Truman Capote ludion sombre de la littérature
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Je reviendrai toujours vers Truman Pearsons Capote. J'ai dû lire une bonne quinzaine de fois « Petit déjeuner chez Tiffany » et je suis tombé amoureux de Holly Golightly - comment ne pas l'être ?- dès ma première lecture. Plus tard, j'ai appris le secret derrière le personnage de cette jeune fille apparemment amorale dont tous les hommes tombent amoureux, que tous veulent protéger du monde et d'elle-même. Holly n'est pas seulement inspirée de la propre mère de Truman et de « Babs » Payley une des égéries de l'auteur, mais aussi d'une petite émigrée allemande qui habitait juste au-dessus de lui quand il arriva à New York dans le fameux « immeuble de briques rouges » à cinq étages.
Il était fou amoureux d'elle et ne se remit jamais du suicide de cette enfant perdue qui vivait en suivant des messieurs plus ou moins louches aux toilettes pour hommes…
Il a pourtant cette réputation idiote de Jacques Chazot américain en plus « people », en plus clinquant, une sorte d'Oscar Wilde revu et corrigé par Hollywood, celui en carton-pâte des années 50. C'est un peu de sa faute. A la fin de sa vie, il fallait bien gagner de l'argent n'est-ce pas, il était devenu le spécialiste en ragots des plateaux de télévision. Après avoir rompu tout lien avec le milieu brillant dans lequel il évoluait en racontant dans « Prières exaucées » quelques unes de leurs turpitudes morales, il n'écrivit quasiment plus, ruminant diverses rancœurs, se laissant aller à un travail du négatif l'amenant à sombrer progressivement.
Et pourtant, Truman ne mérite pas cette postérité douteuse car il est un écrivain majeur du XXème siècle, un auteur classique qui écrivit aussi bien que Mark Twain dans ses premiers livres racontant surtout son enfance dans le Sud, qui créa l'ouvrage de « non-fiction » en écrivant « De Sang Froid ». C'était une ambition folle, démentielle, il aurait voulu que la littérature englobe tout l'univers, il aurait voulu que ses mots évoquent le monde entier, tout capter, faire tout ressentir. Il y perdra beaucoup. Les meilleurs écrivains comme les meilleurs cinéastes sont de ces angoissés terribles qui ont toujours peur de rater ne serait-ce qu'une seconde de leur existence sans savoir en goûter l'essence.
Il aura son chef d'œuvre mais il manquera d'y laisser son humanité, manquant d'empathie pour ses « sujets », les deux assassins minables du fait divers qui lui inspirera ce livre, qu'il poussera pourtant à se raconter jusqu'aux tréfonds de leur âme, nouant avec Perry Smith l'un des deux criminels une véritable amitié un peu étrange. Il aura sa fin émouvante, la condamnation des deux meurtriers à l'échafaud…
La vie et l'expression de son talent par Truman Capote me confirme dans l'idée que la littérature et les écrivains ne doivent surtout pas être sottement moralisés. La littérature, la vraie, l'essentiel, ce n'est pas l'édification des lecteurs par des histoires mettant en scène des archétypes censés seulement démontrer un fait, une thèse, une idée que ce soit dans la littérature dite « engagée » de gauche ou les récits « exemplaristes » de droite. Je songe en particulier aux jugements péremptoires de l'abbé Bethléem, sourcilleux censeur des livres, qui se trompa avec constance sur tous les grands auteurs y compris catholiques, dont Mauriac et Bernanos. Il réprouvait l'histoire de « Thérèse Desqueyroux » et trouvait Bernanos complaisant dans la description du « scandale du mal ». La morale en littérature donne le plus souvent il est vrai des œuvres médiocres sans oublier cette obligation que semble s'être donné certains littérateurs d'avoir un style le plus plat possible. Pourtant ce qui fait l'écrivain c'est d'abord son style, celui qui « colle tel le papier à la bouche » des personnages.
« La gravité est le bonheur des imbéciles » disait le philosophe du Gai Savoir, les imbéciles veulent qu'on les prenne au sérieux. Ils imaginent leurs livres comme indispensables pour le progrès des peuples, la sagesse des nations. On finit toujours par les oublier fort heureusement.
Truman Capote est léger, en apparence. Il est tel que le décrivait Harper Lee, un « Puck » du Sud, avec une voix demeurant jusque dans sa maturité d'un garçonnet. L'air de rien, sans paraître y toucher, il nous emmène où il veut, ouvrant plusieurs univers, toujours bienveillants avec ses personnages, ne les condamnant jamais bien que les montrant tels qu'ils sont :
Humains, trop humains, comme nous.