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Hommage à Jean de Viguerie

Hommage à Jean de Viguerie

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Le professeur Jean de viguerie est mort le 15 décembre 2019. C’est une grande perte pour l’histoire des idées, la pensée contre-révolutionnaire et l’université française. Il était également père d’une nombreuse famille et c’est comme gendre que je voudrais l’évoquer ici. J’avais à peine 19 ans lorsque je le rencontrai pour la première fois. Je ne connaissais que son Histoire et Dictionnaire des Lumières (éditions R.Laffont). J’imaginais un professeur comme j’avais pu en côtoyer souvent, méprisant voire pédant. Les premières discussions m’ont détrompé rapidement. Mon beau-père partageait avec plaisir sa science et sa sagesse. Il s’adressait à chacun à la manière polie et humble des grands esprits. Les conversations sous forme de dialogues argumentés amenaient souvent aux questions essentielles. Si je proférais quelques inepties, il prenait le temps de me remettre sur les rails avec les références et les lectures nécessaires. Son savoir, fruit d’un travail acharné, reposait sur une immense culture et d’arides lectures. Ce faisant, il guidait l’esprit de son interlocuteur à la manière des philosophes antiques dont sa jeunesse avait été nourrie. Les jeunes gens savaient trouver chez lui un sage bienveillant et indulgent. Il voyait dans chaque intelligence un esprit à qui donner de la nourriture. Son livre, Les Pédagogues (éditions du Cerf), éclaire de façon très juste cette façon d’enseigner. Il y a écrit que l’enfant naît intelligent et que la première éducation était de commencer par lui parler. Il s’opposait aux philosophes des Lumières.

La Poésie est la sentinelle de la civilisation

La transmission du savoir a été une quête toute sa vie. Bien qu’il se comparait souvent à son saint patron qui prêchait dans le désert, il a écumé la France et l’Europe pour donner des conférences. Il aimait cet exercice. Chacune était le fruit de plusieurs heures de travail. Il les écrivait toutes. Je me souviens plus spécifiquement de celle donnée lors de sa réception aux Jeux Floraux devant un parterre de vieux mainteneurs. Le sujet était la poésie à travers le temps. Sa thèse défendue brillamment montrait que la poésie était la sentinelle de la civilisation. Son absence, comme l’absence des animaux avant une catastrophe naturelle, est mauvais signe pour une société. Le dix-huitième siècle en fut une belle démonstration. Outre l’aspect historique, le sujet de cette communication n’était pas anodin. Jean de Viguerie aimait la poésie. Il connaissait plusieurs vers par cœur. Le jour de sa mort, il lisait un de ses poètes préférés, le grand Malherbe. Il partageait avec le poète cette sensibilité pour la beauté de la nature. Tous les jours, il partait faire une promenade, qui lui permettait de réfléchir aux idées de ces livres. C’était aussi l’occasion de contempler la campagne et de parler avec ses enfants ou amis sur tous les sujets. Il aurait pu écrire un traité sur la façon de trouver les meilleures idées en marchant.  

Est-ce que cet enfant lit ?

La lecture pour lui était la source de tous les biens. Combien de fois disait-il : est-ce que cet enfant lit ? Si la réponse était négative, il encourageait vivement les parents à le faire lire pour nourrir son cerveau. Il pouvait aussi vous donner envie de lire tel ou tel livre rien qu’en racontant son histoire. Si cela vous intéressait, il vous prêtait volontiers ce livre après une recherche dans sa grande bibliothèque. Cela m’arriva au tout début. C’est comme cela qu’il m’a fait découvrir les trois réformateurs de Maritain mais aussi Louis Jugnet qui avait été son maître. Ce dernier n’ayant pas beaucoup écrit, il complétait sa pensée en y ajoutant ses propres découvertes et son propre enseignement. Il faisait ainsi œuvre de transmission.

Cinq livres

C’est ainsi qu’il y a quelques années, Jean de Viguerie m’avait laissé un trésor. Voulant écrire quelques lignes dans Mauvaise Nouvelle, je lui avais demandé quels seraient les cinq livres qu’il jugeait les plus importants, ceux qui l’accompagneraient dans un endroit désert. Il m’avait répondu par courrier : l’Imitation de Jésus Christ, Malherbe, Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand, Eve de Charles Péguy et la Cité Antique de Fustel de Coulange. Malheureusement, aucune explication n’était donnée. Était-ce le signe de l’intimité de ce choix ? Peut-être. Aujourd’hui, l’enquête me revient. J’ai donc cherché dans mes souvenirs et dans ses écrits les raisons de ce choix. Comme on peut le voir, cette liste comporte des œuvres de poésie, un livre d’histoire, une œuvre littéraire et un livre de piété. Tous sont des classiques écrits dans une admirable langue.

La poésie est première

La poésie est première par la quantité. Il faut donc s’y arrêter quelques instants. La poésie approche au plus près le mystère de la nature et de l’homme. A travers elle, on se tient au premier balcon du théâtre humain. Qui, à part Péguy dans la prouesse d’Eve, aurait vu le vrai sens de la patrie dans ces vers dont se fait échos le livre Les deux Patries (éditions DMM) :

Heureux ceux qui sont morts pour des cités charnelles
Car elles sont le corps de la cité de Dieu.
Heureux ceux qui sont morts pour leur âtre et leur feu,
et les pauvres honneurs des maisons paternelles.

