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Renaud Girard : comprendre le monde par les guerres

Renaud Girard : comprendre le monde par les guerres

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Renaud Girard, correspondant de guerre au Figaro, nous donne cinquante clés pour comprendre Le Monde en guerre. Publié en février 2016, son ouvrage décrypte les conflits de ces trente dernières années. Girard prône le réalisme en diplomatie et pour la résolution des guerres, à rebours d’une lecture qui s’est souvent faite par la grille du bien et du mal et par une approche morale ayant le plus souvent généré de graves erreurs aux conséquences incalculables. Il y a 2400 ans, pour l’historien Thucydide dans sa Guerre du Péloponnèse, la guerre réside dans l’action « d’un groupe humain qui impose son hégémonie à un autre ». Cette hégémonie peut être politique, économique ou culturelle. Notre grand reporter voit sept types de guerre :

  • L’impérialisme où les Etats militairement forts « aspirent mécaniquement à prolonger leur puissance par un empire »
  • La guerre d’ingérence pour « protéger » les populations civiles : pour Girard « une guerre semi-coloniale » qui ne dit pas son nom
  • La guerre par le droit et l’économie, celle dans laquelle les Etats-Unis excellent
  • La guerre froide « où l’on ne se tue pas, ne se parle pas, ne se combat que par vassaux interposés »
  • La guerre civile de loin la plus sanglante
  • La guerre de religion, « anachronique, lancée par les groupes islamistes opérant, au sein du monde arabo-musulman, au Sahel, au Nigéria, au Levant, dans le Golfe ou dans la corne de l’Afrique »
  • La guerre masquée, celle que l’on ne se fait pas car « une destruction mutuelle s’ensuivrait », c’est la guerre nucléaire

Pour Clausewitz, « La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. », et pour Renaud Girard, si la diplomatie l’emporte encore largement sur le chaos, il est impératif que l’Occident revienne « au réalisme en politique étrangère ». La vision des néo-conservateurs d’imposer la démocratie par la force est mauvaise à double titre : par la force elle-même, et par le modèle démocratique qui s’avère non transposable dans de nombreuses régions du monde, spécialement au sein de la culture arabo-musulmane. Nous avons effectivement appris à nos dépens qu’aux printemps arabes que nous avions imaginés, suite à des interventions qui se croyaient légitimes et qui furent intempestives, succédèrent les pires hivers islamistes aux métastases virulentes. Le traitement des affaires internationales ne peut en effet pas se faire sous l’angle de la morale, du bien et du mal. L’axe du mal délimité par le président Bush après le 21 septembre 2001 comprenait la Corée du Nord, l’Iran chiite et l’Irak sunnite, alors même que le commando des attentats était essentiellement composé de wahhabites originaires de la péninsule arabique. « Ce concept creux d’axe du mal » pour justifier la guerre eut les conséquences désastreuses que nous connaissons. Après la stupide guerre en Libye contre le « méchant » Kadhafi en 2011, le renoncement des occidentaux à déclencher des frappes punitives contre la Syrie de Bachar el-Assad « a marqué la fin de la période des guerres humanitaires, des interventions au nom de la morale universelle ».

Dans ce livre, nous apprenons beaucoup de choses utiles, nous comprenons mieux le monde en guerre, le monde par les guerres. Ainsi, les Frères musulmans fondés en 1928 par un instituteur égyptien sur le modèle du parti fasciste italien avaient pour but de « sauver l’Egypte, et plus largement l’oumma des musulmans, de la "corruption" des mœurs britanniques par un retour aux valeurs islamiques ». De nos jours, ce mouvement sunnite ultra actif des Frères musulmans refuse l’influence occidentale et vise à instaurer des Etats islamiques basés sur l’application de la charia. Très présent en Egypte, en Palestine (avec sa branche du Hamas), en Syrie, en Libye, au Maroc et en Tunisie, il a longtemps été instrumentalisé par la CIA américaine pour lutter contre les communistes et les dictatures nationalistes laïques proches de l’URSS. Il semble que le monstre sorti de sa boîte de Pandore soit devenu incontrôlable. Avec le terrorisme en réponse à nos agissements conquérants au Moyen-Orient, réapparaît ce que l’on appelait jadis au XIXème siècle une "question d’Orient" : « Le radicalisme wahhabite, sorte de cancer, de puritanisme obsessionnel, interdisant la moindre prise de distance avec les règles ayant régi une société bédouine du VIIème siècle, qui a réussi à projeter ses métastases dans le monde entier en n’épargnant aucun continent. »

