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Romance provinciale : Tout au plus un peu de plaisir

Romance provinciale : Tout au plus un peu de plaisir

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Une écriture ciselée avec précision de mots fulgurants de simplicité, cette Romance provinciale, où d’aucuns ont décelé des effluves bovaresques a très certainement tout pour séduire un lecteur amoureux d’Emma, la province polonaise n’ayant rien à envier à Rouen. Mais, toute comparaison s’arrête là. Elle s’appelle Elżbieta. Loin d’être oisive, très bonne musicienne, avec Bach et Chopin à son répertoire, elle donne des leçons de piano. Cultivée, elle fréquente les librairies, les bibliothèques et s’enthousiasme à la venue d’un poète, Fabian Miłobrzeski, dans la petite ville qui est la sienne. Sa mère, acariâtre voudrait la marier et la fiance presque contre son gré à cet entrepreneur en maçonnerie sans fantaisie aucune, un habitué de la maison, visiteur assidu des dîners et goûters offerts par la maîtresse des lieux en mal de gendre qui pourrait bien l’arracher à cet endroit où l’ennui suinte des murs.

A vrai dire, cette province m’a achevée ; ces automnes et ces printemps, ces planchers toujours couverts de boue. Et quand vient l’hiver et qu’on se met à faire du feu, c’est un véritable désastre. Quand je pense qu’il y a des gens qui passent leurs soirées d’hiver à lire des livres en écoutant la radio, qui ont des radiateurs pour se chauffer, une salle de bains qui fonctionne quand ils veulent, le gaz et l’eau courante dans leur cuisine, un cinéma dans la rue voisine, et qui peuvent aller au théâtre ou au concert – alors vraiment, je ne comprends pas pourquoi nous restons ici…

Mais, las ! La poésie vient tout changer. Elżbieta, sans illusion aucune retrouve Miłobrzeski à son hôtel après une soirée au bal populaire.

L’orchestre des frères Kaczorowski, vêtus des mêmes costumes noirs et chemises blanches sans cravate, cessa de jouer ses fox-trot, et l’ensemble Kuraś prit immédiatement la relève avec un chapelet de valses populaires. Le chef d’orchestre tirait de sa clarinette des trilles lyriques, et le trombone à l’allure de récidiviste l’accompagnait, les yeux rivés sur un point invisible, comme hypnotisé. Le contrebassiste donnait l’impression de ne pas suivre et de rattraper sans cesse une mélodie qui lui échappait, mais tous ensemble – y compris le trompettiste et le tambour – jouaient de manière très harmonieuse ; ils connaissaient leur métier.

Le poète comprend très vite le caractère romanesque de cette pianiste de province en qui il voit une proie facile sans penser aux conséquences d’une aventure soumise aux lois de l’esprit de clocher. Une fois Miłobrzeski reparti vers de nouvelles contrées, Elżbieta subira les chuchotements dans son dos sans les percevoir consciemment.

Elżbieta vivait désormais dans l’atmosphère particulière que seule peut créer une petite ville où tous se connaissent, où tout se sait et où chaque tentative de cacher à l’opinion un pan de votre vie privée se retourne contre vous. La communauté d’une petite ville considère qu’elle a le droit de tout savoir, de tout juger et de décider de ce qui doit être un secret de Polichinelle. Cette institution a cependant quelque chose d’humain : la victime des commérages bénéficie des bienfaits de l’ignorance. Le mécanisme de cette institution fonctionne plus ou moins bien, mais il fait aussi systématiquement en sorte que le proche entourage de la victime des commérages ne sache rien.

Toutefois, Elżbieta est loin d’être dupe. Son intelligence le lui interdit. La fuite vers Varsovie et ce qu’elle pense une délivrance s’avère une facture d’un montant exorbitant pour quelques instants de ce qui ne fut même pas le bonheur, tout au plus un peu de plaisir.

Dans ce train de nuit qui s’éloignait de la petite ville arrosée par un fleuve, Elżbieta avait parfois l’impression de se libérer de la puissance dévorante de sa propre souffrance, comme si elle la laissait derrière elle et se trouvait désormais hors d’atteinte. Mais ce n’était qu’une illusion ; son angoisse la ressaisit dès qu’elle fut sortie dans les rues de Varsovie.

Avec Romance provinciale, Kornel Filipowicz laisse voir qu’il n’est pas besoin de neuf cents pages pour écrire un grand roman.

Kornel Filipowicz, Romance provinciale, Les Allusifs, 2008, traduit par Charles Zaremba, 97 pages, 13 €, ISBN 978-2-92-286864-7


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