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Finkielkraut écrit à la première personne

Finkielkraut écrit à la première personne

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Quelle joie de se plonger dans le dernier opus d’Alain Finkielkraut. Comme à l’accoutumée, notre académicien nous conduit loin sur les chemins de la réflexion, de l’intelligence et des justes combats à mener dans une époque devenue folle. A la première personne ressemble à un aveu en confession paré des vertus de la magnanimité et de l’humilité : « Parce que, malgré mes efforts pour ralentir le galop du temps, j’avance irrémédiablement en âge et aussi, je l’avoue, parce que je souffre des épithètes inamicales parfois accolées à mon nom, le moment m’a semblé venu de faire le point et de retracer mon parcours sans faux-fuyant ni complaisance […] Peu importent donc mes histoires, mes secrets, ma névrose, mon caractère ! Le vrai que je cherche encore et toujours est le vrai du réel. » Malgré l’accumulation des ans, notre mécontemporain, tel que le fut l’un de ses maîtres Charles Péguy, n’a pas pris la moindre ride quand il s’agit de défendre l’identité française, ou encore la vérité et la beauté. Il avance, avec Kierkegaard, que « penser est une chose, exister dans ce qu’on pense est autre chose ». Il y a immuablement chez lui le souci de la cohérence, de l’honnêteté, de la seule exactitude pour reprendre le titre d’un de ses précédents ouvrages.

Dans le chapitre intitulé « Le pathétique de l’amour », Finkielkraut nous replonge dans son amitié avec Pascal Bruckner, leur ouvrage commun Le nouveau désordre amoureux, la distance qu’il finît par prendre avec mai 68 : « Adam et Eve sont des êtres de désir, mais ce ne sont pas des "machines désirantes" sorties du même atelier […] Nous décrivons le plus fidèlement, le plus concrètement possible, la merveille de la dissymétrie, l’inégalité des vertiges, le ravissement parfois douloureux par une présence qui ne se laisse pas saisir. Aussi possessif soit-il, l’amoureux fait l’épreuve de l’irréductible. La femme aimée ne lui appartient jamais, elle le fuit même au moment de l’extase. "Le pathétique de l’amour consiste dans une dualité insurmontable des êtres", écrit Levinas. Et l’amour meurt quand la proximité s’apaise dans la fusion. La relation à l’Autre vaut mieux comme différence que comme unité : telle était alors pour nous, et telle est restée depuis, la grande leçon d’Eros. » C’est ici un hymne à l’altérité, à son mystère merveilleux, au moment où l’insensée indifférenciation du gender sévit en terres matérialistes et relativistes.

Au réceptacle des regrets, en interrogeant la question juive et le souvenir de ses parents, l’éternelle occasion manquée le taraude, lui qui se définit comme un « panier percé que rien ne remplit, que rien ne protège, que rien ne rassure » : « Mes parents ne se sont jamais murés dans le silence, ils me parlaient très naturellement, avec émotion et sans pathos, de ce qu’ils avaient vécu. Mais même quand j’ai cessé de me prévaloir de leur calvaire, je ne les ai pas harcelés de questions, je n’ai pas pris de notes, je n’ai pas fait leur siège. Je sais, mais pas assez précisément, comment sont morts les parents de ma mère, son frère, sa sœur aînée et son neveu qu’elle aimait tant. Je n’ai pas demandé à mon père un compte-rendu heure par heure de son voyage vers Auschwitz-Birkenau ni de ses journées dans le camp. Je n’étais pas suffisamment avide de détails. J’étais trop absorbé par les hauts et les bas de la vie quotidienne pour l’interroger encore et encore […] Et maintenant il est trop tard. Je ne remplirai jamais les blancs de mon histoire familiale. » Comme crucifié une deuxième fois, il endure et prend avec lui une part de la détestation dont Israël fait l’objet : « Peu importe, en effet, le témoignage des survivants. Au diable mon père, Ruth Klüger, Imre Kertész et Primo Lévi ! La destruction des juifs profite trop à l’Etat juif pour n’être pas suspecte. Israël spolie les Palestiniens, or Israël tire sa légitimité de la Shoah. Donc la Shoah est un mensonge planétaire. Voilà l’implacable syllogisme qui a mondialisé la négation. Elaborée par un anticapitalisme radical (issu des idéologues de l’ultra-gauche), cette alter-histoire s’est épanouie dans la radicalité de l’antisionisme. » Inquiet de ce qui ressemble à l’impossibilité d’une pacification, il regrette, aussi, le retour au marcionisme (du nom de l’évêque Marcion du IIème siècle) qui se fonde sur l’opposition irréductible entre le Dieu vindicatif et jaloux de l’Ancien Testament et le Dieu d’amour de la Nouvelle Alliance.

