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Thomas d’Aquin, disciple d’Aristote

Thomas d’Aquin, disciple d’Aristote

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Les racines philosophiques de la société libérale : épisode 4

Introduction :

Un article récent paru dans le Figaro1 suggérait que Emmanuel Macron, actuellement ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique, était un disciple d’Aristote.

Une certaine nouveauté, tout de même. On savait qu’il avait surtout étudié dans les bureaux feutrés de la banque d’affaires Rotchild après s’être vu validé ses qualités intellectuelles par l’ENA… Il y occupait divers postes : « analyst », « manager », « assistant director », puis « director », « managing director » et « partner , etc.

La philosophie n’est certes pas complètement étrangère au banquier puisqu’il a été secrétaire de Paul Ricoeur (1913-2005). Considéré par le microcosme parisien comme un « philosophe » respectable, les principaux axes de ce dernier s’inspirent de l'existentialisme et de son corollaire la phénoménologie. Ses écrits sur l'herméneutique et la philosophie analytique le classe sans problème chez les relativistes2.

On s’étonne dés lors de lire cet étonnant rapprochement entre le disciple Macron (« J’ai rencontré Paul Ricoeur qui m’a rééduqué sur le plan philosophique ») et Aristote, philosophe réaliste qui s’appuie sur une loi naturelle universelle et nécessaire. « La politique sans la philosophie n'est qu'un cynisme, un nihilisme. » (Le 1) nous rappelle le jeune économiste formé à l’anglo-saxonne…

Pourtant, de son propre aveu, le but de ses missions était de conclure les deals (dans le jargon des banques d’affaires : « exécution ») : vendre une filiale, fusionner avec une entreprise, etc. Quand des emplois sont en jeu, on parle alors de « doublons ». Ah ! Les mots !

Dans son livre-enquête « Rothschild, une banque au pouvoir » (éd. Albin Michel, 2012), Martine Orange cite Macron qui reconnaît lui-même que les analystes suivent des réflexes acquis : « Le métier de banquier d’affaires n’est pas très intellectuel. Le mimétisme du milieu sert de guide. »

Mais on peut lui accorder une certaine lucidité : dans un article publié par le journal américain Wall Street Journal, Emmanuel Macron résume son ancienne activité de banquier d'affaires : «On est comme une sorte de prostituée. Le job, c'est de séduire». En quoi on reconnaitra une certaine accointance avec les Sophistes.

Nous avons vu dans les épisodes précédents que les racines philosophiques de la société libérale étaient à trouver dans les principes logiques de certains auteurs qui ont réussi à s’imposer comme des autorités intellectuelles en Occident. Ces principes logiques, véhiculés dans l’histoire des idées par les Sceptiques grecs, les Sophistes, les empiristes anglo-saxons et aussi d’une certaine manière par les idéalistes allemands3, sont empiristes : notre raison s’arrête à la pratique de cas concrets et n’a pas la capacité de tirer de nombreux événements singuliers une notion unique, universelle et nécessaire.

Un auteur présente des analyses en contradiction avec ces thèses empiristes : Aristote, dont la logique expose les modes de procéder naturels de l’esprit humain. Mais un autre auteur va ré-expliciter ces thèmes au XIIIème siècle.

Thomas d’Aquin reste la référence en philosophie dans le catholicisme. Ce point a été particulièrement souligné depuis 150 ans par le Magistère catholique à travers de nombreuses encycliques et textes divers. Le Concile Vatican II, dont l’interprétation suscite encore de nos jours des débats, a rappelé cette fidélité intelligente dans un texte sur la formation des prêtres (et donc des futurs évêques) : Concile œcuménique Vatican II, Décret sur la formation sacerdotale Optatam totius, n. 15 : AAS 58 (1966), p. 7224.

Ce même Jean-Paul II a de nombreuses fois réitéré ces orientations, particulièrement dans son encyclique, sans doute la plus méprisée, Fides et Ratio (1998), dans laquelle il reformule l’adhésion du catholicisme aux principes communs de la philosophie de Thomas d’Aquin, et donc indirectement d’Aristote. Outre, bien-sûr le rappel du passage d’Optatam Totius évoqué plus haut5, on pourra noter que ce Pape adopte une définition de la raison qui rejoint la logique réaliste aristotélicienne : « Quand la raison réussit à saisir et à formuler les principes premiers et universels de l'être et à faire correctement découler d'eux des conclusions cohérentes d'ordre logique et moral, on peut alors parler d'une raison droite ou, comme l'appelaient les anciens, de orthòs logos, recta ratio6 » (n° 4). Il va de soi que ce qu’il nomme ici « saisir » n’est rien d’autre qu’induire.

Cette perspective réaliste est validée par Thomas d’Aquin qui « sut, dans son réalisme, en reconnaître l’objectivité » (n° 44).

Pour ne pas oublier le pontificat de Benoît XVI, nous rappelons que celui-ci a rappelé les liens de l’Eglise catholique avec Thomas d’Aquin dans les audiences générales des 2, 16 et 23 juin 2010 (disponibles sur internet).

Il avait par ailleurs signé un autre texte trop peu connu en milieu ecclésiastique, le Décret de la Réforme des Etudes Ecclésiastiques de Philosophie7 (2011) qui se référait à tout le Magistère constant en la matière et surtout à Fides et Ratio.

En 2007, son Discours de Ratisbonne8 réaffirmait la nécessité d’une raison qui touche l’universel avec pour tuteurs principaux les philosophes grecs.


I. Thomas d’Aquin adopte les analyses d’Aristote en logique

À suivre…

 


2 Son l’influence est toujours grande dans les milieux intellectuels contemporains. Il a en outre exposé les relations entre options religieuses et exégèse dans Lectures, III. Son herméneutique philosophique est essentiellement subjectiviste et immanentiste : il reste en cela fidèle aux options protestantes de ses origines familiales. De la part d’un philosophe positiviste, on ne s’en étonnera pas. Mais il est un des maîtres à penser des exégètes positivistes actuels.

3 N’oublions pas que c’est Hume qui tire Kant de son « sommeil dogmatique » leibnizio-wolffien (Préface aux Prolégomènes à toute Métaphysique Future).

4 Cette référence est malheureusement peu connue et peu commentée. Mais on la retrouve, notamment dans un texte de Jean-Paul II : la Constitution Apostolique Sapientia Christiana au Titre III : La Faculté de Philosophie, article 79, § 1 : « La Faculté ecclésiastique de philosophie a pour but d’étudier, selon la méthode scientifique, les problèmes philosophiques et, en se basant sur le patrimoine philosophique toujours valable (référence à Optatam Totius), de rechercher leur solution à la lumière naturelle de la raison et de démontrer leur cohérence avec la vision chrétienne du monde, de l’homme et de Dieu, en situant exactement les relations de la philosophie avec la théologie. »

5 N° 60

6 Cette mise au point rejoint ce qu’il rappelle dans son n° 22 : « non seulement elle (la raison) n’est pas confinée dans la connaissance sensorielle (…) mais, en argumentant sur les données des sens, elle peut aussi atteindre la cause qui est à l’origine de toute réalité sensible ».

8 Dans ce Discours de Ratisbonne, Benoît XVI rejette la volonté d’abandon de la philosophie grecque, jugée dépassée : « cette thèse n’est pas simplement fausse, elle est exagérée et inexacte. Certes, certains éléments de cette philosophie grecque ne peuvent entrer dans toutes les cultures, mais les choix fondamentaux qui concernent le lien de la foi avec la quête de la raison humaine, appartiennent à cette foi elle-même et sont adaptés à son développement. »


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