Un pari chrétien sous forme de soumission au monde
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François Huguenin qui nous avait intéressés dans Les grandes figures catholiques de France nous surprend cette fois dans Le pari chrétien (sous-titré Une autre vision du monde) paru aux éditions Tallandier. La surprise tient à deux aspects : l’auteur nous exhorte à être des chrétiens assumés, « dans le monde et pas du monde », ce qui n’est pas vraiment dans l’air du temps mais constitue une proposition audacieuse et plaisante ; surtout, il invite les cathos trop « tradi », trop « cathosphère », trop hostiles au « multiculturalisme comme religion politique » selon le mot de Mathieu Bock-Côté, trop inquiets du changement de visage de la France sous la pression migratoire, à opérer une conversion vers le « vrai catholicisme » s’ils veulent être en mesure de suivre les pas du Christ. Le propos visant à redonner espérance, courage et optimisme aux Chrétiens sous-estime néanmoins les enjeux civilisationnels décisifs en cours qui exigent un vrai combat spirituel et une résistance sur le terrain juridique et social. Est-il possible de mettre sous le boisseau le tribut payé dans l’Histoire par tous les Chrétiens qui furent en butte avec d’autres religions ou idéologies politiques et qui, par leur idéal et sacrifice, ont permis que leurs coreligionnaires d’aujourd’hui puissent prier librement dans une église (pour combien de temps encore ?)? Nous précisons que le point de vue est ici occidental puisque les Chrétiens sont les croyants les plus persécutés dans le monde.
François Huguenin n’aime pas que l’on catalogue « ceux qui ont voté Macron comme suppôts du mondialisme, de la finance, de la franc-maçonnerie réunis dans un immense complot planétaire ». Pourquoi n’aurait-on pas la liberté d’affirmer que Macron à tout le moins puisse appartenir à cette « famille » complotiste ? Notre auteur ne veut pas d’un rejet de la politique et dissuade du repli sur la sphère familiale perçue comme unique planche de salut. Mais qu’y-a-t-il de mal à vouloir en toute priorité protéger la famille, sa propre famille, tant elle est attaquée et dénigrée par les médias et toutes sortes de forces progressistes qui ont juré sa perte ? N’est-ce pas là l’un des premiers devoirs d’état du Chrétien qui sent bien qu’hors de chez lui l’alliance de l’humanitarisme et de l’islamisme peut le marginaliser jusqu’à l’effacer un jour ? Huguenin ne veut pas de communautarisme catholique mais pourquoi n’est-il alors pas plus sévère avec le communautarisme arabo-musulman qui impose à l’Europe méthodiquement, inéluctablement, un modèle de théocratie politique où l’ancienne et sage distinction évangélique du temporel et du spirituel vole en éclats ?
En philosophe, l’auteur offre de nombreuses références historiques et religieuses qui prouvent la qualité incontestable de son travail. Il rappelle par exemple, avec Aristote dans Ethique à Nicomaque, que l’homme est un animal politique autant que spirituel. Si cette vérité est indéniable, il la reprend à son compte pour affirmer, une nouvelle fois, que repli identitaire et inquiétude sont des comportements à proscrire. Pourquoi chercher ici à nier des sentiments largement partagés par tous les Européens ? La dédicace de son ouvrage à Fabrice Hadjadj qui rejette les deux contre-annonciations que sont islamisme et technicisme, démontre pourtant que notre auteur n’est pas totalement déconnecté des maux auxquels notre société est confrontée. Il exhorte ainsi les Chrétiens à mieux comprendre la laïcité, concept issu du christianisme pour respecter la demande biblique de rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, à faire état de leur foi dans le débat public, sans vergogne, à ne pas sous-estimer la mystérieuse fécondité du témoignage. En catholique convaincu, il tient plus que tout au respect de la vie depuis la conception jusqu’à la mort naturelle. En historien averti, il affirme lucidement : « Il y a eu un profond antichristianisme révolutionnaire. Le régime qui avait mis à bas la monarchie au nom de la liberté devint avec la Terreur la dictature la plus sanglante que la France ait jamais connue et la matrice des régimes totalitaires du XXème siècle. »
Mais Huguenin retombe dans ses travers, comme Sisyphe remontait son rocher en haut de la montagne avant qu’il ne la dévalât, pour le remonter encore dans un éternel recommencement. Notre auteur n’accepte pas l’idée selon laquelle l’Eglise catholique telle qu’elle est conduite aujourd’hui puisse devenir un mondialisme comme les autres, dans lequel relativisme moral et multiculturalisme religieux feraient loi, et où Dieu et transcendance auraient disparu. Il critique avec virulence l’ouvrage de Laurent Dandrieu Malaise dans l’Eglise catholique que nous avions commenté pour MN et qui faisait état de ce danger pourtant bien réel. Pour donner poids à sa démonstration, il cite Saint-Paul, le Christ lui-même, et déplore que l’étranger ne soit pas accueilli à bras ouverts, inconditionnellement, en toutes circonstances, au même titre que la veuve et l’orphelin. Rappelons que cet idéal absolu du Chrétien ne peut se vivre que si l’Autre est lui-même ouvert, s’il n’envisage pas la disparition de celui qui l’accueille, s’il ne cherche pas à imposer sa culture pour la rendre dominante et supérieure à celle du pays hôte. Huguenin élude trop les points cardinaux du brûlant débat civilisationnel en jeu, comme si le choc des civilisations n’existait pas vraiment, comme si Huntington n’avait rien prophétisé, Muray rien vu de l’homo-festivus ou de l’homo-oeconomicus, Châteaubriand rien anticipé du remplacement du catholicisme par l’islam à cause de la déchristianisation, comme s’il n’y avait absolument aucune possibilité que les filles de France ne se voient imposer un jour le port du voile, comme si Houellebecq n’avait pas écrit Soumission, Boualem Sansal 2084 la fin du monde, comme si Zemmour, Finkielkraut, Delsol, Villiers étaient tous unanimement dans l’erreur. Plus enhardi que jamais, il affirme : « Le lien entre le christianisme et l’Europe ne se conjugue pas en termes de possession et d’identité. Il ne veut pas dire que le christianisme aurait des droits sur l’Europe et un privilège à être mieux traité que d’autres religions. » Huguenin clame qu’il ne veut pas de société chrétienne car cela « n’ajoute rien au salut déjà apporté par le Christ » (sic !). Il rejette aussi toute attitude qui consiste à s’opposer physiquement à l’avortement ou à l’euthanasie. Il ne croit pas plus à la théorie du Grand Remplacement de Renaud Camus, à la nécessité de mettre en place des sanctuaires civilisationnels, et ne veut en aucun cas « ce qui gangrène » (re-sic !) le catholicisme français. Si dans son ouvrage Huguenin ambitionnait de distribuer des claques à la frange des catholiques suspects à ses yeux, son pari (chrétien ?) est réussi. Aura-t-il œuvré à l’unité et réussi à persuader les « persona non grata » de ce camp-là ? Pas sûr. L’argument du pari depuis Pascal est une belle invite qui se doit d’ouvrir un chemin de vérité. Nous le disons sans moralisme à notre auteur et avec une fraternelle sympathie : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » Camus n’a pas pris une ride.