Houellebecq : celui qui ne sait ni écrire ni vivre
Livres Mauvaise Nouvelle https://www.mauvaisenouvelle.fr 600 300 https://www.mauvaisenouvelle.fr/img/logo.pngHouellebecq : celui qui ne sait ni écrire ni vivre
Chaque fois que Houellebecq sort un livre, il nous semble qu’il se multiplie comme des petits pains sur les rayons des grandes librairies jusqu’au Super U de proximité, il s’impose comme l’incontournable livre qu’il faudra avoir lu. Cette fois-ci, l’objet est un pavé : 730 pages. On soupçonne l’auteur d’avoir quelque chose à nous dire, on se prend à espérer que les promesses des précédents livres se voient accomplies dans un récit où l’on verrait poindre par le petit bout de la lorgnette l’homme intérieur… Et pourtant, rien de cela ne se passe. Sans sel ni saveur, le livre est facile à lire, mais encore plus facile à oublier.
Des ingrédients sans recette
Pourtant ça commençait bien. Le romancier avait rassemblé tous les ingrédients d’un roman moderne. Mettez d’abord un peu de politique-fiction semi prophétique avec la campagne d’un ersatz d’Hanouna épaulé d’un clone de Bruno Lemaire aux élections de 2027. Ensuite vous ajoutez une petite histoire de terrorisme international inspirée par un satanisme flirtant avec l’écologie radicale. Avec cet ingrédient, normalement, on est hameçonné. Rajoutez un sujet de société bien actuel, cette fois-ci, il ne s’agira pas de la pornocratie comme dans Les particules élémentaires ou de la pédocriminalité comme dans Plateforme, mais tout simplement de la fin de vie, de l’euthanasie et des EPHAD. Ce qui est censé lier le tout est un certain Paul Raison. Le héros principal, avec lequel le narrateur et l’auteur ne parviennent jamais à prendre de distance, est comme d’habitude quelqu’un de terne, légèrement dépressif, sans attache, sans aspiration, Un être déraciné, avec une culture superficielle, considérant sa famille et les autres comme une présence fantomatique, restreinte, qui n’accédaient qu’occasionnellement à sa conscience. Une sorte de caricature de l’écrivain lui-même et comme toute caricature, le personnage est peu crédible. Son indifférence dépressive ne l’empêche pas de réussir puisqu’il est conseiller spécial du ministre. Toute ressemblance avec un écrivain se retrouvant sans volonté bestseller et prix Goncourt serait fortuite.
Ce Paul Raison sensé faire le liant entre tous ces ingrédients vit une histoire d’amour qui renaît de façon un peu pathétique avec sa femme, voit son père diminué suite à un AVC, et enfin va vivre la grande aventure de la vie à savoir l’agonie grâce à un cancer. Tous les ingrédients sont donc rassemblés et pourtant Houellebecq n’en fait rien. Il abandonne les terroristes internationaux aux deux tiers du roman sans qu’il y ait de dénouement, la campagne présidentielle une fois l’Hanouna de service élu, la fin de vie du père et les liens familiaux passent également au second plan et Houellebecq se vautre dans le simple commentaire des sensations de son héros moribond. Anéantir aurait dû s’appeler Avorté car il est le roman mort-né dans l’égo du héros miroir de l’auteur, obsédé par sa finitude.
Des vessies pour des lanternes
Ceux qui attendent la conversion de Houellebecq depuis Soumission, seront déçus. C’est encore et toujours la vie de ses entrailles qui lui sert de vie intérieure. Il n’y a aucune vie intérieure chez Houellebecq. Là où la sociologie lui tient lieu de pensée politique, la psychologie remplace toute introspection. Il ne parvient pas à dépasser sa mort ni pour philosopher, ni pour faire de l’art, encore moins pour se poser la question des fins dernières. Son corps et ses émotions restent une frontière infranchissable. Avec son père contraint dans son corps depuis son AVC, il contemple les branchages mus par le vent. On se prend à rêver qu’il sera capable de contemplation, de saisir des épiphanies. Une phrase de génie surgit, il en faut au moins une par roman : « De toute façon, Dieu se tairait, c’était son mode de communication habituel. » (p 224) et pourtant il n’y aura rien d’autre, on restera sur l’expérience sensorielle de la passivité sans qu’aucun dialogue intérieur ne soit nourri. Pensez-vous qu’il puisse fantasmer sur la Jérusalem céleste ? Point du tout, son fantasme après avoir vérifié que la mécanique de la bandaison fonctionne jusqu’au tréfonds de l’agonie, c’est simplement dormir. L’agonie, vrai sujet de son livre, ne sera pas le lieu de sa conversion, mais celui de son prolongement inutile.
