Rimbaud par Tesson
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« J’ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. » ; « Je suis maître en fantasmagories. » ; « Je suis un inventeur bien plus méritant que tous ceux qui m’ont précédé ; un musicien même, qui ai trouvé quelque chose comme la clef de l’amour. » ; « Mais, à présent, je suis condamné à errer. »
Comment mieux définir ce que l’on est qu’en le faisant soi-même ? Rimbaud s’y prête à travers ces aphorismes qui sont comme un condensé de sa vie. Et Sylvain Tesson vient en renfort du poète, dans son inspirant opuscule estival intitulé Un été avec Rimbaud.
L’écrivain voyageur, flanqué d’un ami, se décide au début de l’année 2021 à « répéter à pied la fugue d’Arthur Rimbaud d’octobre 1870. » Direction les Ardennes et Charleville-Mézières : « Chez le poète des Illuminations et d’Une saison en enfer, toute la vie s’organise dans le mouvement. Il s’échappe hors de l’Ardenne, cavale dans la nuit parisienne, court après l’amour en Belgique, se promène à Londres puis s’aventure à mort sur les pistes d’Afrique. » Tesson qui s’étonne que toute la population ne sorte pas marcher sur les routes -nous sommes en temps de pandémie-, n’est en réalité dupe de rien : « C’était le rêve du global network de fixer l’humanité devant l’écran, nourrie deux fois par jour à domicile. La mise en batterie de l’humanité était en passe de réussir. On regrettait le temps des auberges de grand chemin où des écoliers fugueurs pouvaient se taper une mousse en faisant des sourires aux wallonnes (deux poèmes de Rimbaud sur la joie des haltes aux tables blondes : La Maline et au Cabaret-Vert). » Arthur Rimbaud, si loin de ce que l’affreux XXIème siècle techniciste apporterait, clamait son programme de liberté : « J’espérais des bains de soleil, des promenades infinies, du repos, des voyages, des aventures, des bohémienneries enfin. »
Ecoutons donc Tesson parler de son maître en poésie et aventures : « La poésie de Rimbaud décoche des bouquets de feu. On n’en tirera pas d’enseignements sur la vie, la mort, l’amour ni l’art. Il peint des images, balance ses visions, qui sont des secrets d’initié. C’est violent, nouveau, indépassable. Le Verbe est une énigme. Tout juste peut-on tenter d’en décrypter les mystères. Les vers déchirent les brouillards et révèlent des spectacles nouveaux. Ils sont sublimes. Pas d’explications, pas d’informations. »
Arthur Rimbaud naît en 1854 à Charleville-Mézières. « En ce temps-là, nous dit Tesson, les pédagogues n’avaient pas encore expliqué aux petits écoliers qu’il fallait s’affranchir de tout héritage pour épanouir sa « créativité […] Napoléon III règne sur le Second Empire. Victor Hugo, en exil, croit à la perfectibilité de l’homme et compose des odes au progrès. Chateaubriand a quitté ce monde en comptant sur les générations suivantes pour la prochaine révolution. Le premier ballon dirigeable a été lancé, on s’apprête à percer le canal de Suez, l’éclairage public sera bientôt électrique. Bref, le passage de l’ombre à la lumière est proche. L’homme croit au salut par la Science. Le XIXème siècle ne sait pas qu’il porte en gestation un monstre qui s’appellera le XXème et dont le XXIème expiera la forfaiture. Arthur débarque dans ce stupide XIXème siècle. Il ne participera pas au concert des espérances techno-humanistes. Il ne veut pas contribuer au progrès de la condition humaine, cette fable. Son désir ? Tout réinventer, tout vivre, tout redire. » Faut-il rappeler le génie précoce du poète ? Son bulletin scolaire de classe de seconde est une énumération à la Prévert : excellence pour le premier semestre ; premier prix du premier cours d’enseignement religieux ; premier prix de vers latins ; premier prix du concours académique ; premier prix de version latine ; premier prix de version grecque ; premier prix d’histoire et de géographie ; premier prix de récitation. Il rafle tout : « Le génie monstrueux de Rimbaud est une monstruosité de précocité » ne craint pas d’affirmer Tesson.
De seize à dix-neuf ans, Rimbaud, sorte de supernova, trace son itinéraire poétique, guidé par ses voix intimes et un feu intérieur dévorant : « Et j’ai vu quelque fois ce que l’homme a cru voir ! » ; « Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème - De la Mer, infusé d’astres, et lactescent - Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême – Et ravie, un noyé pensif parfois descend. » ; « Ô la face cendrée, l’écusson de crin, les bras de cristal ! Le canon sur lequel je dois m’abattre à travers la mêlée des arbres et de l’air léger ! »
Il y a deux versants chez lui : « L’ubac : Rimbaud noir des nuits d’alcool, et l’adret : Rimbaud blanc du verbe pur. Rimbaud est certes un bon candidat à la société du spectacle, mais il serait dommage de préférer ses frasques à ses fresques » s’amuse Sylvain Tesson.
Ce dernier, comme transi face à l’insondable fascination rimbaldienne, énumère : « Reste, pour la postérité, des poncifs géniaux, fusées de la langue française : « voleur de feu », « dérèglement de tous les sens », « Je est un autre ». »