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Comment partager le monde habité ? 2/2

Comment partager le monde habité ? 2/2

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Propos recueillis par Maximilien Friche

Entretien avec Grégoire Bignier

MN : « les législations actuelles tendent plutôt à "bunkeriser" les bâtiments pour en faire des sortes de bouteilles thermos. C'est une stratégie défensive, non solidaire et a-symbiotique. » Si votre livre met en évidence un parallèle entre un bâtiment et un être vivant, il met surtout en évidence la nécessité, dans une approche d’urbanisation, de relier ces bâtiments entre eux. L'écologie ne peut se penser que sous l'angle de la solidarité entre les éléments composant un territoire, les smarts-grids sont en ce sens l'illustration d'une mise en réseau des moyens de production d'électricité locaux. Est-ce en comprenant l'interdépendance des bâtiments, des territoires, que nous parviendrons réellement à réconcilier architecture et écologie ? Et peut-on prendre conscience de cette interdépendance tout en développant la subsistance locale, l'économie locale ? Peut-on penser interdépendance sans tomber dans la mondialisation, et économie locale sans tomber dans la bunkerisation ?

GB : Votre question illustre parfaitement ce qui vient d’être dit. La maîtrise de la complexité permettra peut-être aux exigences écologiques de se voir satisfaites. Mais la mondialisation n’aura pas forcément cette image uniforme que l’on en a, un territoire transformé en un magma gris, tiède, a-énergétique, le produit d’une entropisation définitive. On peut aussi l’imaginer comme le produit de la juxtaposition d’autant de territoires colorés, contrastés entre eux, dont les différences potentielles génèreraient presque naturellement une énergie d’échange, leur permettant une autonomie qui en fait leur valeur. C’est cette vision que j’ai décrite pour l’Europe qui me semble, du fait de la multiplicité de ces territoires et de ces cultures, le continent de l’avenir. Tout le contraire d’un bunker, tandis que les autres continents se trouvent dans l’impasse de leurs développements.

MN : les architectes ont toujours eu une tendance à penser "à la place des autres", sans doute dans un fantasme d'imiter le "grand architecte"… Aujourd'hui, quand nous pensons architecture et écologie, nous voyons bien que nous sommes obligés de penser la ville de demain, l'urbanisation des territoire, comme Le Corbusier le faisait. Quelle est la place laissée à l'homme dans les planifications à venir ? N'y a-t-il pas un risque dans une démarche globale comme la vôtre de finir par être trop dirigiste ? Ne pourrait-on pas "organiser une forme de laisser-faire" ? Les informaticiens cherchent depuis longtemps à créer des outils intuitifs, de plus en plus, pourrait-on construire des quartiers intuitifs ?

GB : Je partage votre avis, la planification rigide ou les images auto-réalisatrices ne peuvent constituer cette « complexité » posée par la situation actuelle. C’est pourquoi, à partir du constat des différentes échelles posées par l’écologie (le bâtiment, le quartier, la métropole, le sous-continent) dont les exigences sont parfois contradictoires, j’ai tenté d’y associer des modes de gouvernances qui leur soient propres et compatibles entre eux.

A la grande échelle (l’Europe par exemple), une « expertocratie » sous contrôle de la démocratie, à l’échelle de la conurbation, un modèle fondé sur la concertation, enfin à l’échelle locale, un fonctionnement fondé sur une jurisprudence spontanée (Détroit, par exemple). L’édit de ce fonctionnement a au moins le mérite de se faire une idée de la valeur de projets aussi différents que l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou Europa city.

Enfin, pour répondre plus directement à votre question de l’intuition, imagine-t-on ce qui se serait passé si le transformateur électrique qui a été le théâtre du drame de ces deux jeunes en 2005 à Clichy-sous-Bois ait été peint en rouge vif, si les grands ouvrages d’art sur les fleuves étaient peints en jaune, couleur que les oiseaux détectent le mieux la nuit et si certains d’entre eux, au lieu d’être à péage, rémunéraient au contraire les piétons les empruntant ? Plutôt que d’intuition, nous pourrions rêver d’une pollinisation du territoire (pour reprendre le concept de Yann Moulier-Boutang développé dans son ouvrage « L’abeille et l’économiste »). La métropole deviendrait matrice dont le destin reposerait sur sa vocation d’échange avec une autre matrice.

MN : Le livre 2 de votre ouvrage est consacré à vos projets avec notamment de très belles représentations mises en photos. La question des ponts mobilise particulièrement vos énergies et on a le sentiment à feuilleter ces dernières pages, que vous cherchez que ce qui relie, que les liens, soient aussi des lieux. Et finalement, je me disais que ces liens jetés d'une rive à l'autre, d'un quartier à un autre, donnent à lire un territoire. Les liens rendraient lisibles un territoire, un peu comme la ponctuation dans une phrase. Est-ce finalement dans la mobilité de ces liens, leur modification, leur précarité, … que l'on peut inscrire l'architecture d'un lieu dans un territoire, dans la nature ?

GB : Oui et c’est ce qui reste aux architectes à mettre en œuvre, avec parfois des questions très complexes comme, par exemple, la biodiversité. Ici, nous sommes face à un monde largement méconnu, changeant et multiple (autant que d’espèces). Ainsi, les architectes se trouvent dans une situation historique inédite et cela génèrera forcément une architecture très différente dont la valeur devrait être appréciée à l’aune des générations futures.


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