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Le pire des mondes

Le pire des mondes

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Natacha Polony nous souhaite la Bienvenue dans le pire des mondes, son ouvrage, écrit avec le soutien du comité Orwell composé de journalistes et essayistes soucieux de liberté d’expression et luttant contre la bien-pensance, sous-titré Le triomphe du soft totalitarisme. En une simple première de couverture, un vaste programme s’affiche : une invite grinçante à rejoindre le pire des mondes, référence inversée à Aldous Huxley et son meilleur des mondes, et une proposition de comprendre ce qu’est l’oxymore soft totalitarisme et son hégémonie en forme de triomphe. Polony, dans un style vif et plaisant, ne nous lâchera plus. Ames sensibles et émerveillées par la révolution Internet s’abstenir de toute lecture au risque de courir se précipiter de la falaise, non sans avoir au préalable, de haine, de dépit et de honte, massacré ordinateur, smartphone, tablette. Nous verrons pourquoi.

Le soft totalitarisme, que nous nommons de notre côté tyrannie douce, est, nous le savons bien, l’idéologie dominante qui nous gouverne à l’échelle mondiale : « le soft totalitarisme est, et pas seulement, un projet économique de constitution d’un grand marché mondial, numérisé, financiarisé et aux mains d’une minorité savante et ultra fortunée ». Cette idéologie exige du « temps de cerveau humain disponible » pour obtenir un consentement docile des personnes. A son sommet, se trouve une oligarchie surpuissante qui déploie une vision unique, uniforme, univoque, unicolore des rapports entre humains, à savoir une relation marchande entre homo economicus. Cette minorité savante –ou sachante- est cornaquée par les Etats-Unis, of course, dont la puissance militaire est telle que l’addition de toutes les forces armées du monde ne dépasserait pas 50% de la leur. Sur le plan économique, sous l’influence du théoricien de la globalisation Milton Friedman, et dans le sillage des américains depuis quatre décennies, l’Occident dans son ensemble s’est converti au marché mondial, à la standardisation des modes de vie, de consommation, de pensée ou plutôt de non-pensée. Un des moteurs de ce mouvement universel est la dévotion absolue à la technique qui doit rapprocher les êtres humains, tous les jours un peu plus, du mythe de Prométhée : devenir l’égal des Dieux. Devenir Dieu, c’est-à-dire immortel, pas au sens ontologique et religieux, mais au sens numérique et informatique, grâce à la bienveillance de tous les Big Brothers, watching us, Big Data et autres Gafa -Google, Apple, Facebook, Amazon- qui nous ont promis l’humanité 2.0, l’homme augmenté, l’éternité sur puce et circuit imprimé. Utilement, Natacha Polony nous glisse que pendant que nous fonçons naïvement tête baissée, complices et fascinés par les écrans qui restituent à leurs concepteurs les moindres détails de nos vies, vers ce tourbillon techniciste déshumanisant, un autre danger risque de nous happer avant : l’islamisme. Technicisme et islamisme, les « deux contre annonciations » dont parle Fabrice Hadjaj dans son ouvrage Résurrection, mode d’emploi commenté pour Mauvaise Nouvelle. Deux constructions folles qui n’en formeraient finalement plus qu’une pour détruire l’essence sacrée de l’homme et son rôle irremplaçable dans la création.

L’école, la transmission et la culture ont été détruits méthodiquement car il fallait, dans la vague d’égalitarisme qui nous submergeait, supprimer toute vision élitiste et tout symbole de discrimination. L’émancipation ultime de l’individu voulue par le courant libéral libertaire qui irrigue le soft totalitarisme est une doxa qui conduit à la « libération du passé, des déterminismes, et à l’auto-engendrement ». Vous avez bien lu ! Les programmes du collège regorgent désormais d’exercices pour « créer des conversations numériques », des « pages facebook », des vidéos à mettre sur You Tube. On voit bien ici l’entreprise destructrice et l’œuvre de déculturation généralisée que Renaud Camus a si bien décrite.