Péguy avait choisi la patrie des anciens, la vraie, celle qui vient de la terre, la charnelle en opposition à la patrie révolutionnaire, idéalisée et fluide. Mon beau-père ne pouvait qu’apprécier la vérité découverte par ce poète qui ne s’est pas laissé berner par un sentiment patriotique révolutionnaire, contrairement à nombre d’historiens, penseurs ou analystes de cette époque et même de la nôtre ! La poésie est aussi le fruit d’une réflexion donnée sous une forme particulière, destinée à être récitée plutôt que lue. Elle constitue une des plus belles clés de la connaissance humaine. Serait-ce absurde de la rapprocher du métier d’historien ? Ne cherche-t-il pas aussi à percer la nature humaine et la cause des actes passés en les relatant dans une belle langue ? L’étude historique ne cherche-t-elle pas à comprendre le monde tel qu’il est ? Je ne peux penser qu’à l’admirable et le plus poétique livre de Jean de Viguerie sur Madame Elisabeth (Le sacrifice du soir, éditions du Cerf). Car sous le travail scientifique de l’historien perce une poésie des mots qui rendent ce livre inspiré. Il faut avoir longtemps côtoyé les poètes pour comprendre le sens du sacrifice de cette femme, bientôt bienheureuse. L’autre poète choisi est Malherbe. C’est le poète classique par excellence. La forme est parfaite, les images sont directes et vraies. Jean de Viguerie aimait le grand siècle, celui de la grandeur et du triomphe du catholicisme remplit de Saints.  

Le passé ne meurt pas

Dans sa sélection, mon beau-père a choisi un seul livre d’histoire : la Cité Antique, œuvre de Fustel de Coulange considérée comme un des premiers livres de l’histoire scientifique. Lors de la lecture de la préface de ce livre, je suis tombé sur une phrase qui lui a sûrement inspiré le titre de son ouvrage autobiographique le Passé ne meurt pas (éditions Via Romana). Je la redonne in extenso tant elle est magnifique et explique très bien le sujet de cet ouvrage :

Heureusement, le passé ne meurt jamais complètement pour l'homme. L'homme peut bien l'oublier, mais il le garde toujours en lui. Car, tel qu'il est à chaque époque, il est le produit et le résumé de toutes les époques antérieures.

Le livre de Fustel de Coulange est une étude sur l’antiquité. L’auteur veut nous prévenir qu’il faut garder une distance avec le siècle étudié. Les Romains et les Grecs sont différents de nous par leur croyance. Une comparaison trop poussée avec notre époque serait dangereuse et amènerait à des contrevérités. Ces dernières ont inspiré la Révolution Française qui y a puisé tout son arsenal répressif et mortel. Pourquoi donc ce choix ? Je pense que c’était d’abord pour l’approche scientifique du travail d’historien et aussi parce que Fustel de Coulange cherchait à comprendre les hommes de l’époque antique en ne négligeant pas celle de leur croyance. On retrouve un peu Jugnet qui disait que pour juger d’une œuvre philosophique, il faut étudier en premier la place qu’elle donne de l’homme dans cette dernière. Si je puis tenter une analogie, l’œuvre de Jean de Viguerie est tendue vers cette fin : comprendre l’homme sans idéologie, cerner le sujet dans son époque pour le relater sans concession aux modes du temps.

Le choix du livre de Chateaubriand reste pour moi une plus grande énigme. Il n’a pu être fait que pour la qualité de la langue tant l’aspect historique est entaché d’erreurs et d’inventions. Ce romantique écrivait un français parfait. Il a été témoin de beaucoup d’événements et son journal est son chef d’œuvre. C’est dans le sens du récit de l’auteur, sa façon de décrire une période, de se mettre en scène que ce livre a peut-être été choisi par mon beau-père. Toutefois, je ne me souviens d’aucune discussion à son propos. Peut-être considérait-il que l’on ne pouvait pas passer à côté de la lecture de cette œuvre représentative à elle seule du XIXème. Ou plus prosaïquement, vue la longueur du texte, répondait-il à ma question en subodorant que ce long récit pouvait distraire de longues journées solitaire sur une île déserte !

L’Imitation de Jésus Christ comme viatique

Finissons cette liste par l’Imitation de Jésus Christ. Est-il besoin de présenter ce chef d’œuvre du bas moyen-âge ? Ce livre a accompagné mon beau-père toute sa vie. Il est un viatique. Sa lecture peut sembler ardue mais tout y est. Il nous avait offert ce livre il y a quelques années. Il tenait donc à le faire partager. Je crois pouvoir dire que la piété de mon beau-père était profonde. Elle lui a sûrement permis de passer toutes les épreuves de sa vie, de parfaire son caractère et de devenir ce qu’il a été. Pour lui, le catholicisme n’était pas une option. Son travail en était pleinement inspiré. D’ailleurs, au-dessus de son bureau se trouvait la prière pour l’étude de Saint Thomas. Comme lui, il a été un bourreau de travail. On ne compte plus les cours, les livres, les recensions, les articles qu’il a écrits. Pour lui, la vérité historique s’entendait entière et sans concession à l’esprit du temps. Il nous a ouvert des chemins. A nous, enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants mais aussi amis ou possesseurs d’un peu de lui, d’imiter ses qualités, de diffuser sa pensée sans jamais trahir la vérité.

Adessias cher maître, père, beau-père, grand-père et arrière-grand-père.

C.Auzies


Les deux patries
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Les fiertés de Mauvaise Nouvelle en 2013
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Jean de Viguerie analyse le mythe du Citoyen
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