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Sarah, le lumineux Cardinal

Sarah, le lumineux Cardinal

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Le soir approche et déjà le jour baisse. Le titre du dernier opus du Cardinal Sarah, expert en best-sellers, est tiré de l’Evangile de Luc. Les disciples d’Emmaüs cheminent avec un inconnu qui n’est autre que Jésus lui-même, ressuscité trois jour après sa passion et sa mort, mais ils ne le reconnaissent pas. Ils l’invitent à partager leur repas car la nuit vient. A la fraction du pain et à la bénédiction prononcée par cet homme, leurs yeux s’ouvrent mais il disparaît. En choisissant ce verset des Evangiles, qu’a cherché à nous dire le Cardinal, lui qui fut un proche de Jean-Paul II et Benoît XVI abondamment cités dans l’ouvrage ? L’entame du propos est sans équivoque : « Pourquoi prendre à nouveau la parole ? Dans mon dernier livre, je vous invitais au silence. Pourtant, je ne peux plus me taire. Les chrétiens sont désorientés. Chaque jour, je reçois de toute part les appels au secours de ceux qui ne savent plus que croire. Chaque jour, je reçois à Rome des prêtres découragés et blessés. L’expérience de la nuit obscure. Le mystère d’iniquité l’enveloppe et l’aveugle. » La nuit obscure contemporaine que connaissent le christianisme et plus largement le monde effraierait sûrement le frère carme contemplatif Jean de la Croix qui, en son siècle, l’avait charnellement et spirituellement vécue. Par son athéisme fluide, son relativisme universel, la nuit obscure frappe durement des consciences anesthésiées par le capitalisme et le consumérisme, ces valeurs reines d’aujourd’hui. Les cris de profundis du Cardinal, mélange de stupeur et de douleur, ont pour ambition d’interpeler, secouer, comme ceux de Bernanos ou de Soljenitsyne jadis. Car il n’y a plus de temps à perdre tant le mensonge a grippé les rouages des sociétés humaines, particulièrement en cet Occident dominé par l’arrogance de son rationalisme qui le conduit droit à sa perte. Le Cardinal martèle l’urgence : « Il est temps pour les chrétiens de se tenir devant Dieu et d’y conduire les autres. Celui qui prie se sauve, celui qui ne prie pas se damne, disait saint Alphonse. » Notre prince d’Église invite à une radicale conversion du cœur et de nos modes de vie : « Voici que tout à coup, nous qui pensions avoir tant d’idées importantes, de projets nécessaires, nous nous taisons, terrassés par la grandeur et la transcendance de Dieu. Emplis de crainte filiale, nous levons les yeux vers le Christ glorieux, tandis qu’à chacun de nous, il demande : "M’aimes-tu ?" Laissons résonner sa question. Ne nous hâtons pas de répondre. En vérité l’aimons-nous ? L’aimons-nous à en mourir ? Si nous pouvons répondre humblement, simplement : "Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t’aime.", alors il nous sourira, alors Marie et les saints du ciel nous souriront et à chaque chrétien ils diront, comme autrefois à François d’Assise : "Va et répare mon Église !" Va, répare par ta foi, par ton espérance et ta charité. Va et répare par ta prière et ta fidélité. Grâce à toi, mon Église redeviendra ma maison. »

Chronologie des événements fatidiques

L’assertion du Cardinal « Le monde moderne a renié le Christ. » répond à celle du fiévreux et mécontemporain Bernanos : « la société moderne, conspiration contre toute forme de vie intérieure ». Dans ce reniement réside la cause des catastrophes qui nous touchent avec une accentuation graduelle au fil des XVIIIème, XIXème et jusqu’au XXIème siècle. La décadence revêt un caractère inéluctable comme naguère le déclin de Rome. Pertinente analogie. Irréversible destin vers la chute promise. Le Cardinal, pour convaincre, appuie sur nos plaies de souffrance : « Nous avons voulu briller aux yeux du monde et, par trois fois, nous avons renié notre Dieu. Nous avons affirmé : je ne suis pas sûr de lui, des Évangiles, des dogmes, de la morale chrétienne. Nous avons eu honte des saints et des martyrs, nous avons rougi de Dieu, de son Église et de sa liturgie, tremblé devant le monde et ses serviteurs. Alors qu’il venait de le trahir, Jésus regarda Pierre. Que d’amour et de miséricorde, mais aussi combien de reproches et de justice dans ce regard. Pierre pleura amèrement. Il sut demander pardon. Accepterons-nous de croiser le regard du Christ ? Je crois que le monde moderne détourne les yeux : il a peur. Il ne veut pas voir son image reflétée dans les yeux si doux de Jésus. Il s’enferme. Mais s’il refuse de se laisser regarder, il finira comme Judas, dans le désespoir. Tel est le sens de la crise contemporaine de la foi. Nous ne voulons pas regarder vers celui que nous avons crucifié. Aussi courrons-nous vers le suicide. Ce livre est un appel au monde moderne, pour qu’il accepte de croiser le regard de Dieu et puisse enfin pleurer. »

