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La grande déculturation

La grande déculturation

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Quand Alain de Benoist titre Pourquoi notre monde devient de plus en plus laid, dans le numéro de septembre/octobre 2016 d’Eléments pour la civilisation européenne, nous nous joignons à lui en reprenant cette assertion. Et nous l’appliquons par ailleurs à la culture. Pourquoi devient-elle laide, banale, massifiée, marchandisée, monétisée ? Dans son ouvrage La grande déculturation, paru en 2015, Renaud Camus repousse la culture générique, de génération, de quartier, de groupe, de rue, du résultat, ces contrecultures ou ces « cultures de l’inculture », tandis qu’il réserve à l’authentique culture une définition de choix dont lui seul détient le secret d’alchimiste : « la culture est la claire conscience de la préciosité du temps ». Et encore : « se cultiver, c’est s’élever, apprendre à voir les choses et le monde de plus haut ». Ainsi ciselée et définie, nous comprenons au long de l’ouvrage que notre société post-culturelle nous a éloignés de cette noble notion en nous immergeant dans les flots agités de la déculturation qui est une composante manifeste de la laideur actuelle de notre monde. La culture, dans son acception moderne, est apparue « sur les ruines et presque en remplacement de l’art, de la connaissance, des Lettres et des Belles-Lettres, des Humanités, de la lecture au sens où l’on disait d’un homme qu’il avait beaucoup de lecture ». Camus nous donne sa propre loi de Pareto : « quatre-vingt-dix-huit pour cent de la culture est entre les mains, ou dans les esprits, d’un ou deux pour cent de la population ». Notre fin lettré, si favorable à une « classe cultivée assez nombreuse », initiateur d’une « théorie des sanctuaires » et d’un désir de civilisation à réinventer (évoqués dans notre chronique pour Mauvaise Nouvelle sur son ouvrage Décivilisation), ne peut se situer qu’à rebours du temps. En rupture avec l’égalitarisme de l’hyper démocratie, en opposition avec la médiocrité des sujets et divertissements qui captivent ses contemporains. D’ailleurs, il le rappelle justement : « ni la famille, ni l’éducation, ni la culture ne peuvent s’accommoder de l’égalité ». « Durant le temps de sa formation, l’enfant n’est l’égal, par convention, ni de ses parents ni de ses maîtres ».

« L’antiracisme vient au secours de l’hyper démocratie pour rendre presque impossible la transmission de valeurs, de codes, de rites et d’œuvres qui pourraient maintenir en France la prédominance d’une culture proprement « française » ». Nous touchons là le cœur idéologique de la grande déculturation. Le multiculturalisme et la religion des droits de l’homme, très synonymes, exigent, nous le savons, une table rase du passé. Contre les valeurs intrinsèques de notre civilisation d’abord, puis contre les fondements de la bonne éducation qui risqueraient de saper leur entreprise d’inféodation au Dieu-Marché mondial et tout-puissant. Ainsi observons-nous cette désespérante spirale semblable au tonneau des Danaïdes : « de même qu’à l’université, professeurs et étudiants sont en permanence obligés de faire le travail qui n’a pas été fait au lycée, qu’au lycée on s’efforce de compenser tant bien que mal les négligences du collège, que dans les collèges, on calfeutre comme on peut les trous laissés béants dans le cursus éducatif par les années d’enseignement primaire… ».

Il y a eu deux décennies « d’enseignement de l’ignorance » et « d’imbécillisation médiatique » qui aboutissent à ces exemples tristement célèbres et, il faut bien l’avouer, consternants : Sarkozy, chef de l’Etat, affirmant : « avec Carla, c’est du sérieux », et Hollande, chef de l’Etat lui aussi, qui s’est fait une spécialité, reprise en chœur par les médias dociles, du redoublement du sujet : « la République, elle n’abdique pas… ». Le mythe du progrès infini et la dévotion béate à la science sans conscience qui caractérisent nos sociétés modernes amènent Camus à exiger de la technique, de la science elle-même, qu’elle « mette un point d’honneur à défaire ce qu’elle a fait, à reconstruire ce qu’elle a détruit ». Il souhaite en outre restaurer « la parole en sa signification la plus pleine », c’est-à-dire la parole d’honneur, en lieu et place de ces mots « mis à la suite les uns des autres dans un ordre incertain » au sein de phrases qui n’engagent plus leurs auteurs.

S’interrogeant encore, fataliste, l’amoureux de l’art et de la culture véritables, de l’histoire et du roman national, semble se résigner : « que pourrait bien être un enseignement de l’art, on se le demande, en un temps de grande déculturation, quand les mots n’ont pas de sens, quand les noms ne disent rien, quand la conscience même qu’il y a du temps, et qu’il y en a eu avant nous, qu’il y a eu des siècles, n’a pas été éveillé par la moindre transmission, n’est pas sensible en le plus mince héritage ? ». L’omnipotence de l’argent, ce maître, ce baromètre absolu pour le monde moderne, cette clé de voûte des relations humaines, a fait perdre son essence même à la culture qui, aristocratiquement et jalousement, aurait pourtant dû se tenir éloignée de toute contingence matérielle. Renaud Camus donne en conclusion la parole à ce système des masses qui, par « un mélange d’inconscience de ses classes dirigeantes, de bien-pensance apeurée, d’inculture et d’opportunisme à court terme, dans un souci de changer de peuple », tient la promesse suivante aux parents de tous milieux : « donnez-moi vos enfants. Peu importe qu’ils soient riches ou pauvres, que vous-mêmes soyez cultivés ou incultes ; j’en ferai des petits bourgeois prolétarisés comme tout le monde, ignorants, sans syntaxe, bien-pensants, antiracistes et bien intégrés ». Et nous cédons le plus souvent, par couardise et fascination, à ces envoûtantes sirènes de la médiocrité et de la facilité.


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