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La grande musique de Céline selon Yannick Gomez

La grande musique de Céline selon Yannick Gomez

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Nous connaissons les marques de la petite musique de Céline. Les onomatopées, l’argot pour les tonalités et puis pour le rythme, les points de suspension, les exclamations embarquées. Yannick Gomez, dans son essai intitulé D’un musicien l’autre. De Céline à Beethoven, va plus loin. En rapprochant Céline de Beethoven, il nous donne à goûter toutes les subtilités, toute la puissance et toute l’ambition de la langue de Céline. En pianiste et compositeur, il nous donne quelques clés pour comprendre comment cette dernière est construite. Ne serait-ce que sur les fameux points de suspension, Yannick Gomez souligne qu’ils servent à conduire le récit, lui confèrent un rythme, et aucunement comme ellipse pour décrire l’indicible. De la même façon, le musicien note l’usage très précis de l’octosyllabe chez Céline. D’emblée, il nous place loin d’une intuition commune qui met Céline du côté des écrivains improvisateurs sur la base du langage parlé. Au contraire, l’œuvre, même si elle puise son origine comme toute composition au creuset de l’improvisation, est le résultat d’un travail d’orfèvre ; tout comme celle de Beethoven est celle d’un architecte. Ce que nous lions et entendons est une sculpture lentement travaillée. Seul ce jeu de construction qui intègre l’élimination du surplus peut nous placer en face d’un jaillissement. C’est ainsi qu’avec son approche « rieuse et sérieuse », Yannick Gomez renonce à causer de la petite musique célinienne pour nous faire fréquenter sa grande musique intérieure.

Le musicien-lecteur ose la formule : « Il faut lire Beethoven et écouter Céline » afin de nous rapprocher les deux monstres d’un coup. Et si un premier point commun devait s’exprimer, ce serait par l’entremise de ce piano forte dont Céline fit presque un personnage de roman, et duquel le compositeur sourd fera les heures de gloire. L’oxymore définit ces deux-là puisqu’il s’agit de « rester dans le cadre de la sonate, tout en défonçant ses murs porteurs ». Yannick Gomez souligne tout au long de son essai que cette modernité avant et après l’heure n’empêche pas la mémoire longue, bien au contraire. Si Beethoven fut choisi par héritage, Céline est aussi de Bach. Il y a de la fugue chez Céline, « cet empilement de voix reproduisant le même motif en décalé » ; on retrouve également la pratique des variations. Yannick Gomez note que Beethoven comme Céline aiment flirter avec le grotesque et le pompeux, avec leur propre caricature, c’est ainsi qu’ils expriment la parodie de l’espèce humaine à travers eux-mêmes et leur œuvre. C’est dans ce trait de composition que le goût de Céline pour l’opérette se retrouve.

Notre auteur rappelle que Céline fut musicien lui-même, pianiste précisément, et il se qualifiait lui-même de musicien raté. Je ne peux m’empêcher de songer à Gainsbourg qui fut un peintre raté. « La musique devient alors un fantasme de réalisation via le verbe pour Céline. » Et dans ma réflexion, je prends conscience que Beethoven compose en peintre, que Céline écrit en musicien, que les deux se font architecte ou orfèvre de leur œuvre et je pense à tous ceux qui ont convoqué l’art des autres, tous les beaux-arts, dans leur propre œuvre : Baudelaire, Huysmans, Suarès, Satie, Nabe, Proust… C’est peut-être ça, être un grand artiste : convoquer l’art d’autrui dans le sien, le muter, le traduire dans la langue que l’on s’est choisie.

Tout au long de son essai, Yannick Gomez égraine les points communs entre les génies de leur art respectif. L’un d’eux est de faire en sorte que le microcosme épouse le macrocosme. Ils savent « traduire l’infiniment petit comme l’infiniment grand ». Et pour ce faire, ils semblent être dotés d’extra-lucidité : ils savent capter par leur œuvre leur temps. Il faut dire que tous deux ont livré bataille dans leur œuvre comme ils ont livré bataille dans leur vie. L’outrance leur sert de poésie pour exprimer la joie au travers de la souffrance.

« Beethoven et Céline sont pour beaucoup l’avers et le revers d’une même médaille. » Et si les deux ont capté leur époque, leur réponse à cette dernière peut être rapprochée. Leur recherche philosophique non théorisée ressemble à une utopie pacifiste d’une fraternité. Via leurs œuvres, il ne s’agit pas moins que de parvenir à « l’effacement de l’ardoise salée d’une vie d’épreuves », qu’à « l’oubli de toutes les vacheries ». L’Ode à la joie est bien évidemment le climax qui le symbolise. Quant à Céline qui rejoignit les extrêmes, il semble au final flotter au-delà. Reste leur désir de grandeurs, leur soif immense de reconnaissance et leur certitude d’avoir une postérité, d’être des classiques.

D'un musicien l'autre : De Céline à Beethoven, essai de Yannick Gomez, Éd. Nouvelle Librairie, 180 pages, 16€


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