Guillaume Basquin : Conducteur d’ovnis
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Guillaume Basquin : Conducteur d’ovnis
Il est presque facile d’être Philippe Basquin. Surtout quand c’est Guillaume Sollers qui est aux commandes… Sans compter le continuo schuhlien, puisque l’auteur insiste sur l’hommage fait à Télex n°1 de Jean-Jacques Schuhl (Gallimard coll. l’imaginaire).
Non content d’être un simple hommage, Guillaume Basquin signe avec ce texte vitriolique Tweet n°1, (classé) X un manifeste autoévalué de l’anticonformisme salvateur selon lui. Si l’anticonformisme tend à devenir monnaie relativement courante chez les petits éditeurs – et pour cause ! –, ici l’auteur nous amène bien plus loin qu’à de simples régurgitations travaillées, mitrailleuses enragées façon droitardes, dénonciation d’un antiracisme littéraire prohibitif, etc. Tout cela est tout à fait en deçà de ce que propose ce livre, qui est bien plus qu’un livre. Ce courroux pugnace et viril, pamphlétaire à la langue sollerso-bloyenne, s’embarque à bord d’un tracteur loué chez Céline, mais pour défoncer non seulement le milieu éditorial fantoche et ses prix littéraires claniques, mais surtout un état profond occidental tentaculaire, dont les ventouses vont de la Bible et même avant jusqu’à Davos, cette « UE davosienne », comme Basquin la désigne. Faire tomber les totems sans aucun tabou en si peu de pages et avec autant de rythme, de formules ironiques et sarcastiques en seulement 112 pages n’est évidemment pas donné à tout le monde. Pour apprécier ce « teXte », le lecteur doit museler une bonne fois pour toutes ses principes moraux et scientifiques, au sens GIEC ou « covidiste » du terme, pour accueillir cette lave vomitive savante à destination d’une bassine ignorante et inculte qu’est notre société : « La nouvelle orthodoXie climatique du GIEC se fonde sur de fausses prémisses, un climat réglé n’a jamais existé, tu entends jamais. »
Autant les critiques littéraires s’emparent à l’envie des gros romans gras qui nourriront les colonnes des grands magazines, autant ils sont tous affectés et affairés à une littérature infantile, laquelle a contracté une immense varicelle, prix à payer pour être restée dans les nipes de papa politiquement correct et maman néo-féministe : « combattre la moraline & le néo-féminisme revanchard ». Affreux tandem que Basquin esquinte jusqu’à l’orgie. Car cette énergie textuelle qui s’excite toute seule sous nos yeux effarés, souvent approbateurs, soutient une véritable comédie, une « intolérable bouffonnerie ».
Mais en quoi cette bouffonnerie est-elle si intolérable ? En ce que l’auteur rassemble et concentre en ce court texte la grande énergie pamphlétaire d’un Léon Bloy, dont beaucoup se réclament mais que peu ressuscitent ; à l’image de cette référence au Pal, revue éponyme bloyenne qui avait fait les heures de gloire de sa plume critique et qui achemina nombre de personnalités audit supplice, ici ardemment souhaité pour : « l’ex-directrice du CDC américain à l’époque de l’intoX médicale généralisée Rochelle Walenstyx sera soumise au supplice du pal ; elle sera embrochée en dessous du coccyx. »
