Découvrez la collection Mauvaise Nouvelle, aux Éditions Nouvelle Marge.


Pierre Loti, la mer jusqu’à la lie

Pierre Loti, la mer jusqu’à la lie

Par  

Une bonne histoire est une prophétie qui se déplie inexorablement jusqu’à son terme tragique annoncé. Une bonne narration nous berce dans l’illusion que le dénouement tragique peut être évité. C’est ainsi que le lecteur tiraillé voit son être intérieur gonflé comme une voile à cause d’un simple récit. J’ai lu Pêcheur d’Islande et j’en ai encore la poitrine remplie. Les descriptions académiques au sens où elles correspondent à un moment narratif délimité, trahissent l’art poétique de celui qui a toujours regardé vers la mer depuis son enfance en Charente-Maritime jusqu’à sa mort à Hendaye, cette vaste région ouverte qui est autant une invitation au voyage qu’à l’écriture. Il contemple et peint avec ses mots : « Elle (la lumière) traînait sur les choses comme des reflets de soleil mort. »

Les personnages du roman croient aux oracles pour que leurs vies aient un sens. Des chants les accompagnent comme en galère car ils ont la capacité à la fois à célébrer le moment et à y incorporer la mélancolie future. Pierre Loti révèle que l’homme est fait pour l’aventure, pour risquer sa vie, la miser. Sa nature sauvage puise dans la conscience que le temps nous est compté. Tous les frères, les fiancés, les cousins connaissent l’universelle menace de mourir. Confrontés à l’éternité des choses qui sont et qui ne peuvent s’empêcher d’être, les pêcheurs d’Islande cherchent à remplir leur vie, en faire une aventure, un livre.

Dès lors, chacun sa guerre, sa mer ou ses amours. Le jeune Sylvestre traverse les océans pour aller se battre et mourir en Chine dans un baptême du feu. La jeune fille de bonne famille, Gaud, et le grand pêcheur d’Islande, Yann, sont amoureux. Mais Yann vit cet amour d’abord comme une malédiction pendant trois années de non-fiançailles. Il transforme son amour en guerre contre lui-même et contre la jeune fille encore trop riche. « Jamais, non, jamais, il ne serait à elle ! Comment le disputer à la mer. » Et c’est bien sûr en acceptant leur bonheur que la tragédie va pouvoir les rattraper. Ils se marient avec une conscience enfouie d’être en sursis. « Ils étaient des amoureux différents des autres, plus graves, plus inquiets dans leur amour. » La grand-mère se prend pour le vieux Siméon dans le temple et déclare devant l’amour révélé : « Je suis encore contente d’être devenue si vieille, pour avoir vu ça avant de mourir. »

La Bretagne choisie pour ce roman, est comme son Aquitaine, le pays des possibles, la porte vers l’exotisme, l’aventure, ses voyages, ses romans. Quand on est au bord du monde, on se sent une proximité avec l’au-delà. La tragédie arrive par la mer dont on ne perçoit toujours qu’un cercle quand il n’y a pas de brume. La mer est jalouse et se venge. Si les hommes sont faits pour l’aventure, les femmes sont faites pour être veuves. Elles sont comme ces chapelles remplies de plaques mortuaires, elles sont « Le tombeau vide des pêcheurs islandais. »


Songeurs et chanteurs, notes sur l'Art poétique de Pierre Boutang
Songeurs et chanteurs, notes sur l'Art poétique de Pierre Boutang
Fils du Champa de Bruno Deniel-Laurent
Fils du Champa de Bruno Deniel-Laurent
Chaise avec vue sur catafalque drapé patagon
Chaise avec vue sur catafalque drapé patagon

Commentaires


Pseudo :
Mail :
Commentaire :