Le héros apprenant son cancer se vautre avec dégoût dans des livres de développement personnel et des témoignages sur des expériences de mort imminente. Cette mort, c’est le problème non transformé de Houellebecq. « Quand même le vrai sujet des religions était la mort » p727 L’évidence tautologique frôle la dialectique d’un jacques chancel à l’ORTF. La mort l’obsède mais il ne sait pas quoi faire avec. Alors qu’il n’y a qu’une chose à faire comme dirait Nicolas de Stael : de l’art. Le héros chemine vers les soins palliatifs et l’écrivain est en phase terminale. Quand il veut faire le poète dans sa lente agonie, il emprunte au psaume : « Il marchait dans la vallée de l’ombre de la mort » (p662) sans en avoir lu la suite qui ouvre sur l’Espérance d’ailleurs. C’est vrai que pour lui « Le pêché originel du christianisme à mes yeux, c’est l’espérance. » Drôle de formulation, pourquoi ne pas dire que le problème des religions, c’est la foi aussi ! La pensée exprimée par les héros houellebecquiens dépouillée de son cynisme habituel est de plus en plus pathétique. « Les chrétiens ont du mal en général, avec l’absurde, ça n’entre pas vraiment dans leurs catégories. » (p508) Et bien lui n’a aucune difficulté avec le creux.
Moraline et sociologie de comptoir
Le libidineux Houellebecq usant de la fiction pour régler ses comptes avec toutes les déclinaisons du modernisme, s’est manifestement affadis. Ceux qui le lisaient pour profiter de la pornographie en ayant l’air intello, le récit tourne jusqu’à la page 400 à l’asexualité. Nous sommes passés de l’écrivain en période réfractaire qu’il fut pour Sérotonine à l’asexualité dans anéantir. Quelques oripeaux de pornocratie parviennent tout de même à poindre avec une scabreuse anecdote autour de la prostitution de la nièce de Paul Raison, alors que ses parents sont pourtant de fervents catholiques. Anecdotes sans utilité pour le récit. Retenons-la comme un réflexe de l’auteur, un remord pour maintenir sa clientèle des premiers temps. Mais de fait, l’exhibitionniste n’a plus rien à montrer, l’écrivain n’a rien à dire. Les quelques 200 dernières pages de la lente agonie du héros se traduisent par le simple dilemme : Paul Raison peut-il encore bander ? En guise de métaphysique on fait mieux. Certains ont osé y voir le grand roman de la conjugalité, une ode au mariage… Parce que Paul Raison et Prudence se lient à nouveau après des années d’éloignement… Parce qu’ils referont l’amour. Et Houellebecq de convoquer les saintes écritures pour tenir en haleine ceux qui croient en sa conversion : « Cela avait presque été facile de redevenir une seule chair » (p427) C’est beau comme un Arlequin. C’est facile de convoquer les écritures pour suggérer davantage de fond et c’est un peu court pour dire ce qu’engendre véritablement le lien de mariage entre deux êtres. Un livre sur le mariage ? On croit rêver. Pas plus que Sérotonine ne fut un livre d’amour Nous avons là la preuve qu’une fois la pornographie enlevée, il ne reste pas grand-chose, que tout ce qu’on lui prêtait de fond, n’était qu’interprétation, projection du lecteur et critique littéraire. Houellebecq est passé allégrement du nihilisme à la niaiserie. L’animal triste gavé de jouissance a laissé la place à la satisfaction de recevoir un peu de tendresse dans son agonie. Le porc est devenu animal de compagnie. « Il y a des gens qui sont aimés jusqu’au dernier jour. » (p723) La tentative moraliste de Houellebecq échoue car elle n’est qu’horizontale. La moraline, même en phase avec le respect de la vie, ne s’encre dans aucune philosophie de l’être, est n’est que consolation pour celui qui a la trouille de mourir. La spiritualité de Houellebecq est un doudou comme elle fut un opium pour le peuple.
Anéantissement de la pensée.