Aux barbaries communiste et nazie du XXème siècle succèdent les barbaries plus insidieuses et tout aussi destructrices de l’abandon de Dieu, puis des repères, de l’identité, des cultures singulières, de l’histoire, ouvrant ainsi la porte à la société liquide du nihilisme, de l’individualisme, de la mort de l’âme. Chesterton avait, pour décrire les lubies de l’homme moderne, une phrase comme toujours percutante : « Quand l’homme cesse de croire en Dieu, il ne croit plus en rien. Et quand il ne croit plus en rien, il croit en n’importe quoi. » Il est si affligeant de constater combien nous sommes devenus tristes, vidés de réelle substance, changés en narcisses survoltés, emportés par les vents, incapables de rébellion. Il faut relire Saint-Exupéry qui avait tout vu de ces ruptures et du néant qui advenait. Le professeur et Pape émérite Benoît XVI, quant à lui, expliquait lors d’une catéchèse en 2012 : « L’homme séparé de Dieu est réduit à une seule dimension, horizontale. Ce réductionnisme est justement une des causes fondamentales des totalitarismes qui ont eu des conséquences tragiques au siècle dernier, ainsi que de la crise des valeurs que nous voyons actuellement. En obscurcissant la référence à Dieu, on a obscurci aussi l’horizon éthique, pour laisser place au relativisme et à une conception ambigüe de la liberté, qui au lieu d’être libératrice finit par lier l’homme à des idoles. Les tentations que Jésus a affrontées au désert avant sa mission publique représentent bien ces "idoles" qui séduisent l’homme, quand il ne va pas au-delà de lui-même. Si Dieu perd son caractère central, l’homme perd sa juste place, il ne trouve plus sa place dans le créé, dans les relations avec les autres. » De cette négation assumée de Dieu, de la volonté de le tenir pour définitivement mort découlent en cascade les événements qui orchestrent la décivilisation et la déculturation : disparition du père de famille, pulvérisation de la famille elle-même, marginalisation puis implosion des structures d’autorité (le curé, l’instituteur, le professeur, le docteur, l’avocat, l’homme politique, le représentant de l’Etat, le maire…), perte du sacré. « La perte du sens de la grandeur de Dieu est une formidable régression vers la sauvagerie. Le sens du sacré est en effet le cœur de toute civilisation humaine. La présence d’une réalité sacrée engendre les sentiments de respect, les gestes de vénération. Les rites religieux sont la matrice de toutes les attitudes de politesse et de courtoisie humaine. » rappelle le Cardinal.

De leur côté, les morts ne sont plus honorés, voués à la cendre de l’oubli après passage express en funérarium. Ils ne sont pas de la famille des morts du monde d’avant, chanceux anciens, objets d’un digne respect, dormition puis linceul, poussière comme promesse de vie, de résurrection éternelle aussi, voyage vers le grand mystère. Les symboles d’avant sont jugés obsolètes par tous les esprits formatés de la sphère moderniste. Les résurgences du passé, si fécondes en sens soient-elles, sont antinomiques du progrès, selon la doxa du moment. Les vieillards du monde dit civilisé -contrairement à ce que l’on observe dans les civilisations africaine et asiatique- sont assimilés à des résidus inutiles, parqués dans des Ephad, ces structures de profit, abjects symboles d’un monde qui ne s’aime plus à force de se complaire dans le narcissisme. Les femmes -contrairement encore aux civilisations susnommées- sont avilies, érotisées jusqu’à l’immonde, réifiées en Occident décadent. Les idoles, les veaux d’or, les passions hédonistes, les eugénismes et transhumanismes ne servent à la fin qu’un seul maître : l’argent. Son synonyme est capitalisme, ou encore libéralisme-libertaire mais, quels que soient les qualificatifs pour le définir, il a su ravaler l’homme au rang de bête, à la dernière place, celle dévolue à la chose marchande monétisée, remplaçable, interchangeable.

