Découvrez la collection Mauvaise Nouvelle, aux Éditions Nouvelle Marge.


Guaino et la déconstruction

Guaino et la déconstruction

Par  

L’ancien conseiller spécial à l’Elysée de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, déplore ceci : « Pendant les Trente Glorieuses, bien ou mal, on construisait. Depuis, on casse à tour de bras, on casse tout, la civilisation et la civilité, la nation, la société, l’économie, la culture, l’école, la famille, la filiation, le bac, l’hôpital, l’Etat, les frontières, les institutions, le service public, le droit du travail, la protection sociale, l’autorité, le mérite, l’excellence. » Dans son ouvrage A la septième fois les murailles tombèrent, l’homme politique décortique l’entreprise de la table rase qui touche tous les domaines, que nous pourrions autrement nommer « destruction créatrice » avec Schumpeter ou disruption pour user du langage hype des bobos, et qui n’est autre, en droite ligne de la French theory de la déconstruction, que le démantèlement pierre par pierre de l’édifice de notre civilisation.

La folie du temps a conduit l’Occident à s’auto détester en pratiquant assidûment la culture de l’effacement -cancel culture- et en érigeant le wokisme en nec plus ultra de la conscience éveillée de ses soi-disant turpitudes immémoriales. Guaino questionne : « Tous ceux qui dans le monde admiraient sa littérature, sa poésie, son théâtre, n’ont-ils pas commencé à se demander ce qu’il resterait d’une civilisation dans laquelle les parents et les maîtres se couchent devant les enfants, où l’on apprend aux enfants à détester sa culture, ses valeurs, son histoire, qui passe son temps à s’autoflageller, qui a effacé tous ses repères jusqu’à prétendre effacer toute différence entre le masculin et le féminin, remplacer père et mère par parent un et parent deux et supprimer la frontière entre l’animal et l’homme. »

Dans cette lutte de tous contre tous d’un néo-libéralisme affranchi du politique, d’une démocratie excessive dit-on aujourd’hui, où l’individualisme a supplanté tout sens commun, on finit par s’habituer aux conséquences de ce que Renaud Camus a jadis nommé la décivilisation : « On s’habitue au RER en panne. Aux attentats. Aux attaques contre les pompiers, les policiers, les élus, les enseignants. Aux expéditions punitives des ethnies contre d’autres ethnies – des Tchéchènes contre des Maghrébins, des Maghrébins contre des Gitans. Aux écoles désertées par les enfants juifs parce qu’ils n’étaient plus assez nombreux pour se défendre. Aux trafiquants qui contrôlent l’accès à certains quartiers. Aux lynchages sur les réseaux sociaux et aux menaces de mort qui peuvent aboutir à des assassinats, comme au totalitarisme woke qui s’installe sur certains campus, au cœur de la fabrique des élites. Tout est normal. »

Paradoxalement, l’élite occidentale si occupée à la repentance et à se couper de sa source, n’abandonne pas sa prétention à imposer au reste du monde sa vision du bien et du mal, générant alors un grossissement des rangs de ceux qui rejettent en bloc son modèle outrecuidant et qui forgent désormais les nouvelles alliances géopolitiques : Russie, Chine, Inde, Turquie, Iran, Indonésie, Arabie Saoudite… D’ailleurs, de quelle vision du bien et du mal parle-t-on ? De la nouvelle vision ou de l’ancienne ? Celle de la cancel culture, du wokisme, de l’islamisme qui ont fleuri au sein du monde occidental, ou celle de l’humanisme issu du christianisme et des Lumières ? Un monde multipolaire a germé, le Sud Global a émergé et s’unifie et se renforce de jour en jour, mais l’Occident détourne le regard. Moribond, décadent, arrogant, il demeure obsédé par sa supériorité et ne comprend pas le monde d’après.

La décision de renier tout récit ou roman patriote, toute référence à l’identité nationale forgée par ses soixante-quatre rois, trois empereurs et ses présidents républicains qui firent la France, fut le point de bascule vers le néant du relativisme et du tout à l’ego. L’historien Georges Dumézil, cité par Claude Lévi-Strauss qui l’admettait sous la coupole de l’Académie française en 1979, n’avait-il pas vu juste en disant qu’un « peuple qui n’aurait pas de mythes serait mort », ou bien que « tout récit mythique ou légendaire pose implicitement des questions philosophiques et morales », ou encore que « cette collection de ressorts bien agencés constitue la conscience morale des peuples » ? Le Japon n’a-t-il pas son mythe impérial, l’Allemagne ses grands arbres, la France son surmoi monarchique et révolutionnaire, la Russie ses mythes slavophiles, celui de la « troisième Rome », celui de l’affrontement éternel entre la Sainte Russie et l’Occident impur, entre le catholicisme et l’orthodoxie ? Comment comprendre, s’interroge Henri Guaino, « que même pour des esprits éclairés, il soit si difficile d’admettre que notre nature ne change pas et joue un rôle essentiel dans tout ce que nous faisons, ou d’accepter l’idée que nous portons en nous des héritages de civilisations et de culture qui se transmettent très longtemps, de génération en génération. La résistance à ces évidences explique que bien des intelligences passent à côté des crises de civilisation et en réfutent même la possibilité. » L’historien Fernand Braudel pour expliquer que nous sommes liés les uns aux autres parlait de « ce commandement informulé, informulable souvent et qui jaillit de l’inconscient collectif. »

Dans cet essai stimulant, nous retenons cette belle idée selon laquelle l’identité française est dialectique : « En elle s’opposent et se dépassent les contraires : idéalisme et empirisme, unité et diversité, liberté et égalité, classicisme et romantisme, parisianisme et provincialisme, jacobinisme et girondisme, Descartes et Pascal, Voltaire et Rousseau, tout cela a fait la France et les Français. »
Nous aimons aussi nous rappeler avec Kundera que le tragique ne peut disparaître dans l’Histoire ; penser que la démocratie libérale et le marché sont indépassables et nous garantissent paix et félicité, penser que le tragique est une vieille réminiscence, constitue « peut-être le vrai châtiment » qui nous frappe.

 


Michel Serres se prend pour un révolutionnaire
Michel Serres se prend pour un révolutionnaire
Une élection ordinaire…
Une élection ordinaire…
La littérature, Israël et la France
La littérature, Israël et la France

Commentaires


Pseudo :
Mail :
Commentaire :