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Libéralisme, vents contraires

Libéralisme, vents contraires

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Dans son dernier ouvrage Libéralisme, vents contraires, Francis Fukuyama, pape du libéralisme et théoricien de « la fin de l’histoire », prend la plume pour défendre les bijoux de sa famille idéologique qui se trouve de plus en plus contestée.

Le néo-libéralisme tout comme l’illibéralisme sont à ses yeux les adversaires à abattre : « C’est le libéralisme, plutôt que la démocratie, qui fait en ce moment l’objet des attaques les plus virulentes. Rares sont les dirigeants qui défendent aujourd’hui l’idée que le gouvernement ne devrait pas refléter l’intérêt du peuple et même des régimes ouvertement autocratiques tels que ceux de la Chine et de la Corée du Nord prétendent agir en son nom. Vladimir Poutine se sent encore obligé d’organiser des élections régulières. Comme tant d’autres autocrates, il semble également se soucier du soutien populaire dont il jouit. En revanche, il a déclaré que le libéralisme était une doctrine obsolète et s’acharne à faire taire la critique, à emprisonner, à tuer ou à harceler ses opposants, et à éliminer tout espace civique indépendant. Xi Jinping en Chine a pourfendu l’idée d’une limitation du pouvoir du Parti communiste, et s’est assuré de renforcer l’emprise de celui-ci sur tous les aspects de la société communiste. En Hongrie, Viktor Orban a affirmé sans détour qu’il cherchait à bâtir une démocratie illibérale au cœur de l’Union européenne. »

Ayons bien à l’esprit, en lisant l’intellectuel américain, que le libéralisme « version délirante », c’est-à-dire version actuelle, nous apporte le gender, le wokisme, la cancel culture, un néo-féminisme hystérique, l’écologisme radical, le transhumanisme, toutes choses qui devraient sous peu détruire définitivement notre civilisation chrétienne occidentale. Mais cela, Fukuyama ne le rejette pas. Pourtant, ce sont bien ces avatars qui conduisent certains au rejet du libéralisme, au cœur même de l’Europe ou chez d’autres cultures ailleurs dans le monde. Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes… Comme d’habitude…

Notre philosophe médiatique rappelle que l’idée libérale est née des conflits religieux qui déchiraient l’Europe et que le principe que les Etats n’imposent pas leur dogme a stabilisé le continent après le traité de Westphalie en 1648.

La genèse de l’idée libérale est en réalité bien antérieure à cette période et remonte au nominalisme de Guillaume d’Ockham apparu au XIIIème siècle. Mais là n’est pas le débat.

Notre philosophe américain décrit la chronologie et surtout la mutation de l’idée chrétienne qui, par itérations successives, a abouti aux droits de l’homme d’aujourd’hui. Le courant libéral a irrigué cette mutation en concentrant progressivement l’attention sur l’individu et en affranchissant ce dernier de Dieu et de toute transcendance : « L’importance que Luther accorde au moi ne le libère cependant pas en lui permettant de choisir ce qu’il désire. Luther reste dans le cadre chrétien : les êtres humains ont certes la capacité d’exprimer un choix, mais uniquement celui d’avoir, ou non, foi dans la parole de Dieu. Au cours des siècles suivants, les penseurs des Lumières ont remis en cause l’autorité non seulement de l’Eglise, mais aussi de la religion en tant que telle. On en est alors venu à considérer l’acte de choix comme étant distinct et plus précieux que le contenu de ce qui a été choisi. A partir de la Révolution française, la liberté chrétienne de Luther a évolué en droits de l’homme. Des droits liés au choix, mais un choix libéré du cadre religieux qui le contraignait. La valorisation de l’intériorité a trouvé une expression profane dans l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau. Le philosophe a soutenu que le mal commençait dès lors que des individus, isolés et heureux dans l’état de nature, formaient une société. Il a inversé le récit biblique qui proclamait Adam et Eve coupables d’un péché originel qui devrait être expié, affirmant que les êtres humains étaient naturellement bons et ne devenaient méchants que lorsqu’ils s’associaient et se comparaient les uns aux autres. Il a reconnu toutefois que les humains étaient perfectibles, c’est-à-dire pas définis par ce qu’on appellerait de nos jours leur environnement culturel. Ils peuvent donc retrouver leur bonté naturelle. Rousseau a avancé l’idée, socle de la pensée moderne, que notre nature intérieure étouffait sous des couches de règles sociales imposées par la société dans laquelle nous évoluons. L’autonomie selon lui consiste à retrouver notre moi intérieur et à nous échapper des règles sociales qui l’ont emprisonné. »

L’épisode révolutionnaire français constitue l’acmé du libéralisme contemporain : « Le libéralisme, l’une des puissances motrices à l’origine de la Révolution française, fut dans un premier temps l’allié des forces démocratiques qui voulaient étendre la participation politique au-delà du cercle étroit des élites provenant des classes supérieures. Les partisans de l’égalité rompirent toutefois avec ceux de la liberté pour créer une dictature révolutionnaire qui finit par céder la place à Napoléon et à son Empire. Celui-ci, cependant, joua un rôle essentiel dans la diffusion du libéralisme aux quatre coins de l’Europe sous une forme juridique grâce au Code civil, dit code Napoléon. Il devient bientôt le fondement de l’Etat de droit libéral sur tout le continent. »

Francis Fukuyama croit dur comme fer au libéralisme et se plaît à paraphraser Churchill et sa vision de la démocratie : « Le libéralisme est la pire forme de gouvernement, à l’exception de toutes les autres. » Il n’accepte pas que Samuel Huntington et sa théorie du « choc des civilisations », enterrant son idée-force d’une « fin de l’histoire » permise par un libéralisme triomphant, ait pu remporter le match par KO. La partie n’est semble-t-il pas terminée, le débat reste totalement ouvert et l’identité du vainqueur encore floue.

 


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