Le coaching ou la mort de l’âme
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Le coaching ou la mort de l’âme
Le coaching est un corpus de pratiques qui s’est imposé en entreprise et finalement dans toutes les organisations. Ces pratiques irriguent toutes les méthodes d’animation de réunions, de résolution de problèmes, etc. Cela ressemble à un socle de valeurs communes, un allant de soi partagé largement, jamais réinterroger. Le coaching est pourtant la marque d’une idéologie à l’œuvre et ses conséquences sont bien plus graves que les simples manifestations observées tantôt avec agacement, tantôt avec amusement dans les entreprises. Ce n’est pas seulement le business de quelques usurpateurs, non plus, ce n’est pas qu’une mode dans la façon de manager… Le mal vient de plus loin et a des impacts beaucoup plus graves. L’idéologie en question n’irrigue pas seulement les entreprises mais toute sorte d’organisation.
Cela ne va pas se passer aussi simplement. Baptiste Rappin a décidé de creuser aux sources philosophiques de cette pratique. Pour ce faire il convoque, entre autres auteurs : Agamben, Arendt, Foucault, Heidegger, Maggessoli, Nietzsche, Simone Weil. Avec Les enjeux anthropologiques du coaching, il parvient également grâce à ce prisme philosophique à révéler les impacts anthropologiques.
Un outil pour la survie de l’élite
Baptiste Rappin identifie quatre types de rapport à l’être : l’infantilisation ; l’implication librement consentie, autant dire la manipulation volontaire ; la décision ; la survie de l’élite en fournissant les moyens d’expliquer les actes donc leur justification. Le coaching véhicule « Une vision instrumentaliste du monde et du management. » Tout n’est qu’outils en vue d’atteindre un objectif. Ce dernier étant d’ailleurs de plus en plus éloigné de la pure performance économique pour converger vers la domestication du parc humain. Nous atteignons le moment de confusion entre les moyens et la cible à atteindre. Via le coaching on fournit aux managers l’art de convaincre, soi-même et les autres. Le langage n’y est que dialectique. Baptiste Rappin y voit une arme de nivellement des postes à responsabilité. On pourrait même y voir une dilution de la responsabilité vérifiable dans l’explosion du nombre de comités ou commission où les décisions sont instruites et où la seule décision prise est souvent de demander un complément d’instruction. Qu’il est doux d’habiller la mariée tous ensemble, dans le respect des processus et dans l’auto-glorification de l’organisation.
Un dispositif d’adaptation de l’être à l’organisation
Le coaching réduit l’homme à un être communicationnel, on assimile facilement le cerveau à une machine, les émotions à de la chimie. « Le coaching est le lieu du biopouvoir. » Dans le coaching, même si on affiche fièrement que le but n’est pas de changer la personne, l’objectif est toujours l’adaptation de son comportement à l’environnement dans le but d’atteindre un objectif. L’environnement est une donnée, on n’y touche pas. On ne le combat pas, aussi scandaleux soit-il. On n’y résiste pas, on cultive la fameuse résilience. Donc s’il y a souci, ce n’est jamais l’organisation qu’il convient de changer, mais à l’être de trouver les moyens de s’adapter. Et les moyens, c’est le coaching qui les donne. Magie du feed-back ! Le renvoie d’image se concentre sur la personne uniquement et il lui est livré comme un cadeau. Ainsi Rappin note : « Il n’est pas de dispositif plus utilitariste et plus tyrannique que celui-ci, qui élimine, par les réorientations réitérées du feedback, toute entreprise de subversion ou de sortie du système considéré. » J’ai pour ma part été coaché deux fois dans ma carrière, c’est dire si mon entreprise investit dans ma personne ! ce ne fut pas désagréable, puisque cela se traduit finalement à parler de moi avec quelqu’un, et j’aime parler de moi… La première fois, le motif choisi par la DRH était : a-corporate. J’étais a-corporate, il fallait donc vérifier que je n’étais pas irrécupérable… peu importe si les organisations étaient scandaleuses, peu importe la technostructure hypertrophiée, peu importe le dépouillement des chefs de leurs attributs de base que sont la capacité à donner des moyens et à arbitrer, peu importe la prolifération des injonctions contradictoires ! Il fallait que je m’adapte, autrement dire, que je me la ferme, pour mon bien et celui de toute l’entreprise !
