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« Déprimer »… ou se battre ? Pour un rasoir d’Ockham technologique

« Déprimer »… ou se battre ? Pour un rasoir d’Ockham technologique

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Je pense que nous sommes mis au défi, comme jamais auparavant, de prouver notre maturité et notre maîtrise, pas de la nature, mais de nous-mêmes. Rachel Carson, 1962 La scission de nos sociétés en deux se poursuit, d’un côté ceux qui suivent bon an mal an les directives de l’État même s’ils ont peine à croire encore en leurs bénéfices, de l’autre ceux qui affrontent l’adversité tragique, car ils l’ont reconnue comme telle. Dans les faits les uns ont droit à la vie d’avant, si et seulement si ils montrent patte sanitaire connectée. Les autres sont exclus des lieux de culture, des hôpitaux, des trains (à l’exception des TER), pour certains de leur travail ou d’une partie de leur activité professionnelle.

Heureusement le dialogue amical perdure parfois (souvent?) entre insiders et outsiders, et alors il est frappant de constater que les positions divergentes concernant la politique sanitaire ont des conséquences fortes sur l’état psychologique des uns et des autres. Contrairement à ce qu’entendait provoquer l’acharnement gouvernemental sur les « non-vaccinés » (manœuvre dans laquelle la France est un des Etats les plus zélés, même en comparaison d’affreux technophiles comme Israël), les plus malheureux ne sont pas ceux que l’on croit.

Car ceux qui ont plus ou moins docilement appliqué depuis deux ans les injonctions contradictoires de l’État (attestation de sortie/ zone de promenade / couvre-feu / télétravail / fermeture des écoles etc. / interdiction de célébrer les cultes religieux / interdiction de visite dans les EHPAD / interdiction de funérailles / application de traçage / appel à la délation / port du masque / vaccinations / jauges / protocoles d’hygiène / passe sanitaire / tests / passe vaccinal…), ceux qui se sont soumis quotidiennement au pouvoir des experts leur imposant pour leur bien des règles de vie nouvelles, ceux qui ont subi « le dressage du parc humain », se retrouvent pour une grande majorité d’entre eux, déprimés.

Car il leur est finalement apparu évident que la logique à l’œuvre dépassait les justifications gouvernementales, qui fluctuent comme un serpent qui rampe en zigzaguant. Leur existence ne peut leur apparaître que profondément modifiée, soumise à des bouleversements incessants, survenus par à coups, et diminuant chaque jour un peu plus leur capacité d’exister en tant qu’humain.

Ce qu’ils pressentent, sans mordre pour autant à telle ou telle théorie du complot dont ils n’auront même pas le plaisir de sentir le vertige de la croyance, c’est que ce que en quoi ils croyaient jusqu’alors, en citoyens débonnaires du XXIème siècle, le smartphone à la main, est en train de s’effondrer sous leurs yeux. La perspective d’une société démocratique « dotée » d’« outils » technologiques « intelligents » se révèlent la plus grande arnaque que l’humanité se soit jamais tendue à elle-même. La Chine, avec son application WeChat qui réunit tout ce dont un Chinois doit avoir besoin pour vivre (et qui peut donc être suspendu d’un seul clic), fait figure de pionnière en matière de gestion numérique de la population. Et c’est bien ce qui nous effraie : en effet, dans quel sens vont tous ces bouleversements causés par ce que les média appellent « la crise sanitaire », sinon dans l’accélération vers ce que le G8 nomme la « 4ème révolution industrielle » ?

De manière très schématique, ce que nous constatons tous, anti et pro masques, vaccins, passes, c’est : toujours moins de relations charnelles (voir, entendre, toucher, sentir, goûter), toujours moins de rencontres, toujours moins de lieux, toujours moins d’argent liquide… et toujours plus de numérisation et de traçage des échanges qu’ils soient intellectuels, affectifs, « culturels », monétaires… Ce que les politiques sanitaires tout autour du globe ont en commun c’est l’orientation vers la multiplication des techniques d’organisation sociale, au mépris de ce qui fait de nous des vivants : la spontanéité, la gratuité, les sens, la pensée, l’imprévisible, l’élan, la retenue, la relation entre un Je et un Tu uniques, la parole porteuse de sens, l’indicible… C’est le bond en avant dans cette irrépressible avancée contre l’humanité que nous sentons, certains en pleine lumière depuis deux ans, d’autres depuis un an, depuis quelques mois, à mesure que les seuils de tolérance à l’intolérable sont dépassés. Nous le savons tous certainement ou confusément, désormais. Quelle que soit la situation sanitaire, c’est contre la civilisation numérique que nous devons lutter, pas à pas, radicalement.

