Judith Wiart : immuable jeunesse
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Judith Wiart : immuable jeunesse
Le titre est un faux fait divers transformé en drame de première importance. Le jour où la dernière Clodette est morte, de Judith Wiart, est comme une boite à chaussure remplie de vieux clichés en vrac de l’enfance, de l’adolescence d’une jeune femme. Sans trier, sans rien jeter, on parcourt par-dessus l’épaule de celle qui griffonne ses souvenirs. Elle a conservé son regard de petite fille dans le mille feuilles des ages de la vie. Elle a conservé cet âge où l’imagination est réellement au pouvoir. Peut-être la condition pour écrire toute sa vie…
Nous croisons l’accumulation des incompréhensions de l’enfance, où l’implicite des adultes provoque une explosion de l’imagination infantile comme une réaction en chaîne vertigineuse. Son père lui dit qu’elle a le gêne du daltonisme et elle s’imagine avoir des enfants semblables aux Daltons ; on lui dit d’arrêter de dévisager un prof et se voit traitée d’insolente sans comprendre ce que signifie dévisager et quelles en sont les conséquence ; la petite fille est bien sûr hermétique aux codes qui définissent les classes sociales et se moque bien de savoir que des nobles ont des rallyes qu’elle prend pour des courses automobiles ; par contre quand elle se fait traitée de salle communiste par ses camarades, elle comprend bien que c’est une injure.
Judith Wiart a une écriture très Nouvelle Vague, faite de flashs, chaque page est une diapositive rapidement projetée et retirée. Ces dernières ne sont d’ailleurs pas dans l’ordre mais ce n’est pas grave, le puzzle se reconstitue dans nos têtes pour nous faire jouer en lecture, jouer avec l’écrivain. Nous aussi, nous sommes restés enfant.
Les anecdotes ont-elles un sens ? Pas sûr. Alors qu’est-ce qui fait que ces images restent et encombrent nos mémoires ? L’être trouve-t-il refuge dans l’accessoire ? Toute la vie y a parfois été misée : une boum le dernier jour de colo et le monde d’écroule, puisque l’amour arrive trop tard. Et pourtant dès le début, les deuils s’échinent à faire vieillir et à quitter l’enfance, un simple amour de jeunesse bien sûr et aussi la leucémie du cousin. Foutu destin ! pourquoi faut-il toujours que l’imagination soit dépassée par ce réel sans narration ?
La narratrice est celle qui n’a jamais quitté l’enfance puisqu’elle est prof. Elle se fait la réflexion : « Je pensais jusqu’à aujourd’hui que mes anciens élèves restaient à vie dans une espèce d’état immuable d’adolescence. » Il faut bien tenter de refuser de vieillir… Son regard se porte sur des jeunes étudiants assis sur la pelouse devant la fac de lettres : mêmes lieux, mêmes positions, mêmes allures, mêmes filles et garçons… immuable jeunesse. Ce qu’elle voit, est comme toutes ces photos de classe de copain d’avant prise au même endroit et où l’on croit se voir et reconnaître d’anciens amis. Rien ne change et pourtant nous partons et disparaissons.
Le jour où la dernière Clodette est morte, Judith Wiart, Ed. Le clos Jouve, 100 pages, 19€