Cette autofiction par anticipation lui fait flirter facilement avec la vocation prophétique de tout écrivain. Mais passons, puisqu’il est facile de jouir de ces politiques fiction, ne boudons pas notre plaisir. Les réactionnaires qui avaient goûté la politique fiction de soumission et aux saillies racistes et homophobes de Sérotonine seront déçus de la même façon, ne trouvant que de tièdes propos réactionnaires non enracinés, non réfléchis, marque d’un homme vieillissant ayant perdu toute espèce de foi dans le progrès, auquel il a bien dû gouté un jour pour être le conseiller du ministre aujourd’hui. C’est le côté non crédible du personnage houellebecquien qui réussit sans même avoir d’ambition. Nous avons droit également à une forme de sociologie de comptoir brassant quelques généralités sur le babyboom, l’impact des révolutions et les guerres dans la société etc. Sans grand intérêt ni pour nous, ni pour le cheminement du roman. On aurait pu s’attendre à une pensée intéressante sur la négation de la mort par nos sociétés occidentales de la part de Paul Raison qui combat l’euthanasie, les Ephad et décide de vivre pleinement son agonie. « Toute maladie, en un sens, était maintenant une maladie honteuse, et les maladies mortelles étaient naturellement les plus honteuses de toutes. Quant à la mort, elle était l’indécence suprême. » (p655) Et pourtant cela n’ira pas plus loin. Les agonies sont faites pour être couronner du coup de grâce. Mais, sans espérance, la mort ne sert à rien. Il s’accroche aux oripeaux de vie : « il ne demandait au fond pas grand-chose de plus à la vie. » (p480) L’aveu s’exprime timidement : « Il redevenait capable de penser, sa réflexion prenait même un tour presque philosophique, constata-t-il avec dégoût. » (p367) Houellebecq ne cherche aucune racine à rien et ne fait jamais aboutir sa pensée. Houellebecq serait intéressant sociologiquement… Comme miroir de la société, il est surtout le miroir de ses mauvais lecteurs incapables de jouir de lire, et surtout comme miroir de lui-même, enveloppe sur du néant.
Celui qui ne sait ni écrire ni vivre
Au moment de son lent naufrage fait de chimio et radiothérapie, le héros se met à lire des romans, des vrais. Et il se fait cette réflexion : « Des vies médiocres et de faible amplitude, transfigurées par le talent ou le génie ou peu importe le terme de l’auteur, auraient peut-être en outre eu l’avantage de lui faire prendre conscience que sa propre vie n’avait pas été aussi nulle que ça. » (p 668) Nous avons là par opposition la synthèse de l’incapacité narrative de Houellebecq. Si le héros est incapable de vivre, l’auteur, Houellebecq, est incapable d’écrire. On l’a souvent dit, Houellebecq n’a pas de style et n’a inventé aucune langue. Il a juste des tics de langage faits du jargon de la domesticité de l’homme. Fidèle à ses débuts, il insiste tout de même pour nous caser quelques noms de marques ordinaires Dacia, Ikea, biscotte Heudebert sans gluten, Caprice des dieux… C’est sans doute pour montrer la vanité d’un quotidien occidental, mais la ficelle finit par être grosse. Si langue il y a, la langue de Houellebecq est en fait une forme de langue de bois usant du jargon pour tenter de faire sens, à la place de l’ellipse. Il use des éléments de la domesticité de l’homme mis en étalage. C’est un truc pour amuser la galerie qui marchait bien dans un premier roman. Et on glose dessus pour dire que c’est fait exprès pour manifester l’indigence de notre société, patacoufin. Merci bien, je ne me sens pas concerné. Si on doit apprécier le style et l’œuvre d’un écrivain, en creux. Si on doit subir les arguments de ceux qui disent que c’est justement fait exprès… autant écouter les blagues de Les Nuls. Il use donc des éléments de la domesticité de l’homme mis en étalage. La domesticité étant le contraire de l’aventure donc de la littérature, l’absence de style devient la fractale de ce qui n’est plus ni un roman, ni de la littérature.
