L'art de la conversation
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Dans l’ouvrage de Raymond de Saint Laurent, L’art de la conversation, nous trouvons des clés pertinentes pour appréhender les codes de la communication et les habiletés sociales. L’approche un brin désuète s’adresse au gentleman qui sommeille en nous mais qui peine à sortir de sa torpeur en ces temps de déculturation et de décivilisation, de tout à l’ego dirait l’ami Régis Debray.
« Le parfait causeur trouve le chemin des cœurs et se gagne des sympathies. Il possède ce fameux magnétisme personnel, dont on parle tant de nos jours : il a le don de plaire. Il obtient de ses interlocuteurs tout ce qu’il leur demande ; il connaît l’art de convaincre. Il manie les hommes à sa guise : il leur en impose par un prestige mystérieux, que l’on subit sans pouvoir en analyser les causes. Il s’attire l’admiration universelle : il manifeste une supériorité que personne ne lui conteste. »
En effet, le Verbe n’a jamais paru si haut qu’aujourd’hui, à l’ère de la communication omnipotente et de ses infinis canaux de diffusion, et l’on peut retrouver dans cette définition du parfait causeur la figure d’un Emmanuel Macron. Séduction, persuasion, manipulation, fausseté, égotisme et mégalomanie caractérisent bien le premier magistrat de l’Etat.
Mais identifions surtout, au gré de la lecture, les fameuses clés utiles, dont celle de la précision de l’idée à exposer que Boileau résumait en une célèbre formule : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément ». L’auteur nous dit : « Evitez le verbiage. Apprenez à vous exprimer avec concision : pourquoi employer quarante mots où il suffit de cinq ? Que vos récits soient brefs ; concluez-les par une remarque spirituelle qui en relèvera la saveur. » Trouver du plaisir à échanger, plutôt que faire durer la conversation, voilà un beau défi.
Comment dès lors user du bon mot, du trait d’humour, de la phrase impactante ? « Le moyen le plus efficace de varier nos conversations consiste à mener une vie cérébrale assez active. Lisez beaucoup, tenez-vous au courant des évènements, observez gens et choses ; vous aurez toujours à dire du nouveau et de l’intéressant. Pensez et vous ne serez jamais un parle creux. »
Saint-Laurent est un adepte de la pensée mosaïque telle qu’elle se forge chez les élèves au sein du système scolaire français, faite d’agilité, d’accumulation de concepts et de complexes arborescences de causes dont on peine à établir les liens et qui ne sont pas étayées par la recherche de principes supérieurs qui les surplomberaient. Le fameux relativisme du « tout se vaut » au sein duquel cependant la science affiche son primat. C’est ici la limite pour ne pas dire l’écueil de son opuscule qui se tient à l’écart de la pensée grecque, de la pensée verticale, de l’induction comme méthode d’investigation conduisant à la Vérité, à Dieu. C’est aussi bien sûr l’écueil de la modernité.
Lorsqu’on rencontre une personne pour la première fois, nous explique-t-on à juste titre, il est de bon usage de s’en tenir aux banalités les plus vagues et les plus anodines, car ne connaissant rien d’elle nous risquerions par notre imprudence verbale de la heurter par quelque remarque désobligeante.
Modestie et sagesse sont deux vertus que notre époque rejette car elles font entrave au désir de toute-puissance de l’individu prométhéen. Pourtant l’auteur exhorte : « Gardez-vous des affirmations trop catégoriques. En dehors des principes premiers et de quelques vérités absolues, nous pouvons tous nous tromper sur bien des points. A s’entêter dans des opinions personnelles sans tenir compte des raisons valables qui leur sont opposées, on montre la fausseté de son esprit. La conversation est essentiellement un échange de vues entre personnes de bon ton. En défendant son propre avis contrairement au bon sens, on pèche à la fois contre la logique et la politesse élémentaire. »
Sur la conversation, et comme pour mettre en garde les gaffeurs de tous poils, La Bruyère a écrit dans Caractères : « Il y a parler bien, parler aisément, parler juste, parler à propos : c’est parler contre ce dernier genre que de s’étendre sur un repas magnifique que l’on vient de faire, devant des gens qui sont réduits à épargner leur pain ; de dire merveilles de sa santé devant des infirmes ; d’entretenir de ses richesses, de ses revenus et de ses ameublements, un homme qui n’a ni rente ni domicile ; en un mot de parler de son bonheur devant des misérables, cette conversation est trop forte pour eux, et la comparaison qu’ils font alors de leur état au vôtre est odieuse. »
Les dictons populaires sont légion pour rappeler l’importance de la prudence en matière de communication : « La parole est d’argent, le silence est d’or » ; « Mieux vaut tourner la langue sept fois dans sa bouche avant de parler ». Dieu nous invite même dans la Bible à tourner notre langue soixante-dix fois sept fois !
En continuité, est rappelé le concept évangélique d’amour de l’autre : « Appliquez-vous à ne pas dire le moindre mal du prochain ; efforcez-vous d’en parler avec bienveillance. Vous constaterez qu’il est moins facile de causer avec verve, quand on bannit toute malignité de ses entretiens. Ne vous désespérez pas de paraître moins brillant ; mettez dans vos propos le maximum d’esprit pour les rendre enjoués, plaisants, pittoresques, sans recourir à la médisance. »
Chesterton encourageait à recouvrer la vertu d’émerveillement, l’auteur enjoint quant à lui à l’observation du réel pour guérir l’imprécision de la pensée : « Observez avec attention les objets et les êtres vivants qui vous entourent ; examinez leurs formes ; regardez leur comportement, leur activité, leurs attitudes. L’observation soutenue renouvellera constamment vos idées. »
Les chapitres s’égrènent sur une même veine et questionnent plaisamment nos pratiques de causeur : ne tombez pas dans la familiarité, parlez peu, écoutez, mettez votre interlocuteur en vedette, faites des compliments délicats, ayez l’esprit hospitalier, usez de peu de plaisanteries, respectez les absents, soyez silencieux sur votre propre compte… Chacun pourra utilement élaborer son vade-mecum.