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Crapez et les antagonismes français

Crapez et les antagonismes français

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Marc Crapez, politologue, nous offre un brillant échantillon d’Antagonismes français. Son ouvrage paru en mai 2017, dont la couverture exhibe la tête décapitée de Louis XVI, peint le tableau des « guerres fratricides du XXème siècle » qui entretiennent une « vulgate idéologique bienpensante qui mutile l’histoire ». Il s’agit pour l’auteur de porter une contradiction à cette vulgate française afin de « recouvrer notre dignité intellectuelle en exhumant une pensée antitotalitaire libérale conservatrice, qui a toujours maintenu le flambeau de la liberté, quand d’autres acclament des tyrannies, sans jamais faire leur mea culpa. »

Crapez, en éclaireur, nous mène sur les chemins escarpés de la vie intellectuelle et idéologique de notre cher pays. Il nous parle de Proudhon associé à l’anarchisme et figure de proue du socialisme, de Tocqueville chef de file du libéralisme ou de Maurras « petit génie du traditionalisme ». Proudhon figure controversée en raison de son antisémitisme « bute sur le plafond de verre de la dialectique socialiste qui ne parvient pas à surmonter ses contradictions, en conciliant liberté et égalité, ou révolution et démocratie ». Tocqueville, « source inépuisable de richesse intellectuelle » et « sorte de maître à penser », irrigue de sa doctrine les libéralismes intellectuel, économique, politique et de mœurs. Fin observateur de son temps, admettant l’unité de l’espèce humaine, du libre arbitre individuel et de la souveraineté du peuple, Alexis de Tocqueville nous enseigne que la démocratie a absorbé la foi religieuse et détruit la société chrétienne (pour reprendre la terminologie bernanosienne) pour lui substituer la religion de l’opinion et la figure de la majorité. Maurras, cet anti-Marx, promoteur d’un « empirisme organisateur » comme principe de bonne marche de la société, monopolisa la scène intellectuelle française de l’entre-deux guerres. Le jeune Malraux dit de lui qu’il est « l’une des plus grandes forces intellectuelles d'aujourd'hui » tandis que Proust s’incline devant le maître : « avec l’hommage de mon admiration pour votre talent, de ma sympathie pour votre caractère ». Souvent réduit à sa théorie des quatre Etats confédérés (francs-maçons, juifs, protestants et métèques) qui tireraient les ficelles de la République, l’un de ses contemporains dit de lui « qu’il restera comme un bel écrivain, et comme un des esprits vigoureux et originaux de notre temps […] Il représentera un des aspects, un des points extrêmes de la tradition française. » Crapez s’interroge pour savoir si la philosophie de Charles Maurras, sorte de religion de l’harmonie, ne serait pas simplement sèche et singulière. Ne s’apparenterait-elle pas à une sorte de paganisme positiviste où dominerait le poète et où la volonté de conformer la société au seul ordre de la raison aboutirait à une impasse? Ou alors, incarnerait-elle une nécessité (« l’autorité en haut, les libertés en bas ») pour qu’à partir d’un centre tout s’ordonnance et se hiérarchise : le style pour la production artistique, l’unité pour le moi, le monarque pour la nation ?

De fructueuses matières à penser sont ainsi proposées tout au long de ce précieux ouvrage : le déchaînement du totalitarisme, le jacobinisme, les exactions bolchevistes (il est surprenant qu’en ce 100ème anniversaire de la révolution bolchévique, on ait si peu parlé des 100 millions de morts imputables au communisme), la littérature antitotalitaire dont la France fut la patrie par excellence, les billevesées de Bachelard et Bourdieu, les grandes querelles françaises récentes que sont au XXIème siècle l’Europe et l’immigration, le tabou du débat sur l’identité nationale, l’antiracisme qui se transforme en racisme anti-Blancs, le dreyfusisme de Zola s’accompagnant d’une dénonciation concomitante du capitalisme juif, l’histoire de l’antisémitisme de gauche aujourd'hui caractérisé par l’inquiétante dialectique de l’islamo-gauchisme…

On poursuit plaisamment le questionnement avec Crapez autour de bons sujets philosophiques : faut-il se fier à l’opinion publique ? Faut-il succomber au péché d’anachronisme en matière d’histoire ? La présentation péjorative du populisme par les élites n’est-elle pas l’expression d’un refus de la contradiction par ces dernières ? La démocratie est-elle menacée par la fragmentation des sociétés, l’intrusion des lobbys, l’interventionnisme idéologique, la fragilisation de la liberté d’expression et le recul de l’égalité devant la loi ?

Ces antagonismes français sont autant de points saillants, propres à une grande nation à condition qu’elle ne renie pas ses racines et sa culture. Mais ceci est un autre chapitre, plus douloureux, de l’histoire.


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