Notre monde – qui pourrait le nier ? – serait « figé sous la communication une sorte de 4e Reich pour mille ans ». Et notre humanoïde fantomatique électrisé devient sous sa plume, en continuité du parallèle osé avec l’ancien 3e Reich « l’Européen cultivé cette fin de race sans énergie sans courage & dévirilisée on n’écrit pas de chefs-d’œuvre en état de décadence ». Mais si ! Preuve en est faite par ce texte. Malgré sa « promesse de tout comprendre pour tout pardonner à tout le monde et leur apprendre à en faire autant », l’auteur décrète : « Les Français sont des veauX je répète, les habitants de l’HeXagone sont des veaux. »
L’époque n’étant plus propice à ce que l’on pouvait anciennement désigner de chef-d’œuvre, dure de passer après les 19e et 20e siècles, sauf à s’abandonner à siroter sa petite vie faussement spermatique, à « jouir à côté » comme aurait dit Céline, auquel l’auteur rend hommage « Gloire à Céline ». Et les écrivains ne s’insérant pas dans le bilan, la genèse d’une civilisation, donnent raison à cet aphorisme basquinien : « Un Déluge mal observé, c’est toute une Ère entière pour rien ! »
Tour de la bibliothèque occidentale accéléré oblige, de Sade à Orwell, de Pascal à Dante, de Sterne à Céline, du « cher Bloy » au « divin Sollers », Basquin perpétue ici une volonté de signer à son tour l’inventaire de notre littérature tout en se promettant d’y laisser sa trace. Et l’importance que l’auteur se confère tient elle aussi de l’avion : « moi, quand j’écris j’avionne », où ses chevilles gonflent dans le temps et l’espace Davo-parisien, voire mondial : « j’accomplis ainsi la translation des images & des prophéties à cette explosion voisine de mon génie universel » ou bien « je suis un inventeur bien autrement méritant que tous ceux qui m’ont précédé ». Pour rester sur les pas de Nietzsche, il fallait au moins ça… Mais puisqu’il s’agit d’une bouffonnerie, n’allons pas prendre ces mots au sérieux.
Comment le musicien en nous ne pourrait-il pas être admiratif d’un auteur voulant « mourir dans les madrigaux », formule indubitablement sollersienne s’il n’en fut, tant que passagèrement circonspect quant au tweet n° 7, dédié à la musique, et par elle à Martha Argerich ? Car après la leçon de choses vient la leçon de musique. Si l’on ne trouve rien à redire à l’ensemble, il nous faut oublier certaines apostrophes esthétisantes quant à la continuation de la musique tonale survivant à celle de l’atonalisme. Et à la question terriblement peu modérée – mais après tout nous sommes dans un pamphlet comédie – « l’art est moins l’harmonie que le passage de l’harmonie à la dissonance soledad sonora risque sublime ; en 1909, six pièces pour orchestre op. 6 Klangfarbenmelodie, l’œuvre est jouée pour la première fois le 31 mars 1913 à Vienne sous la direction de Schönberg & vous voudriez que la musique tonale continue ? » Oui ! Évidemment que nous le voulons, du moins en ce temps-là ! Qui est ce conducteur d’aéronef impénitent pour nous dire que le vingtième siècle musical aurait dû faire l’économie de Rachmaninov, Prokofiev ou encore Ravel et Roussel etc. ? Un tel franc tonalisme aujourd’hui ne pouvant évidemment avoir cité sans tomber dans la grotesque paraphrase. Nonobstant, un jugement plus ouvert malgré tout, moins binaire, pourrait laisser place à une voie hybridée de la musique contemporaine, puisque le sérialisme est en voie de caducité lui aussi, n’en déplaise aux esthètes anti néo-romantiques asphyxiés de gargarismes snobinards, à édifier le seul crédit à la seconde école de Vienne et leurs enfants en matière de composition musicale.