Auto-manipulation
Dans Les enjeux anthropologiques du coaching, Baptiste Rappin dénonce ce « moment historial de la mise à disposition généralisée de l’étant en vue de son utilisation. » Il s’agit là d’une mise à jour du fordisme, rien de plus. Une mise à jour d’autant plus efficace que les méthodes permettent une manipulation de l'être bien sûr, mais aussi et surtout une auto-manipulation. Tout le monde sera volontaire. Et en deçà de l’ambiance humaniste, se développe dans le plus grand cartésianisme, une démarche analytique visant à décomposer l’âme. Pour ce faire, une grande importance est accordée à l’expérience et au ressenti du moment. « Ça me fait quelque chose quelque part » va permettre d’étaler un bon paquet de niaiseries au grand jour dans lequel il faudra bien piocher pour se remettre en dynamique au service du collectif. C’est là que les racines New-age du coaching s’expriment le mieux : transformation de soi, syncrétisme, relativisme. La pratique permanente du coaching s’assimile à une spiritualité de poche tellement en phase avec notre l’époque post-moderne. Un dieu pour tous, une religion pour chacun, imaginait Maurice G. Dantec dans Grand Jonction. Et finalement, le coach s’apparente beaucoup plus à un père spirituel qu’à un psychanalyste. Les exercices confiés au coachés rappelle un certain gouvernement de l’âme. Baptiste Rappin note que le relativisme induit par cette direction conduit à une indifférenciation entre l’être et le devoir être. La singularité s’efface derrière un ensemble de comportement congruent.
Pornographie appliquée à l’âme
Les techniques du coaching finissent par s’imposer dans la conduite personnelle de sa propre vie, sans plus de nécessité de répondre à une crise ou un problème entre l’être et l’organisation. L’individu moderne doit devenir l’entrepreneur de sa propre vie afin de devenir quelqu’un. … lui-même sans doute. En effet, « Moi est un capital qu’il faut faire fructifier » (de Gaulejac). Pour ce faire, il s’agit d’avoir des outils de mesure. Rappin note qu’on assimile utilité à bonheur à plaisir. On calcule, on mesure, on quantifie la jouissance et la souffrance. Et l’objectif est de rendre le compte de résultat personnel positif et pourquoi pas d’atteindre le dernier étage de la pyramide de Maslow, l’accomplissement de soi, comme on atteint 7ème ciel…
Dans cette opération, le coaché est le témoin et l’acteur de sa propre subjectivation. « La possibilité de dédoublement de soi sur soi autorise le sujet à se créer comme sujet en même temps qu’il se constitue comme objet. » Les conséquences sont très graves bien évidemment. Et on touche là le véritable objectif idéologique et diabolique de ce corpus de pratique fondée sur une idéologie des plus dangereuses. On somme chacun de se connaître parfaitement et de tout savoir de lui-même pour mieux s’adapter au monde, et donc pour mieux réussir dans ce monde. Rappin ose la comparaison aphoristique d’une efficacité redoutable : « Le coaching est à l’âme ce que la pornographie est au corps : obscénité de la mise à nu d’un homme, abolition du jeu au profit du sérieux de la vérité vraie, forme désenchantée de l’homme hyperréel. La pro-duction au détriment de la sé-duction. » Il est vrai que l’on étale son psychisme au grand jour à l’horizontale, on aplatit son âme pour la réduire à deux dimensions, comme on zoome sur des parties organes réduisant les corps vivants à un ensemble de morceaux de viande. Le coaching retourne en place public le dedans faisant subir un prolapsus à l’âme tuant ainsi toute forme de vie intérieure. Cette vie intérieure était riche de zones d’ombres, de non-dits, de paradoxes, de schizophrénies… Par le dédoublement, elle ne devient qu’un ensemble d’émotions, de réflexes à gérer.
Nous pourrions aisément conclure avec Baptiste Rappin que « La subjectivité transparente est une subjectivité suicidaire. » Avec le coaching, nous avons là une façon nouvelle de confirmer la prophétie de Marx qui voyait dans le capitalisme le projet de réification de l’être et de toute forme de vie. Derrière de simples expressions entendues partout comme : il faut que je gère mon stress ; il faut que je gère mes émotions etc., se cache un vaste de projet de subjectivisation de masse, qui est selon Legendre, le nouveau nom de la tyrannie.
Les enjeux anthropologiques du coaching, de Baptiste Rappin, Ed. Ovadia, 224 pages 25€



