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La littérature au service de la vérité et réciproquement

La littérature au service de la vérité et réciproquement

Par  

Un prêtre marié, Barbey d’Aurevilly

Avec Un prêtre marié, Barbey d’Aurevilly a-t-il écrit le roman catholique par excellence ? Certainement, et pourtant nous allons renoncer ici à toute glose sur l’illustration des concepts catholiques de la réversibilité ou la communion des saints. Nous y renonçons pour éviter de tomber dans la jouissance intellectuelle que l’on en retire et qui transforme au final la doctrine catholique en dialectique… Nous allons simplement causer littérature.

Sombreval est un prêtre ayant apostasié la foi au gré de la Révolution française. Marié, sa femme apprend sa vraie nature qu’en couche et en meurt. Calixte, la fille au prêtre, est marquée au front d’une croix rouge. Découvrant la foi et le péché de son père, elle décide de le sauver en devenant carmélite en secret. Néel, jeune aristocrate émigré polonais, tombe amoureux fou de Calixte. Et la malédiction, prophétisée par la Malgaigne, mère nourricière de Sombreval, s’abat sur tous.

Ce qui marque dans Un prêtre marié est la capacité de la narration à être le véhicule idéal pour l’expression de la vérité. La réciprocité de cette règle est qu’Un prêtre marié révèle que le catholicisme rend possible la littérature, avec ses aventures et ses héros.

La littérature comme véhicule de la vérité

L’histoire d’Un prêtre marié est une malédiction qui foudroie et pourtant le lecteur survit. La narration se fait par l’intermédiaire de Rollon Langrune, dandy à l’image de l’auteur qui communique son enthousiasme au lecteur. Il organise le mystère et procède par des effets d’annonce rappelant l’hameçonnage des feuilletons. La Normandie est utilisée comme la caricature d’elle-même pour faire émerger la tragédie par contraste. Ainsi, « La plus basse de la basse Normandie » est ce « pays de mœurs réglées, monotones, uniformes, … » Les superstitions y sont les aventures que l’on est incapable de vivre. Par contraste, l’amoureux fou de la fille au prêtre, le Polonais habité de violence, ne peut que se détacher.

Le narrateur abuse de références pour épaissir le mystère et renforcer la distraction. Sont convoqués en vrac aussi bien Rob Roy, qu’Homère ou Shakespeare. L’appel à l’imaginaire entretient le suspense dans une histoire où le dénouement est connu d’avance. Tout est annoncé par la narratrice présente dans la narration : la Malgaigne. « Grande comme les superstitions du pays », c’est elle la véritable tisseuse de l’histoire par avance. « L’éternelle rodeuse de cette histoire » revient obstinément pour permettre à la tragédie de s’accomplir, aux prophéties de devenir auto-réalisatrices. Cette Malgaigne permet au narrateur et à l’écrivain de feindre l’impuissance vis-à-vis de l’histoire.

Cette façon qu’a l’écrivain de se retirer, de se faire discret, est civilité pour rendre comestible ce qui, en temps ordinaire, nous consumerait sur place. Comment dire en société que le plus grand mal qui soit, celui qui est à la source de la chute et de la damnation, est un péché contre l’esprit ? L’incarnation de cette vérité dans une histoire est un moyen de la faire passer. Barbey rajoute des effets narratifs pour s’assurer que cette vérité nous parvienne.

La vérité au service de la littérature

La foi catholique véhiculée par le conteur Barbey permet à l’aventure de voir le jour et au héros d’émerger. Le héros, c’est Néel. L’aventure, l’amour impossible. Pour que l’amour soit rendu impossible, il faut que l’être aimé se soit donné la mission de sauver son père du péché. Le fait générateur est un péché contre l’esprit : « Un prêtre marié a corrompu jusqu’à la notion de la loi. » Barbey précise en parlant du statut conféré au mal : « Il l’avait légalisé ! » Sombreval veut sauver sa fille avec la chimie. Néel veut se sauver avec Calixte par amour. Deux hommes prêts à tout pour Calixte, deux faces de l’amour humain, l’adoration et l’idolâtrie, une aventure et une impasse, un héros et un gâchis de Dieu.

L’aventure de Néel est l’amour absolu. L’aristocrate reconnaît immédiatement la possibilité de souffrir. « Les chevaliers se reconnaissent toujours. » Il n’aime plus la chasse, il ne souhaite plus la guerre. L’amour transfigure l’être qui épouse les caractéristiques du héros. C’est ainsi qu’« Il avait oublié Néhou. » C’est-à-dire tout ce qu’il fut pour renaître comme le chevalier amoureux de Calixte. Il va aimer comme les saints croient en Dieu ; ce fol en l’autre va souffrir d’aimer et aimer souffrir. La fécondité de cet amour chaste s’appelle Espérance. L’amour est impossible, car Calixte qui « ne veut pas continuer une race qui n’aurait pas dû naître », s’est vouée à Jésus. La fidélité de Néel ne peut s’exprimer que dans le sacrifice. « L’essence même de l’amour n’est-il pas de souffrir pour l’objet aimé, plus qu’il ne peut souffrir, et même quand il ne souffre pas ? »

Sombreval aussi est prêt à se sacrifier pour Calixte. Mais son amour sans Espérance se transforme en idolâtrie. Son sacrifice dans la singerie d’une conversion, sa volonté de soigner sa fille d’une névrose par le mensonge est l’expression démiurgique de l’humaniste. Son agir nécessairement dépouillé de prière aboutit au déni de la mort de l’être aimé. L’un est en adoration, l’autre en idolâtrie. Sombreval résume ainsi : « Nous avons, vous pour rival, et moi pour ennemi, le Dieu de Calixte, le Dieu de la Croix. »

Qu’est-ce que la littérature ? Le mode de narration du créateur. Il y a la certitude que la souffrance sauve le monde et que l’Espérance s’exprime dans l’ironie du sort. Deux dimensions présentes dans Un prêtre marié. La souffrance sauve à cause du péché premier. L’ironie du sort rend la fille au prêtre « ange par la pureté, sainte par la douleur », et s’exprime dans la réalisation de la prophétie.


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