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Ritournelle de la honte

Ritournelle de la honte

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Ma mère, quand elle m’a raconté la première du Boléro, a dit son émotion, les cris, les bravos et les sifflets, le tumulte. Dans la même salle, quelque part, se trouvait un jeune homme qu’elle n’a jamais rencontré, Claude Lévi-Strauss. Comme lui, longtemps après, ma mère m’a confié que cette musique avait changé sa vie. Maintenant, je comprends pourquoi. Je sais ce que signifiait pour sa génération cette phrase répétée, serinée, imposée par le rythme et le crescendo. Le Boléro n’est pas une pièce musicale comme les autres. Il est une prophétie. Il raconte l’histoire d’une colère, d’une faim. Quand il s’achève dans la violence, le silence qui s’ensuit est terrible pour les survivants étourdis. J’ai écrit cette histoire en mémoire d’une jeune fille qui fut malgré elle une héroïne à vingt ans.

Contemplant la quatrième de couverture de Ritournelle de la faim, le lecteur s’interroge. Jean-Marie Gustave Le Clézio a-t-il écouté la même pièce musicale que lui ! Ecrit-il ces lignes sur le morceau de Ravel ? Encadré par deux pans teintés d’autobiographie, le récit déroule l’histoire d’Ethel de l’enfance à l’âge adulte et le mariage. Superbe roman d’apprentissage où le désastre de la petite bourgeoisie s’annonce avec la guerre. Avec son héroïne, l’auteur peint le tableau sombre d’un monde vivant en vase plus ou moins clos, nourri de ses rancœurs contre tout ce qui n’est pas des leurs – Juifs, étrangers, « métèques ». Conversations de salon au domicile des parents où tout un chacun est le bienvenu, où les margoulins s’enrichissent aux dépens de la famille dont le père Alexandre se laisse trop souvent emporter dans des projets mirobolants qui se révèlent des spéculations frauduleuses engloutissant peu à peu sa fortune, celle de sa femme et pour finir celle de sa fille qu’il dépouille sans scrupules. Celle-ci n’a que « dix ans à peine » lorsque son grand-oncle lui fait visiter l’Exposition coloniale au bois de Vincennes. C’est le rêve. Il achète un des pavillons qu’il projette de reconstruire dans son jardin. Hélas, la mort le surprendra avant qu’il ne puisse réaliser son désir. Son décès est l’avertissement de la désagrégation de la société. Entre-temps, Ethel a trouvé et perdu une amie, Xenia, fille d’émigrés russes désargentés dont elle admire l’éducation et la connaissance. Hitler fait irruption dans les conversations familiales. La guerre éclate. Ethel se révèle plus sage que ses parents et les fait sortir de Paris devenu trop dangereux. Nice accueille la famille dans un appartement modeste où elle vit d’expédients. Le Clézio campe un très beau portrait en cette jeune fille amoureuse, solitaire, pleine de compassion et de colère tout à la fois. La honte de ceux qui l’entourent la submerge. Toutefois, elle ne cesse de les aimer. Ouverte au monde et aux siens, Ethel rappelle l’Histoire de la honte dans ces années sombres où la France a trahi beaucoup des siens, les envoyant à une mort certaine, uniquement parce qu’ils étaient d’une autre confession que la plupart. Si la faim surgissait dans ce roman, ce serait celle de la justice, le lecteur ne pouvant se retenir de frémir à la lecture des listes des noms de ceux qui ont signé les documents infamants et la carte de « la géographie de l’horreur ».

J.M.G. Le Clézio, Ritournelle de la faim, Editions Gallimard, 2008, 207 pages, 18 €, ISBN : 978-2-07-012283-7


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