En septembre 1995, à l’hôtel Fairmont de San Francisco, Natacha Polony nous rapporte que le think tank du State of the World Forum réunit les élites planétaires -Bush, Thatcher, Gorbatchev, Havel, Gates, Turner…- pour trouver des solutions aux défis globaux. Il ressort de ce huis-clos une vision des 80/20 et le concept de tittytainment. La variante de Pareto imaginée par cet aréopage de puissants établit que seuls deux dixièmes de la population participeront dans l’avenir à la vie active, la création de revenus et de richesses. Ce sont les gagnants de la mondialisation -qu’ils ne nomment bien sûr pas ainsi-. Les huit dixièmes restants rencontreront inévitablement de gros problèmes –ils le concèdent, car avec la robotisation de plus en plus systématique il n’y aura plus de travail pour tout le monde-. Cette majorité victime devra par conséquent accepter l’entertainment –le divertissement permanent- et les titts –les seins, au sens où il lui faudra accepter d’être allaitée-, d’où le projet de tittytainment facilitant la conservation d’une paix sociale garante de la pérennité du système. Nul humanisme au sein de ces échanges de San Francisco, nulle conception grecque d’un bien commun partagé dans la cité, juste de vils calculs basés sur le maître étalon de ces dirigeants : l’argent veau d’or. Le Groupe Bilderberg et la Commission Trilatérale sont cités dans le livre de Polony comme le fit Philippe de Villiers dans Le moment est venu de dire ce que j’ai vu. Ces organes supra-étatiques qui réunissent les banquiers, politiques et businessmen de tous horizons sont les têtes pensantes et les marionnettistes de notre monde. Il est amusant de voir que ces collusions sont parfaitement identiques à l’échelle locale, de nos villes -surtout-, et de nos campagnes -aussi-.

Revenons un instant à la technique devenue une fin en soi, une philosophie déconnectée et affranchie de la notion de bien commun. L’économie numérique, véritable révolution, a « sa matière première », les données. Natacha Polony nous alerte car « les Gafa détiennent 80% des informations personnelles numériques de l’humanité ». Ces géants du Web possèdent des montagnes de cash qui leur permettent d’acheter toutes les start-up qui peuvent servir leur visée hégémonique. Leur boulimie est sans limites, tous les secteurs d’activité sont concernés : intelligence artificielle, médecine, éducation, drones… Leur monopole du traitement des données les conduit à circonscrire tous les domaines de l’activité humaine, la vie privée, professionnelle, le comportement des individus. « Développant une idéologie hyper individualiste, leur concept de communauté d’utilisateurs hors frontières a permis de monter les populations contre les Etats et ceux qui sont censés les incarner, pour mieux asseoir leur domination ». Génial, non ? Diabolique surtout, et nous avons tous aveuglément foncé dans le stratagème. L’ubérisation, tant vantée de tous côtés, est « en fait la mise en concurrence totale de chacun par tous et de tous par chacun ». Est-ce si pertinent pour la société que le notaire, par exemple, garant de la fiabilité des actes de famille, connaisse le risque de disparaître au profit d’un système anglo-saxon, sans limites, sans garde-fous ? Une poignée d’entreprises dispose ainsi des moyens de « nous écouter, filmer, de connaître nos goûts, nos préférences sportives, culturelles ou mêmes sexuelles ». A méditer. Pour nous-même et nos enfants, afin de nous extraire de cette attitude symptomatique de décivilisation lorsque nous sommes stupidement rivés, en continu, sur un petit écran numérique, coupés du monde extérieur tangible, arrachés par nos manipulateurs à la vraie vie. A méditer aussi : la faible résistance que rencontre ce soft totalitarisme qui n’hésite plus à avancer cyniquement à visage découvert. Les trois fruits de l’idéologie libérale libertaire –inculture, indifférence, indifférenciation- sont en train de prospérer en toute quiétude.


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