Cette objection faite, ne boudons pas le plaisir physique que la lecture de cet ovni procure, car l’on y sent non seulement le travail et la virtuosité, l’auteur le sait – nous l’avons dit –, mais aussi le goût du risque, ce livre levant tous les lièvres à la fois. Centrifugeur, ce texte déponctué détricote et tue une bonne fois pour toutes les deux grandes intox que l’auteur juge les plus inouïes de notre temps : le « fascisme sanitaire » en premier d’un côté, et le dérèglement climatique de l’autre. Ces deux mensonges mondiaux, propagandes planétaires, étant encadrés par ce que l’auteur nomme les « fuck checker ». Difficile d’éviter le rire, autre vertu de ce texte ovni. On soulèvera l’éloge fait au professeur Raoult, pour lequel nous applaudissons également, mais derrière ce combat une clameur palpable à réveiller le veau français pour l’acheminer à la vérité révélée « j’écris la vérité la vérité ». Suffit-il de le répéter en vibrato appuyé pour que cela soit vrai ? Doutons pour finalement être sûrs. C’est à peu près cette école aristotélicienne de laquelle Basquin se réclame, et sachonslui gré des trouvailles, lacrymales de rire, que l’auteur nous offre : « Hursula von der LaHyene » ou encore « Macaroni - TrouD’eau », et mille autres écorchures et néologismes du même tonneau, comme ce « chaosmos » dans lequel nous nous agitons. L’auteur se voulant être le Cassandre du total reset…
Sous cette lettre X, en référence au réseau social bien connu, se cache le chiffre 10, donnant ainsi le découpage en dix chapitres, dix tweets pensés et contrôlés par les mathématiques, en référence également à Nombres de Philippe Sollers, mais dont les résonances fourmillent bien en amont, en convoquant Galilée et Copernic, puis Pascal. Depuis les mesures liberticides imbéciles du Covid-19, Basquin nomme la science la « chienche », dernière gifle qui claquera tout au long des dernières pages ce poème brulot.
S’il y a bien une raison, une parmi d’autres, de lire ce teXte, c’est que peu ont ce pouvoir de nommer poétiquement et musicalement les choses. L’auteur jugeant son texte de « partition », on ne peut mieux résumer l’organisation contrapuntique de ce flux grouillant sous ses yeux, entre ses mains, dans son cerveau… Et ce dialogue entre le « possédé » et le « complotiste », sur le mode du Dialogue entre un prêtre et un moribond du marquis de Sade, a de quoi séduire. Non seulement quant à la magie de répartir ainsi la trame narrative, mais pour nous dévoiler la dualité et la culpabilité auxquelles le complotiste se trouve assigné par la sagesse de la « chienche », qui a possédé les esprits telle une amibe. Le seul bémol véritable, nous sommes en France, serait l’utilisation abusive de citations et longues phrases en anglais, pour lesquelles on suppose que l’auteur pense que le lecteur – à qui il s’adresse souvent – devra se débrouiller avec ces mêlasses polyglottes. Tour d’horizon de la grande littérature oblige, Laurence Sterne est maintes fois évoqué, rareté cohérente qui définit également ce livre. Non que l’on veuille abonder à gonfler cet ego au kérosène dont il est déjà rempli, mais il serait honnête de dire que la caractéristique de la vraie littérature, pour peu qu’elle existe encore, se décèle dans sa capacité de prendre le pouls de notre monde, de ses pathologies chroniques, de ses déficiences mentales. On ne résiste pas à conclure en nous rangeant derrière Basquin : « Il est humiliant de voir que notre expérience livresque de tous les pays & de tous les siècles nous laisse encore avec des préjugés de blanchisseuse », ou bien « pour étouffer toute révolte […] il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes l’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes acquises ; toute doctrine remettant en cause ce système nouveau doit d’abord être désignée comme subversive & terroriste & ceuX qui la soutiennent devront ensuite être qualifiés & traités comme tels sous le mot-valise de "complotistes" », et enfin, sur l’importance qu’il confère à la contradiction, fermant du doute aristotélicien devenu hégélien, célinien tant que sollersien : « la contradiction est la règle pour le vrai, la non-contradiction pour le fauX […] pour Aristote le doute est le commencement de la sagesse quand pour les merdias c’est le début du complotisme cherchez l’erreur et choisissez vot’ camp ».
Guillaume Basquin se moquera bien de notre avis, et il aura raison ; tout comme la raison se niche progressivement mais sûrement du côté de l’oubli, étant donné le peu de recensions de ce livre faites par le milieu littéraire. Il faudra compter avec cet écrivain pour percer et s’immuniser avec les « oreilles de l’âme » contre notre présent marteau-piqueur, notre société en travaux perpétuels, poubelle mentale revêtue en Vuitton, fausse liberté cadenassante dopant la psychiatrie. Certains remèdes sont là. On verra.
Tweet No 1, (classé) X, de Guillaume Basquin, éd. Tinbad, 2025, 112 pages. 16 €.