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Les Grecs en pleine gloire

Les Grecs en pleine gloire

Par  

Sylvain Gougenheim, historien et enseignant d’histoire médiévale à l’ENS de Lyon, signe aux éditions du Cerf un ouvrage intitulé La gloire des Grecs. Il se penche précisément sur les « apports culturels de Byzance à l’Europe romane » entre le Xème et le début du XIIIème siècle où eut lieu la prise de Constantinople par les Croisés en 1204. Le choix de cette ville s’explique par l’existence des « trois composantes, romaine, chrétienne et hellénique qui déterminent le legs transmis par Byzance au terme de son histoire millénaire ». Durant toute cette période, il y eut notamment un transfert de la littérature antique (poèmes homériques, textes historiques, tragédies) qui se fit vers l’Europe latine : « la production philosophique byzantine alimenta l’activité intellectuelle de l’Europe ».

L’auteur cite Jacqueline de Romilly qui voyait dans la civilisation grecque une volonté de comprendre l’être humain, d’en rendre compte en termes rationnels, et de transmettre cette connaissance : « l’Iliade, épopée construite comme une tragédie, et ses héros à mesure humaine habités de sentiments à la fois fondamentaux et subtils ; Thucydide, l’écriture de l’Histoire et l’analyse de la démocratie ou de l’impérialisme ; Sophocle et le sens de la Tragédie humaine, tous mettent en scène des phénomènes intemporels. Si l’Histoire peut apprendre quelque chose, c’est bien parce qu’elle peut, sinon se répéter, du moins proposer des situations analogues à des êtres qui, au-delà de leurs différences, sont susceptibles de traverser des épreuves semblables (la tyrannie, la guerre, la souffrance et la mort). Tous ces textes ont conservé de nos jours encore leur caractère évocateur et formateur. Voir l’étonnante fin de l’Iliade où communient dans un double deuil, Priam et Achille, le meurtrier de son fils ; voir Eschyle, fier de son « autochtonie » et composant pourtant une tragédie dont les héros étaient les ennemis de son peuple (les Perses) ; voir aussi, dans un autre domaine, l’idée centrale que la Vérité n’est pas quelque chose de révélé, mais qui se cherche, et se cherche en commun, par le débat. C’est ainsi qu’est née la philosophie, marquée par la volonté d’aller « de la diversité du concret vers l’universalité du concept et de l’abstraction ». A Byzance, toutes les disciplines sont enseignées en grec. Cette langue est utilisée pour la liturgie et la théologie, ainsi que pour les textes impériaux, ce qui lui donne un caractère à la fois culturel, civilisationnel et de pouvoir. Il y eut une volonté de conserver l’héritage de la culture grecque classique tout en appliquant les préceptes du christianisme. Les Byzantins s’efforcèrent de reprendre au sein de la philosophie l’enseignement des Ecritures et des Pères de l’Eglise. Entre le IXème et le XIème siècle, la majeure partie des textes philosophiques, historiques, littéraires, mathématiques firent l’objet de copies : « sans ce travail accompli à Constantinople, nous n’aurions pas aujourd’hui les versions originelles non seulement de Platon ou Aristote, mais de Thucydide, Hérodote, Eschyle, Sophocle, Euripide, Euclide, Diophante, etc., grâce auxquelles sont élaborées les éditions modernes ».

Le savoir médical grec fut transmis à l’Europe : propriétés de la pharmacie, de la botanique et de la chirurgie. « La présence de la médecine grecque devint plus visible au XIIème siècle par le biais des écrits de l’école de Salerne, la « cité d’Hippocrate » ». Les influences artistiques venues de Byzance furent majeures : iconographie, art de l’enluminure, faïencerie, mosaïques. Ainsi concernant les icônes,  l’Abbé Suger de Saint Denis retrouve-t-il « la pensée grecque sur le plan d’une mystique de l’image chrétienne ». Les icônes arrivent en Occident au milieu des dépouilles du sac de Constantinople. Les épisodes marquants des récits évangéliques étaient déjà présents dans l’art paléochrétien et carolingien (Nativité, Adoration des Mages, Baptême du Christ, Noces de Cana, Cène, Crucifixion, Ascension, Pentecôte). « De nombreux manuscrits religieux copiés dans les années 980-1020 empruntèrent désormais aux artistes byzantins les thèmes de l’Annonciation et plus encore de la Dormition de la Vierge qui connut un succès foudroyant ». La préférence accordée à la représentation de la Vierge par rapport au Christ ou aux saints est assez caractéristique de l’art religieux grec. Passé le temps des Carolingiens, une première vague d’influence byzantine atteignit le Royaume de France au cours du XIème siècle suivie d’une seconde à l’époque de la première croisade, dynamique qui s’amplifia aux alentours de 1200. Les retours de Terre Sainte, l’activité des ordres militaires, Templiers et Hospitaliers, alimentèrent ce processus d’influence par la construction et l’embellissement des églises.

Dans ce livre d’historien érudit, Sylvain Gougenheim conclut : « l’empreinte de Byzance ne se limita pas à ces apports concrets et mesurables. De Louis XIV songeant à reconquérir la Ville perdue, aux dirigeants soviétiques associant l’empire romain d’Orient à leur propre vision de l’internationalisme, en passant par les modes littéraires du XIXème siècle, nombreux furent les Européens à s’inventer un mode byzantin à leur goût. C’est là une autre Histoire, qu’il faut garder à l’esprit si l’on veut mesurer la part prise par l’empire grec dans l’imaginaire européen ».


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