Sur la question russe, Girard affirme une vérité selon laquelle « compte-tenu de son histoire, la France devrait être à l’avant-garde de la relation entre l’Union Européenne et la Russie ». Cette dernière, logiquement jalouse de sa zone d’influence, est un immense pays, doté d’une culture puissante, qui « se sent le droit d’intervenir partout (Crimée, Ukraine…) pour protéger ses sujets russes et russophones ». Notre journaliste énarque poursuit : « Dans la Russie orthodoxe, la liberté de l’individu compte moins que la gloire de la nation. La société russe est différente de la nôtre. Si l’on persiste à ignorer la fierté russe, à faire fi de l’héritage du patriotisme soviétique, on ne comprendra jamais ce monde-là. Le fait que nous ne voudrions pas, chez nous, être gouvernés par un Poutine ne signifie absolument pas qu’un tel sentiment prévale en Russie. » Point de divergence ici, car nous considérons de longue date que c’est bien un Poutine qu’il faudrait pour diriger notre pays la France. « A quoi sert d’humilier la Russie ? », c’est la question que nous posons de concert, en revanche, avec Girard ?

Concernant le martyre des chrétiens d’Orient, nous avions commenté pour Mauvaise Nouvelle l’ouvrage de Sébastien de Courtois Sur le fleuve de Babylone, nous pleurions. Le crépuscule des chrétiens d’Orient. Renaud Girard affirme que c’est à l’été 2014 avec la chute de Mossoul aux mains des fanatiques de l’Etat islamique que le grand public occidental a réalisé le drame de l’éradication des chrétiens d’Orient. Nous pensons de notre côté que l’opinion, comme nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire, demeure parfaitement indifférente au sort de ces minorités chrétiennes implantées en Mésopotamie depuis le IVème siècle. Ainsi va la vie narcissique d’homo-œconomicus en Occident, parfaitement indifférent au sort de ses coreligionnaires.

Avec lucidité, Renaud Girard évoque le danger que représente la Turquie, ses 80 millions d’habitants et son sultan Recyp Erdogan. Il constate la folie d’Angela Merkel et sa promesse unilatérale d’accueillir 800 000 réfugiés. En cédant au triple chantage imposé par les Turcs (obtenir 3 milliards de budget européen, rouvrir le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne, octroyer sans réserve des visas à tous les citoyens turcs) pour qu’ils acceptent de reprendre les hypothétiques refoulés du droit d’asile européen, Merkel a démontré que la démocratie est morte dans l’Europe fédérale et technocratique telle qu’elle existe, et que la chancelière allemande appartient bel et bien à la caste des élites mondialisées qui ambitionnent de construire un monde multiculturel sur les ruines de l’ancienne civilisation chrétienne.

La prétendue « fin de l’Histoire » avancée par le philosophe américain Francis Fukuyama n’était que pure fantaisie et aventureuse prédiction. L’Histoire est là et bien là avec son cortège de guerres, de violences, de drames, son tragique, son lot d’incertitudes, sa folie qui n’a jamais quitté les hommes de toutes les civilisations qui se sont succédées. Régis Debray, quant à lui, peut offrir une conclusion utile : « L’uniformisation techno-économique a provoqué en contrecoup une formidable fragmentation politico-culturelle du monde, où chaque peuple se raccorde à ses racines pour se redonner une appartenance et qui retrouve ses racines, notamment religieuses, a toutes les chances de retrouver ses vieux ennemis. On peut le regretter mais ce phénomène, la post-modernité archaïque, couvre les cinq continents. C’est en quoi l’idée d’un monde réconcilié est parfaitement utopique, tout comme celle des Etats-Unis d’Europe. »


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