Contingence et catastrophes
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Depuis toujours l’être humain est un chercheur de sens : c’est sans doute une conséquence de ses capacités cérébrales. Ce qui arrive, surtout s’il est touché personnellement, il ne peut s’y résigner sans se donner une explication. Et s’il accepte que la contingence – le hasard – soit intrinsèque au système du monde, c’est seulement jusqu’à un certain point. Au-delà d’un certain seuil de bouleversement, il aura tendance à ranger le hasard dans la catégorie de l’intentionnalité. Perdre, par exemple, un enfant en bas âge, voilà qui est un défi à l’ordre des choses. Cela ne peut être possible sans une intervention mystérieuse, même si la raison ne peut pas la prouver. Dans les sociétés traditionnelles où l’on ménage la part du surnaturel et de la magie, l’explication est relativement facile : c’est forcément un esprit qui, dans l’au-delà, a exercé sa vengeance. Dès lors, il s’agit de l’identifier et de le tenir à distance par des rites de purification. Dans une société moderne et rationalisée, la situation est beaucoup plus difficile à gérer. Mais le réflexe mental de ceux qui sont frappés par le sort reste le même. A ceci près qu’il n’y a aucune solution, aucune réponse pour eux, seulement des soins et des compensations financières. Et le deuil est, la plupart du temps, relégué dans la sphère du privé.
Les cataclysmes naturels et les épidémies réveillent aussi, en l’homme moderne, ce type de sentiments. Toutefois, la dimension collective de l’évènement fait que l’on peut en discuter plus librement. La souffrance causée et les interrogations qu’elle entraîne peuvent au moins être partagées. Autrefois, quand la religion régnait sur les esprits et façonnait l’ordre social, une catastrophe naturelle ne pouvait avoir qu’une origine divine. C’était Dieu qui exprimait ainsi sa colère et celle-ci ne pouvait être apaisée que par un mouvement collectif de repentance. Attitude qui n’empêchait pas de chercher aussi des coupables, notamment chez ceux qui vivaient à la marge de la société et que l’on suspectait de pratiques troubles, voire démoniaques. Ainsi les Juifs ont, au cours de l’Histoire, payé un lourd tribut à cette pratique du bouc-émissaire – qu’ils avaient d’ailleurs, les premiers, mis en œuvre.
De nos jours, on ne réclame peut-être plus des coupables aux maux collectifs, mais on exige des comptes, on recherche des responsables. Parce qu’il est toujours inacceptable que le cours de la vie soit ainsi chamboulé. Et ces responsables, on les cherche parmi les hommes ordinaires, surtout ceux qui avaient quelques responsabilités au moment des faits. On cherche l’erreur, sinon la faute, derrière chaque drame, chaque sinistre. La cigarette mal éteinte derrière un feu de forêt, le robinet de gaz mal fermé derrière l’explosion d’un immeuble, le frein mal réglé derrière un accident de la route mortel. Certes l’on n’a pas tort, mais quand il s’agit d’expliquer un raz de marée, une inondation ou une épidémie, cela devient plus difficile. La cause humaine devient plus lointaine et plus floue ; néanmoins on continue à la traquer d’une façon ou d’une autre. Puisque les hommes sont supposés être les maîtres de la nature, rien ne doit échapper à leur contrôle, y compris les colères de la terre. Dans ce monde qui est le nôtre, il n’y a plus de place, non seulement pour l’erreur, mais aussi pour la contingence. Il faudrait parfois admettre que l’être humain n’est pas à l’origine de tout ce qui arrive sur la planète ; qu’il reste vulnérable et que la nature peut encore le mettre dans une situation de victime. Ce sera peut-être l’une des leçons que nous tirerons de la pandémie actuelle, quoiqu’on pense de notre mode de vie et de ses effets sur l’environnement.