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C’était l’année… 1979

C’était l’année… 1979

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Dans la préface de son ouvrage 1979, Le grand basculement du monde, le journaliste et essayiste Brice Couturier cite l’écrivain Amin Maalouf qui donne sa vision de ce que fut cette année :
« En 1979, se sont mis en place les paramètres politiques et intellectuels qui ont façonné le monde tel que nous le connaissons aujourd’hui : la montée de l’islamisme radical et, plus généralement, des tensions identitaires ; et la montée d’une nouvelle forme de gestion économique, caractérisée par un reflux des politiques sociales et par une dénonciation de l’État-providence. Les deux évènements emblématiques de cette évolution sont le triomphe de la révolution iranienne, en février 1979, avec la proclamation, par l’ayatollah Khomeini, d’une République islamique ; puis, trois mois plus tard, en mai, au Royaume-Uni, la victoire électorale de Margaret Thatcher et l’avènement de ce qu’elle a appelé sa "révolution conservatrice", qui allait influencer les dirigeants du monde entier. »
Couturier va plus loin :
« Une succession d’évènements absolument imprévisibles et constituant autant de ruptures avec les grandes tendances historiques préexistantes a généré les figures de Margaret Thatcher, Jean-Paul II, Deng Xiaoping ou Ronald Reagan qui, aussi différentes qu’elles nous apparaissent, avaient cependant en commun un esprit revivaliste, la volonté d’affronter les défis de la modernisation en s’inspirant d’une tradition puissante. Tous, ils réagissaient, chacun à sa manière, à une longue période de ferveur révolutionnaire qui s’était exprimée à travers des mouvements allant de la social-démocratie au maoïsme. C’est pourquoi, en 1979, les forces jumelles des marchés et de la religion, longtemps déconnectées, revinrent se venger ensemble. »
 
L’année 1979 contient une puissance créatrice de dirigeants politiques d’un genre nouveau qui constituent « d’étranges rebelles » déterminés à mettre fin à des évolutions pourtant jugées inéluctables dans leurs pays respectifs. En cette décennie finissante des années 70, la société humoristique se met en place en Occident, ainsi qu’un désinvestissement idéologique, c’est « l’ère du cool ». On parle alors de culture ludique qui ne nous a depuis jamais lâchés. L’impertinence puérile devient la marque d’une époque « où plus personne, au fond, ne croît à l’importance des choses », pour le dire avec les mots de Gilles Lipovetsky, auteur de L’ère du vide.
 
Renaud Camus a théorisé le « soi-mêmisme » pour caractériser notre époque, quand Régis Debray parle pour sa part de « tout-à-l’égo ». Trop absorbé par lui-même, Narcisse renonce aux militantismes religieux, désinvestit les grandes orthodoxies ; ses adhésions sont de mode, fluctuantes, sans grande motivation. Il est constamment en marche et se complaît dans une société liquide au sein de laquelle il se numérise. Le sujet de la nouvelle ère était réputé frivole, superficiel, désengagé, voire indifférent, mais il convenait de s’en réjouir et non de le déplorer.
 
Sur le plan économique, un vent libéral souffle et Milton Friedman, théoricien de la mondialisation, affirme que le « cœur de la philosophie libérale est la foi dans la dignité de l’individu, dans sa liberté de déployer le maximum de compétences et saisir ses chances, selon son propre jugement, pourvu qu’il n’interfère pas avec la liberté des autres d’en faire autant. » Le doux commerce cher à Montesquieu était appelé à étendre sa toile sur toute la surface du globe, le processus du ruissellement – la création d’une richesse qui profite à tous – permettant de sortir des millions de personnes de l’extrême pauvreté. Pour Couturier, « le paradigme de la modernisation » était néanmoins une idéologie typiquement américaine, par laquelle les États-Unis, projetant leur propre processus de développement sur le reste de la planète, cherchaient à en imposer les étapes spécifiques et les moyens particuliers à des nations qui ne partageaient nullement la même histoire et avaient développé des cultures différentes de celles des États-Unis. Elle postule que l’individu, autonome, rationnel et détenteur de droits, tend spontanément à l’idéal démocratique et contribue à la prospérité générale de la société à travers sa propre quête du bonheur par l’enrichissement. Ainsi se constituent des classes moyennes désireuses de mettre en place des institutions stables, la religion subit un processus de sécularisation et la paix s’impose à travers le monde par le commerce. »
 
Ce raisonnement, s’il n’est pas dénué de vérité, appuyé idéologiquement par le penseur Francis Fukuyama qui l’étayait dans son ouvrage paru en 1992, La Fin de l’histoire et le dernier homme, n’en présente pas moins des faiblesses. Comment peut-on faire fi de la dimension verticale et transcendante de l’homme, du questionnement métaphysique qui l’habite et le porte à être religieux ? Comment ne pas voir que, pour l’homme, les questions sociales, économiques, de conditions de vie, de modes de consommation sont surplombées par d’impérieuses aspirations à comprendre sa finitude ? Quête de sens pouvant le conduire soit à la sagesse, soit à la folie. Bref, bien que le libéralisme ait vaincu le communisme, on observe la résurgence d’antagonismes – plus de 50 foyers de guerre aujourd’hui dans le monde – et le grand retour des tensions entre blocs de civilisations, ce que Samuel Huntington avait bien anticipé en alertant sur ce risque majeur. En simplifiant, on peut constater un dualisme qui se cristallise entre d’un côté la vision libertaire et libérale de l’Occident et de l’autre la vision holistique irriguant de nombreuses cultures : l’arabo-musulmane, l’indienne, la chinoise, la slave, l’africaine.
Que s’est-il donc passé en cette fin des années 1970 ?
 