On le sait depuis le début, Houellebecq offre une littérature miroir. Et c’est davantage criant quand la trame du récit se délite progressivement renonçant à tout dénouement quel qu’il soit. Ne reste que le mauvais reflet de l’auteur menant sa thérapie et transformant ce qui aurait pu être une œuvre en un ouvrage de son propre développement personnel. Nous avons donc là le reflet de la littérature que l’on donne aux enfants. Exit l’esprit d’aventure, pour n’avoir que de la littérature miroir. Aux enfants on donne : les parents de Téo divorcent ou alors Zoé a oublié son goûter sans gluten dans le bus et Aux adultes on donne du Houellebecq. D’aucuns voient dans ce miroir un intérêt sociologique pour dépeindre notre époque. On y voit surtout la réduction de la personne humaine à des déterminismes psychologiques et sociologiques propres à l’auteur. Houellebecq a en effet une incapacité à créer une distance avec son personnage, aucune ironie ne s’exprime dans Anéantir. Ironie qui est le moteur de toute narration. Il n’y a pas de narrateur, il y a un auteur qui dit il et ouvre des guillemets pour faire semblant parfois. Aucune complicité avec les lecteurs ne peut s’établir donc aucune implication du lecteur ne peut avoir lieu. Nous lisons en simple visite, ne nous sentant pas concernés.
Au-delà de cette critique qui pourrait concerner l’ensemble de l’œuvre, Houellebecq use cette fois d’artifices grossiers pour combler son incapacité narrative à nous transporter. C’est ainsi que les seuls moments captivants sont les rêves du héros, où, comme dans tous les rêves, la juxtaposition des images créent des liens factices de causalité étranges et dérangeants. Ils ne servent que très peu le roman, renseignant simplement sur les angoisses d’une grande banalité du héros. Au-delà des rêves, comme pour compenser la pauvreté de sa narration, Houellebecq intercale des dessins et a choisi des noms ridicules pour ses personnages : Paul et Prudence Raison, l’ami ministre s’appelle Bruno Juge, Sarfati est le nom du candidat de type Hanouna, et sa conseillère en communication s’appelle Solène Signal. On l’a dit, Houellebecq offre une littérature miroir. Et c’est davantage criant quand la trame du récit se délite progressivement. Ne reste que le mauvais reflet de l’auteur menant sa thérapie et transformant ce qui aurait pu être une œuvre en un ouvrage de son propre développement personnel.
En temps ordinaire, la pauvreté de l’écriture de Houellebecq est compensée et surpassée par un passage de génie, comme ce fut le cas avec le dernier paragraphe de Sérotonine qui rachète un livre indigent. J’attendais ce moment avec impatience dans Anéantir, il ne vint pas. Paul Raison se fait cette réflexion : « On n’arrive jamais à imaginer à quel point c’est peu de chose, en général la vie des gens, on n’y arrive pas davantage quand on fait soi-même partie de ces « gens », et c’est toujours le cas, plus ou moins. » (p 77) Et au final, le héros renvoie à son auteur son incapacité à transcender sa vie par son talent ou son génie. Il n’est peut-être pas impossible que l’objectif inavoué d’Anéantir soit de prouver à la terre entière qu’il n’a pas de talent. La dernière page voit ces deux phrases conclure l’épreuve de la vie et de l’écriture. « Nous n’étions pas tellement faits pour vivre. » (p 730) et plus loin : « Nous aurions eu besoin de merveilleux mensonges. » (p 730) les merveilleux mensonges c’est l’univers narratif indispensable à la survie de l’homme. Par nature l’homme est l’inadapté, celui qui a besoin de raconter une histoire pour en être le héros et sur-vivre. Houellebecq est donc bien celui qui ne sait ni écrire ni vivre.
Un écrivain qui écrit comme on s’oublie
La seule chose dont on se souviendra c’est Huysmans que l’auteur de Soumission aura remis sur le devant de nos bibliothèques, mais de Houellebecq il ne restera rien dans l’histoire de la littérature. On oubliera cet écrivain qui écrit comme on s’oublie. Houellebecq aurait dû mourir après son chef-d’œuvre, Soumission ou La possibilité d’une île au choix. On sait désormais qu’il ne parviendra pas à relever le défi de l’homme intérieur, il ne sera donc jamais un écrivain. Il était le désir de l’être dans Soumission, il n’est plus que celui qui en est incapable. La seule phrase que nous devons retenir de ce roman malgré lui et malgré son auteur est : « Toute vie, songeait-il, est plus ou moins une fin de vie. » (p521)
Version maxi 45 T de mon article sur Houellebecq dans Le Bien Commun n° 38 de mars 2022 http://lebiencommun.net/kiosque/