Gallimard renonce aux pamphlets de Céline
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Après avoir annoncé la ré-édition des pamphlets antisémites de Céline, la maison Gallimard a décidé de renoncer à ce projet face au tollé qu'il a suscité. Antoine Gallimard invoque sa liberté pour justifier son aliénation à notre temps : Au nom de ma liberté d’éditeur et de ma sensibilité à mon époque, je suspends ce projet.
Le monde, l'époque, ou encore l'air du temps dans lequel vit un auteur constituent évidemment une matière intéressante pour une oeuvre. Quand bien même l'écrivain chercherait à s'en détacher absolument, elle continuerait d'influencer son écriture. Son outil, la langue, n'est-elle pas propre à son temps ? Un inconscient pourrait bien vouloir composer un roman dans la langue de Lamartine qu'il n'y réussirait point ; un fou seul se croirait capable d'écrire avec les mots de Chrétien de Troyes… Mais ces vérités de l'écriture, ces considérations quasi techniques, ne sauraient créer de véritable confusion entre vivre dans son temps, et être l'esclave des erreurs de celui-ci.
Notre temps, dans ses excès puritanistes de respect des genres, des races ou des religions, détruirait volontiers tout ce qui advint avant elle et qui, bien que l'ayant engendrée, ne croyait pas absolument à toutes ses idoles.
Céline évidemment a été l'esclave de son temps, alors que son style s'en était émancipé. Il a été un salaud - comme tant d'autres ! - mais il était un génie. Quiconque possède la sagesse suffisante pour faire la distinction entre l'oeuvre et son auteur l'a déjà compris.
De même que la terre n'arrêterait pas de tourner autour si l'on apprenait que Galilée était antisémite, raciste ou machiste, les écrits de Céline ne doivent pas disparaître parce que l'homme était détestable.
Une différence évidente existe bien sûr entre Voyage au bout de la nuit ou Mort à crédit et les trois pamphlets : la fiction de la narration. Il ne s'agit pas de tomber précisément dans les travers de ce temps. Tout ne vaut pas tout, tout n'est pas blanc ou noir, des distinctions existent entre les choses. Mais si l'éditeur écoute les cris d'orfraies qui entendent des bruits de bottes chaque jour, il prêtera bientôt l'oreille à ceux qui voudront interdire le colonialisme du Voyage - Tintin au Congo des lettrés - avant que d'autres se plaignent de la stigmatisation d'une classe sociale dans Mort à crédit.
Un continuum évident existe entre l'autocensure d'un livre par un éditeur et Fahrenheit 451. Rassurons-nous cependant, une clef USB brûle aussi bien que le papier mais elle se cache beaucoup plus facilement que la bibliothèque qu'elle peut contenir. Il suffit d'attendre - ou plutôt de provoquer - l’avènement d'un autre temps pour l'exposer à nous à la lumière.