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Redeker : Les sentinelles d’humanité

Redeker : Les sentinelles d’humanité

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« L’héroïsme est un sprint, la sainteté une course de fond. Nul ne peut être héroïque dans la durée, nul ne peut être saint qu’en elle. »
Quelle joie de retrouver Robert Redeker dans son ouvrage Les Sentinelles d’humanité sous-titré Philosophie de l’héroïsme et de la sainteté ! L’auteur de l’Abolition de l’âme que nous avions recensé pour Mauvaise Nouvelle nous offre une nouvelle merveille de profondeur et de style : « Le héros et le saint s’incrustent dans la vie universelle par deux voies différentes. Le saint se fond dans une vie universelle qui s’appelle Dieu. Le héros se fond dans une autre, de rang inférieur, qui s’appelle l’histoire ; infiniment plus heureux encore, certains d’entre eux, saint Louis et Jeanne d’Arc, saint Jean-Paul II également, disparaissent dans les deux courants majeurs de la vie universelle, l’histoire et Dieu. »
Dans un autre de ses ouvrages-référence, L’éclipse de la mort, Redeker regrette cette éclipse telle que l’a orchestrée la post modernité et il nous rappelle l’impérieuse nécessité de ressusciter la mort si nous pouvons dire : « Le héros rend visible le fondement et la transcendance de la société à chacun de ses membres individuels. Il donne vie visible à cette transcendance. Le culte des morts, qui est, nous explique Fustel de Coulanges, le plus ancien de tous, prend toujours et partout la forme spéciale du culte des morts illustres. La pensée du célèbre historien s’avère particulièrement profonde. Donnons- lui la parole : « La mort fut le premier mystère ; elle mit l’homme sur la voie des autres mystères. Elle éleva sa pensée du visible à l’invisible, du passager à l’éternel, de l’humain au divin. » Le culte des morts est une longue vue par où l’on contemple, à distance, depuis l’autre côté de la rive, l’invisible, l’éternel, le divin. »
Si le thème du livre peut paraître obsolète de prime abord, spécialement à l’heure du transhumain et du tout à l’image, il n’en est rien quand on sonde réellement le cœur de l’homme et son for intérieur où les vibrations métaphysiques, onces parfois juste perceptibles, questionnent timidement ou plus fortement son apparente assurance matérialiste. Notre philosophe le dit avec l’élégance subtile de sa pensée laser : « Besoin ontologique : l’homme a besoin de héros et de saints, à admirer, à imiter, pour être pleinement homme, dans l’écart avec les bêtes et les machines, y compris l’oxymorique « intelligence artificielle. » »
Là, nous avons compris de façon éclatante que l’IA dont on nous rebat les oreilles comme d’un alpha et d’un oméga ensemble réunis pour le bonheur de l’homme, n’est en fait qu’un oxymore, une incompatibilité flagrante, une supercherie manifeste, une incongruité téléguidée par l’Adversaire de Dieu, de la création, de l’homme. D’intelligence, il ne peut y avoir que d’humaine. Et définitivement.
Le techno-centrisme de l’homme contemporain est une cause et un effet de la déconstruction qui vise un but prométhéen : créer le monde post-humain : « La déconstruction, ce vaste mouvement sophistique – nous disons sophistique et non philosophique, parce que tantôt la vérité lui est indifférente et tantôt il se déclare hostile au concept de vérité, nonobstant son refus de toute essence, bref parce que tous les traits de la sophistique grecque, contre laquelle Platon inventa la philosophie, se réincarnent en lui – qui répand ses effets depuis les années 1960, et dont l’origine est à chercher antérieurement dans la pensée de Martin Heidegger et son projet mal compris, ou dévoyé, de « destruction de la métaphysique », atteignit les figures jusqu’alors inébranlables du héros et du saint. »
Cette puissante entreprise de déconstruction a engendré l’apparition de « gens déglingués », portant 24h/24 leurs « prothèses numériques » et formant la grande société liquide en laquelle « le sens est en déshérence. » Nous avons coutume de dire que le combat de résistance doit s’axer sur le triptyque intériorité/intellect/intensité dans le but de contrer son retors adversaire et son credo triple : inculture/indifférence/indifférenciation. C’est au prix d’un rebasculement arrière qui doit réembrasser la proposition chrétienne que le réel sera sauvé. Sans quoi, le monde virtuel balaiera la civilisation géniale fondée sur les deux piliers de l’incarnation et de la transcendance, deux réalités parfaitement tangibles à cet homme défini il y a peu encore en sa triple dimension de corps, d’âme et d’esprit.
Le phénomène de déverticalisation n’est pas récent puisque la tiercéité de l’homme -âme, corps et esprit- a été amputée au XIXème siècle au profit d’une doubléité avant que le XXème siècle ne parachève la mutation en actant le passage de cette doubléité à son unidimensionnalité. L’homme revêt ainsi la condition de la victime égocentrée soucieuse de se voir garantir une vie parfaitement horizontale : Netflix toute sa vie, et encore Netflix à l’Ehpad au seuil de la mort, seul et abandonné de ses proches. Tout l’inverse du héros ou du saint : « Il en fallait à tous ces anonymes, dont certains furent héroïques, qui suivirent Napoléon dans sa traîne de gloire, comme il en fallait à Thérèse Martin pour devenir sainte Thérèse de Lisieux. Aucun courage, au contraire, n’est requis pour devenir une victime. Cette forme de béatification médiatique est ouverte aux hommes et femmes ordinaires, sans qualités. La victime est le héros et le saint de notre ère du vide. Héros et saints négatifs. Aux temps de la démocratie tardive, si différente des fortes démocraties antiques, qui sont aussi les temps crépusculaires du conformisme généralisé, ceux de la disparition de l’âme et de l’égalisation des intériorités, l’idolâtrie de la victime s’impose spontanément, en toute logique. »

Le héros n’est pour sûr ni transhumain ni surhumain, il s’enracine dans le réel, l’exigence, les modèles et la morale. L’enthousiasme lui donne des ailes -les fameuses ailes de l’âme chères à Platon- et permet un envol, un enlèvement, une folie en somme. Il aime admirer, vertu aujourd’hui disparue. Si le héros, ou le saint, sait se manifester par ses œuvres ou ses actes audacieux, il peut plus simplement se retirer dans sa chambre, au sens pascalien, afin de cultiver son intériorité : « Les images, nous révèle Robert Redeker, qui reposent entre les pages de mon missel ne sont pas des écrans, pas plus que l’image de sainte Thérèse d’Avila posée à côté du clavier de mon ordinateur. » Le viatique de notre philosophe ? La foi catholique qui nourrit l’intériorité, son trésor, notre trésor.

 


L’abolition de l’âme
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Une théologie de la communication  pour quelle religion ?
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Les sœurs de l’Espérance – Dantec
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