Saint Benoît : Est plus fort celui qui aime plus
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Plus potuit, quia amplius amavit ! Est plus fort celui qui aime plus, telle est la phrase gravée en lettres d’or au cœur de la spiritualité bénédictine. Telle est la pépite, la stimulante offrande, parmi d’autres, que Paul Aymard, moine au prieuré Saint-Benoît de Chauveroche, mort en 2010, distillait dans son petit opuscule sobrement intitulé Saint Benoît.
Saint Benoît de Nursie est ce grand fondateur qui a vécu au VIème siècle, en un temps des plus troublés de l’histoire de l’Europe. Il est qualifié de « père des moines d’Occident ». Deux sources principales nous renseignent sur ce qu’il fut et dans quel contexte historique il vécut : la Règle de Saint Benoît qu’il rédigeât et Les Dialogues écrits quelques décennies plus tard par le pape Grégoire le Grand.
Le contexte de l’époque était violemment chaotique. L’Occident se divisait alors en deux, avec une tête à Byzance qui se croyait en sécurité (et le resta de fait encore quelques siècles), et l’autre à Rome où tout était bien malade. Le Vème siècle avait vu déferler sur l’Europe de l’Ouest, par vagues irrésistibles, des hordes de barbares. En 452, Alaric prenait Rome. En 489, Théodoric, roi des Ostrogoths, obtenait de l’empereur Zénon de Byzance le gouvernement de toute l’Italie. Sur les riches terres du Nord, il y installa ses sujets gothiques tout en conservant un vernis de civilisation, soit les cadres et les institutions romaines. Mais les Byzantins du général Bélizaire envoyé par l’empereur Justinien (535-540) se lancèrent à la reconquête. Alors que les Goths semblaient presque vaincus, un chef de guerre du nom de Tolila se leva en leur sein et parvint à chasser les Byzantins. Les Byzantins réussirent enfin, in fine, à chasser les Goths et l’Italie redevint une province de l’Empire. En attendant les Lombards !
Et Benoît dans tout cela ? La Vie de Saint Grégoire s’ouvre sur des lignes qui révèlent son odeur de sainteté que le pape Grégoire se plaît à magnifier :
« Il y eut un homme marqué par une grâce admirable ; il se nommait Benoît. Dès son enfance, son cœur fut celui d’un vieillard. Bien au-dessus des enfants de son âge par son comportement, il délivra son âme des plaisirs des sens et dédaigna, comme flétrie déjà, la fleur de ce monde, alors qu’il aurait pu en user librement tant qu’il était sur terre. Né d’une famille libre, dans la région de Nursie, il se rendit à Rome pour s’y livrer à l’étude des Lettres. Mais il vit que, par elle, plusieurs couraient au vice, si bien qu’à peine entré dans le monde, il retira son pied, de peur que la science du monde ne le conduisît à sa perte. Dédaignant donc l’étude des Lettres, quittant la maison paternelle, renonçant à ses biens, désirant plaire à Dieu seul, il s’engagea sur le chemin de la conversion qui fait les saints. C’est ainsi qu’il s’éloigna du monde, connaissant tout déjà au fond de son ignorance, car instruit savamment. »
D’un exode à l’autre, Benoît parvint au mont Cassin, place forte alors abandonnée et devenue depuis l’assise de l’ordre bénédictin. Se trouvait là un temple très ancien où le rite antique des païens, un culte rendu à Apollon, avait laissé place à des pratiques démoniaques. Il y fit bâtir un premier oratoire dédié au bienheureux Martin et un autre à saint Jean-Baptiste. Sa vie charismatique fut à l’origine de l’implantation de la vie monastique en Italie. Celle-ci se structura en deux grands axes : la vie des frères autour de la prière et du travail (le fameux Ora et labora), et l’accueil de l’étranger comme le Christ, avec une attention particulière portée à cet étranger s’il s’avançait dans la foi ou comme pèlerin.
La vie de Benoît est un hymne à la prière continue. Les frères travaillent et le Père prie. C’est d’ailleurs toujours dans la prière, ou au sortir de celle-ci, que se déroule le miracle. La figure de la propre sœur de Benoît, Scholastique, est édifiante. Elle-même a un don de thaumaturge. Un beau jour, alors que tous deux prient et s’entretiennent en colloques spirituels, vient le moment où Benoît doit partir et retrouver le monastère et les frères. Scholastique l’invite à passer la nuit avec elle pour poursuivre leurs entretiens. Benoît refuse poliment arguant que le Père ne doit pas s’octroyer ce qu’il refuse aux frères. Scholastique, par une instante prière, fait alors survenir un terrible orage et des pluies diluviennes qui rendent impossible tout départ. Benoît, furieux, conscient qu’elle a volontairement déchaîné les cieux, la tance. Avec finesse et humour, elle lui répond : « Je t’ai prié, mon frère, et tu n’as pas voulu me répondre ! J’ai prié mon Seigneur, et il m’a entendue. Mais maintenant, sors si tu veux, rentre chez toi ! » Ils resteront toute la nuit à veiller, se rassasiant l’un l’autre en devisant sur les choses du Ciel.
La vie de saint Benoît, sublimée par celle de sainte Scholastique, est admirable et peut, si paradoxal que cela soit, susciter encore l’émerveillement d’un monde contemporain en quête de redécouverte de sens. La vie grandiose de cette figure si singulière, lointaine dans les siècles et proche par son acuité intemporelle, peut se résumer avec cette fulgurance du Cantique des Cantiques : « L’amour est aussi fort que la mort, la passion aussi implacable que le séjour des morts, ses ardeurs sont des ardeurs de feu ! »
Plus potuit, quia amplius amavit !