant à tout passage au lyrique-revendicatif de la littérature), on peut soupçonner une réserve chez Maximilien Friche, aux deux sens du terme. On attend le prochain livre comme le troisième tableau d’un tryptique avec une potentielle mise en abyme, avec le monde en vis à vis.

« C’était un attentat contre l’espèce humaine. Il a réagi par réaction au péché originel. Il n’y a pas de circonstances atténuantes. Il y a le Purgatoire. Son acte est un acte de purge de la dette humaine. »

 

L’Impasse du salut, Maximilien Friche (Ed. Sans Escales)

 

https://www.mauvaisenouvelle.fr/?article=livres-apotres-doperette-vivre-la-tragedie-en-bouffon--1990


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