Un autre de ses combats empreint de lucidité prophétique est de dénoncer les haines qui se cristallisent par l’émergence d’une contre-société aux us et coutumes incompatibles avec nos fondements qui se nomment civilisation judéo-chrétienne, République ou laïcité. Notre amoureux de la France est amer : « Comme rien ne semble pouvoir arrêter les flux migratoires du Maghreb, d’Afrique subsaharienne ou du Moyen-Orient, la situation va inévitablement empirer avec la bénédiction des partisans de l’hospitalité inconditionnelle. » ; « Extraordinaire chassé-croisé : au moment où les Eglises chrétiennes, saisies par l’horreur de la Shoah, abandonnent pour un dialogue enfin fraternel leur séculaire enseignement du mépris, la théologie la plus radicalement hostile aux fils d’Abraham refait surface là où on l’attendait le moins : la malédiction du Juif charnel est devenue un lieu commun de la pensée post-religieuse et post-hitlérienne. »

Bien sûr, dans ce livre qui ressemble aux prémices de ses mémoires, il était impossible pour Alain Finkielkraut de ne pas évoquer Kundera l’ami et maître : « Il assigne au roman la mission que je croyais réservée à quelques philosophes et, insensible au charme de la rupture, vacciné par son expérience historique contre la volonté de faire table rase du passé, il donne du modernisme une définition que je n’avais jamais entendue : "Avancer, par de nouvelles découvertes, sur la route héritée". » Si notre philosophe recherche le temps présent, c’est qu’il sait que les choses ont commencé à changer le 11 septembre 2001 : « Après cette date fatidique, le djihad s’est invité sur le Vieux Continent et il est vite apparu à ceux qui avaient des yeux pour voir comme la forme paroxystique d’un phénomène sans précédent : le choc des civilisations à l’intérieur des communautés nationales. Avec l’immigration dite post-coloniale, le partage d’un même patrimoine par les autochtones et les nouveaux arrivants a cessé d’aller de soi. » Ce fut la victoire de Samuel Huntington sur Francis Fukuyama. Le choc des civilisations l’emportait contre la fin de l’histoire. Elisabeth Badinter, citée dans l’ouvrage, dit les choses ainsi : « Une seconde société tente de s’imposer insidieusement dans notre République, tournant le dos à celle-ci, visant explicitement le séparatisme voire la sécession. » Et Finkielkraut, incisif, d’ajouter : « Au fanatisme islamique, la France et l’Europe répondent par le nihilisme égalitaire. » Répondre à des maux par d’autres maux est le meilleur moyen de disparaître. Seule la conviction de ce que l’on est peut l’emporter sur la barbarie. Encore faut-il, à l’inverse des hommes politiques actuels qui nous gouvernent, assumer et ne pas mépriser sa propre culture.

Avec Finkielkraut, la métaphysique n’est jamais très loin. Par modestie, se défendant de posséder un quelconque génie, notre auteur s’appuie sur les grandes figures de la littérature et de la philosophie pour convaincre : « L’identité n’est pas l’acceptation béate d’un déterminisme, c’est, dans la lignée de Péguy, et plus près de nous, de Saint-Exupéry, un certain arrangement qui demande d’autant plus de soin qu’il tient à un fil : "De ce que j’ai aimé, que restera-t-il ?" demande l’auteur de Terre des hommes. Et il précise : "Autant que des Êtres, je parle des coutumes, des intonations irremplaçables, d’une certaine lumière spirituelle." » Si « La position fondamentale des Temps modernes est la position technique », comme l’affirme Heidegger, technicisme donc et islamisme sont deux hydres à combattre pied à pied. A cette fin, il faut réinvestir notre identité, notre profondeur d’être, redevenir des somewhere plutôt que d’être métamorphosé en anywhere pour reprendre le bon mot du journaliste anglais David Goodhart. Cela peut se faire par une profession de foi amoureuse telle que la formula Léon Werth, grand ami juif de Saint-Exupéry : « Je tiens à une civilisation, à la France. Je n’ai pas d’autre façon de m’habiller. Je ne peux pas sortir tout nu. »


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