Soljénitsyne : Du déclin du courage
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Rares sont les textes courts percutant. Tel est pourtant le cas du discours sur le déclin du courage1 d’Alexandre Soljénitsyne, conférence qu’il a donnée en 1978 à l’université d’Harvard. Nouvellement réédité aux Belles Lettres, nous conseillons de le méditer, de le mâcher et le re-mâcher tant il résume bien les maux de notre société occidentale. Il est de ce fait bien plus puissant dans son analyse que les livres plus récents qui font commerce d’un pessimisme ethnocentré sur la France.
L’auteur russe fit scandale par le contenu de ce texte. Lui, l’opposant communiste, déclara : « Non, je ne peux pas recommander votre société comme idéal pour la transformation de la nôtre ». Provocation de la part d’un exilé ? Sûrement pas mais comme un père à son enfant, il nous livre une critique argumentée et charitable de notre civilisation occidentale. D’après lui, elle est devenue hédoniste, orgueilleuse et conservatrice de son bonheur, défauts engendrant son déclin. La cause, pour ce sage oriental, est le déclin du courage. Il n’est pas question du courage assimilé à la violence, ni de celui que l’on peut avoir à titre individuel, mais du courage en tant que dérivé de la vertu cardinale de force, celui politique qui maintient la société dans l’axe de sa vraie fin, le bien commun. Cette faiblesse provient de l’amollissement global de la société dont le seul vrai but est devenu la maximisation du bonheur matériel et terrestre. Pour arriver à cette fin, notre civilisation a construit un arsenal juridique régissant toute la vie des citoyens. C’est cette justice dévoyée qui nous rend faible. En effet, le droit seul est « trop froid, trop formel pour exercer sur la société une influence bénéfique. […] Lorsque toute la vie est pénétrée de rapports juridiques, il se crée une atmosphère de médiocrité morale qui asphyxie le meilleur élan de l’homme » Etonnant constat de la part d’un homme qui a été persécuté dans un pays dont la moindre justice était absente. Pourtant, il vise juste, la justice moderne est anthropocentrée. Elle oublie ce qui lui est supérieur : le plan spirituel qui, seul, peut produire des grands hommes.
En effet, nos sociétés civilisées ont limité la liberté de ces membres à celle octroyée par la justice qui régit le bien et le mal en dehors de tout aspect supérieur, en dehors du bien commun. Les épisodes malheureux du droit à l’avortement, du mariage homosexuel sont des exemples des déviances de cette justice non maintenue dans son bon axe par la vertu de la force. Même s’il y a eu oppositions et combats, ils furent strictement encadrés par la légalité. Triste démonstration de la phrase de l’auteur russe : « à partir d’un certain niveau de problème, la pensée juridique pétrifie : elle empêche de voir les dimensions et le sens des événements. » Prophétique ! Sûrement, nous sommes devenus des conservateurs incapables de dépasser les limites du cadre. On pourrait faire nôtre cette autre phrase de Soljenitsyne utilisée dans un autre contexte : « la pensée occidentale est devenue conservatrice ; pourvu seulement que le monde demeure tel qu’il est, pourvu seulement que rien ne change ! ». Mais qu’avons-nous oublié ? Nous avons perdu notre courage politique mais aussi le sens du Plus-Haut, celui qui « fixait autrefois une limite à nos passions et à notre irresponsabilité. ».
C’est cette force que Soljenitsyne nous demande de retrouver, celle des décisions qui nous arrachent à notre vie heureuse, celle qui nous fait mal. Devant ce constat partagé par certains, d’un Etat démolissant les forces vitales de notre société, certains diront qu’il faut agir. Ou encore, ils souhaitent une guerre civile. On leur opposera que, pour arriver à cette situation, il aurait fallu que l’homme occidental ait gardé son instinct primaire de clan, de groupe. Or, il n’est plus cela. Il est devenu un être individuel pétri de conventions légales et angoissé de perdre son confort. Qui veut finir en prison ? Qui veut détruire le bonheur terrestre de ses enfants ? Ainsi le combat, fruit de la vertu de force ne peut être que spirituel. A ce titre, nous pourrons utilement suivre le philosophe belge, Marcel de Corte, qui notait dans son livre sur la vertu de la force2 : « la mutation de l’homme ne consiste pas dans la transformation du monde et de soi-même par la puissance des moyens matériels, mais de la surélévation de la faiblesse au niveau de la force par d’humbles moyens journaliers, en prenant sur soi et allant du fini le plus simple à l’Infini. Telle est l’école de la magnanimité : ne jamais renoncer à la finalité terrestre et céleste de l’homme ». Alexandre Soljenitsyne en sage et grand penseur avait compris tout cela. À l’homme occidental de déciller ses yeux, de retrouver le sens de sa vie et d’agir au mieux de sa conscience pour inverser ce déclin du courage si bien expliqué dans ce petit opuscule.