Les Trente glorieuses, baptisées ainsi par Jean Fourastié, soit trente années de développement continu où le niveau de vie des Français a doublé deux fois, prennent fin avec le double choc pétrolier.
En France, le clivage entre souverainistes et européistes structure désormais le champ politique national d’une manière dont nous ne sommes pas sortis depuis.
 
Ailleurs dans le monde, Soljenitsyne a prononcé son célèbre discours d’Harvard pour pointer le déclin du courage en Occident et la perte des valeurs.
En Angleterre, la libérale et protestante Margareth Thatcher arrive au pouvoir le 3 mai 1979 et défend les valeurs traditionnelles que sont la responsabilité individuelle, le mérite, le sens de l’effort, la famille traditionnelle et l’honneur britannique, le marché étant perçu par elle comme le moyen de pousser les individus à renouer avec les vertus victoriennes. Elle va profondément transformer l’Angleterre qui, non sans casse sociale, endiguera son déclin dû aux immenses efforts de guerre et à son incapacité à rebondir, pour devenir un géant dans la mondialisation économique.
Le 16 octobre 1978, le Polonais Karol Wojtyla devient, à 58 ans, Jean-Paul II, premier pape non italien depuis 1522. Sa visite en Pologne communiste, évènement considérable, où il exhorte à « ne pas avoir peur », sonne comme le réveil spirituel de la société. Les gens vont sortir de leur apathie, de l’état de désespoir et retrouver leur sentiment de dignité. L’appel du souverain pontife est entendu dans un double sens, dont celui de lutter contre la pression soviétique et communiste. Il sera parfaitement entendu, puisque d’aucuns considèrent que ce pape a été décisif dans la chute du communisme, qui connaîtra son acmé lors de la destruction du mur de Berlin en 1989.
 
Cette période est aussi marquée par l’immense tragédie des Khmers rouges au Cambodge où l’on estime qu’environ 2 millions de personnes ont péri sous les coups de boutoir de Pol Pot et de sa clique. Les dirigeants khmers arrivés au pouvoir en avril 1974 instaurèrent un régime de terreur jusqu’en janvier 1979. Formés au marxisme-léninisme dans les universités françaises, ils se réclamaient volontiers de l’héritage des Lumières et de la Révolution de 1789. Le maoïsme fait alors florès dans le monde avec ses postulats : « ambition de régénérer culturellement le peuple en l’affranchissant de toute sorte de pensée traditionnelle – comme la religion- et d’idéologie bourgeoise - en particulier du sentiment de propriété-, renvoi des citadins se faire rééduquer au contact avec la terre dans le cadre de communes rurales entièrement collectivisées, choix de l’autarcie économique correspondant aux théories du « développement autocentré » alors en vigueur dans l’ensemble de la gauche tiers-mondiste, quasi-disparition de l’Etat entièrement absorbé par le parti communiste, collectivisation intégrale allant jusqu’à l’élimination de la vie privée, suppression complète du marché, mise en place d’un puissant appareil policier chargé de repérer  et d’éliminer les déviants à la moindre incartade, appel à la jeunesse pour rééduquer, réprimer, châtier les éléments réticents… »
On assiste dans ces années-là à la chute de plusieurs dictateurs africains, Amin Dada, Bokassa et Macias Nguema, ce qui pose alors la question de la place des droits de l’homme dans la politique de coopération.
 
Du côté de l’Iran, l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeini et la révolution islamiste concomitante ont constitué le premier acte du regain politique de l’islamisme qui a ébranlé la quasi-totalité du monde musulman. La mouvance islamo-gauchiste si vivace aujourd’hui a pris son élan décisif avec cet évènement majeur du monde chiite, l’arrivée au pouvoir des mollahs iraniens et l’instauration d’une société religieuse ultra-fermée. La fiche consacrée à Khomeini par la CIA définit son positionnement politique : « Il est anticommuniste, mais ses partisans peuvent être susceptibles de pénétrations communistes ou radicales. Il a coopéré avec des groupes islamiques terroristes en Iran. Un régime iranien sous l’influence de Khomeini pourrait se montrer xénophobe et enclin à l’instabilité. Il ne serait probablement aligné ni sur les États-Unis ni sur l’URSS. » L’Iran deviendra le fer de lance du combat contre Israël.
 
Bien sûr, on ne peut penser cette période sans effectuer un focus sur l’Islam que définit ainsi notre auteur : « L'Islam est davantage qu’une religion, c’est aussi un mode de vie, une législation, une pensée politique, bref, une civilisation. Une révolution menée sous la bannière de l’islam mêle de manière inextricable la religion et la politique. Tandis que le nationalisme arabe visait à créer des États-nations inspirés de l’expérience européenne en y ajoutant des doses de socialisme, l’islamisme, quant à lui, entendait mobiliser l’oumma, la communauté des croyants, contre les anciennes puissances coloniales. »
 
Au sein de la première puissance mondiale, les États-Unis, « Jimmy Carter avait été élu pour restaurer la moralité publique, abîmée par le Watergate, et il y était parvenu », mais à présent les attentes différaient : le public réclamait une remise en ordre, une reprise de contrôle des évènements dans les domaines de l’économie et de l’international. De la grandeur en somme, une anticipation du Make America Great Again. Ronald Reagan l’avait compris en promettant de rétablir la puissance et l’autorité du pays lors de son arrivée au pouvoir en 1981.
 
1979 : année charnière qui voit la bascule du monde s’opérer vers l’islamisme et les tensions identitaires tous azimuts. Nous y sommes aujourd’hui plongés.
 


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