Fulgurances à l’adresse des cœurs attiédis

Certains aphorismes et réflexions du Cardinal sont d’heureuses flèches ardentes et autant d’objets de profonde méditation : « Quand le Christ explique aux hommes vers quoi ils doivent tendre, il ne leur dit pas : "Soyez pleinement et parfaitement hommes, épanouissez-vous jusqu’à la perfection de votre nature humaine", mais : "Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait", c’est-à-dire de la perfection même de Dieu. » ; « La science et la technologie nous hypnotisent au point que nous agissons comme s’il n’y avait rien au-delà de la matière. Nous savons que toute chose sur terre est périssable mais nous continuons à préférer le fugace à l’éternel. ».

Le lumineux Cardinal poursuit, exhorte et encourage ses frères du sacerdoce et de la vie religieuse : « Vous tous prêtres et religieux cachés et oubliés, vous que la société méprise parfois, vous qui êtes fidèles aux promesses de votre ordination, vous faites trembler les puissances de ce monde ! Vous leur rappelez que rien ne résiste à la force du don de votre vie pour la vérité. Votre présence est insupportable au prince du mensonge. Vous n’êtes pas les défenseurs d’une vérité abstraite ou d’un parti. Vous avez décidé de souffrir par amour pour la vérité, pour Jésus-Christ. Sans vous, chers frères prêtres et consacrés, l’humanité serait moins grande et moins belle. ».

Concernant le synode d’Amazonie qui se déroule en 2019 et qui apparaît à bien des égards expérimental et périlleux pour l’avenir de l’Église, Robert Sarah ne mâche pas ses mots : « Les habitants de l’Amazonie ont un besoin profond de prêtres qui ne se bornent pas à accomplir leur travail à horaires fixes avant de retourner en famille s’occuper de leurs enfants. Ils ont besoin d’hommes passionnés par Le Christ, brûlants de son feu, dévorés par le zèle des âmes. Que serais-je aujourd’hui si des missionnaires n’étaient pas venus vivre et mourir dans mon village de Guinée ? Aurais-je eu le désir d’être prêtre si l’on s’était contenté d’ordonner l’un des hommes du village ? L’Église serait-elle à ce point refroidie qu’il n’y ait pas parmi ses enfants suffisamment d’âmes magnanimes pour se lever et partir annoncer le Christ en Amazonie ? ».

Sur la tiédeur de notre temps qui est aussi celle des catholiques, il cite une nouvelle fois Bernanos qui houspille ces derniers, dans son Journal d’un curé de campagne : « Vous revendiquez d’être les pierres du Temple appelé Dieu, les concitoyens des Saints, les enfants du Père Céleste. Avouez que cela ne se voit pas toujours du premier coup ! ».

Sur l’attente d’une période meilleure : « Je l’ai dit souvent, je ne crains pas de le répéter. Le renouveau viendra des monastères. ».

En conclusion, et pour que nous saisissions le cap clair qu’il nous est donné de suivre, le Cardinal Sarah convoque une fois encore les mots de Georges Bernanos : « Qui prétend réformer l’Église par les mêmes moyens qu’on réforme une société temporelle non seulement échoue dans son entreprise, mais finit infailliblement par se trouver hors de l’Église […] On ne réforme les vices de l’Église qu’en prodiguant l’exemple de ses vertus les plus héroïques. Il est possible que Saint François d’Assise n’ait pas été moins révolté que Luther par la débauche et la simonie des prélats. Il n’a pas défié l’iniquité, il n’a pas tenté de lui faire front, il s’est jeté dans la pauvreté, il s’y est enfoncé le plus avant qu’il ait pu, avec les siens, comme dans la source de toute rémission, de toute pureté. Au lieu d’arracher à l’Église les biens mal acquis, il l’a comblée de trésors invisibles, et sous la douce main de ce mendiant le tas d’or et de luxure s’est mis à fleurir comme une haie d’avril. […] Ainsi l’Église n’a pas besoin de réformateurs, mais de saints. »

Tout est dit. Le monde attend le passage des saints, là où les saints passent Dieu passe avec eux. Ainsi le monde redécouvrira son Créateur puis, ce trésor qu’est la juste mesure des choses, l’humilité face à Dieu.


Le catéchisme du Cardinal Sarah
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Le silence revient en force avec le Cardinal Sarah
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O. C. Wingate
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