Ceux qui refusent de se résigner doivent forcément se battre. Ceux qui se battent en France ne réclament pas le pass vaccinal pour tous (!) mais son abolition pur et simple. Le maintien d’un tel système (alors que les mesures sanitaires sont en train d’être levées!) doit rassembler toutes les oppositions parce qu’il exacerbe les potentialités de surveillance et de profit déjà présentes dans les smartphones, en en rendant obligatoires les plus liberticides options. Ce qui rend tout le monde malade, c’est la conscience de n’être que des vaches à lait pour les GAFAM (auxquels s’ajoutent désormais les industriels de santé), le lait étant composé désormais de données de navigation, d’attention et d’argent (public).

Si l’état de nos âmes conditionne la tournure de la vie de la Cité, alors nous proposons de commencer par observer une ascèse personnelle, sorte d’exercice régulier que nous choisissons librement d’accomplir : elle viserait à freiner cette orientation dont nous saisissons tous facilement les conséquences délétères. Nous pouvons figurer cette tentative (ultime ?) de lutter contre le déferlement du malheur dans nos sociétés (plutôt que de ployer sous la tristesse ou l’anxiété) à l’aide de ce que l’histoire de la philosophie a nommé « le rasoir d’Ockham ». Philosophe logicien du XIVème siècle, Guillaume d’Ockham prend position dans la querelle des Universaux (que nous n’exposerons pas ici !) en érigeant en principe la règle suivante :

« Il est vain de faire avec plus ce qui peut se faire avec moins. »

Nous proposons d’appliquer ce principe dès que nous sommes conduits à utiliser un smartphone, une application, un objet connecté, un moyen de paiement, une interface… de manière à choisir en ayant conscience de ce que nous intégrons dans notre vie et de ce que nous refusons d’admettre dans notre existence. Nous sommes libres si et seulement si nous exerçons notre faculté de penser et d’agir : nous sommes maîtres de la technique dans la mesure où nous décidons d’y recourir ou non. Il est encore temps de choisir dans certains domaines, à de nombreux moments de la vie quotidienne, et nos choix peuvent réellement tout changer. Surtout si ensemble, nous sommes capables de refuser ce qui nous paraîtra inacceptable.

Exemples de casuistique quotidienne : me connecter sur marmiton.pub ou ouvrir le livre de recettes de grand-mère ? Faire un énième test à mon enfant pour vérifier qu’il n’est pas susceptible d’être contagieux alors qu’il n’a aucun symptôme ? Poster ma dernière trouvaille sur les réseaux ? Demander mon chemin à Google ? Accepter que toutes mes données médicales soient réunies dans un dossier numérique ? Montrer un passe vaccinal comme on sortait autrefois un ticket de métro ? Etc. Le monde que nous sommes en train de détruire par ces pratiques innocentes en apparence est le seul que nous ayons en commun. Il est plus que douteux que nous réussissions à en construire un autre.

Le rasoir d’Ockham se traduit en termes philosophiques par l’énoncé suivant :

« les entités ne doivent pas être multipliées sans nécessité. »

Nous proposons que toute connexion soit soumise à ce crible de la pensée, qui comme un tamis ne retient pas tout mais seulement ce qui a une valeur pour chacun d’entre nous, selon son bon vouloir (et non par simple réflexe, conditionnement, habitude voire obligation).

Nous n’en serions pas arrivés là si la critique de la technique qui s’enrichit depuis cent ans avait réussi à faire entendre deux simples remèdes contre les préjugés ambiants : non, d’une part, la technique ne dépend pas de l’usage que l’on en fait, elle est ambivalente et porte en elle du bien et du mal. Choisir l’utilisation de Facebook c’est prendre comme un tout la communication et la publicité, l’information et le traçage, la pollution et le CAC40. Non, d’autre part, Internet n’est pas comparable à un marteau : un système n’est pas un outil. Nous avons changé d’échelle et nous changerons bientôt de civilisation si nous ne prenons pas conscience de la responsabilité qui nous incombe.

Plutôt que de croire que ce que nous ajoutons au monde virtuel est un « plus », considérons que c’est au contraire un retrait du monde réel, que cet empiétement des univers connectés grignote notre monde concret, au point de vue énergétique, par l’attention que nous y accordons, par la dépendance à laquelle nous nous soumettons, dans une gigantesque entreprise de dévalorisation de nous-mêmes, de notre corps, de notre vie intérieure, des autres et de tout ce qui nous est cher, au profit d’un grand rien. Qui, sinon chacun d’entre nous, peut poser des limites au néant ?


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