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Non-dits

Non-dits

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« L’homme pense sa parole avant de parler sa pensée.» Ecrivait Rivarol dans ses Maximes, pensées et paradoxes. Réflexion pertinente, dont chacun peut faire l’expérience, car la pensée précède bien la parole, même de quelques dixièmes de seconde. Mais ces paroles que nous émettons quotidiennement représentent pourtant bien peu par rapport aux impressions et aux jugements qui constituent la pensée brute et que nous nous formulons en silence sur notre environnement, à commencer par ceux et celles qui le peuplent. Où que nous allions, en effet, nous sommes sans cesse rappelés à notre condition d’animaux sociaux. Car les autres, aussi, nous perçoivent et nous évaluent en permanence, nous le sentons bien dans les regards qu’ils nous adressent. Mais il est rare, cependant, qu’ils nous disent ce qu’ils pensent de nous – et vice-versa. Dans ce cas, c’est souvent de façon peu amène.

Observons ce phénomène dans un wagon de métro à une heure de pointe. Les visages des gens qui se font face sont, la plupart du temps, fermés et chacun cherche à éviter le regard de l’autre. Les sourires sont rares, tout comme les conversations et ceux qui s’y adonnent le font en général en vertu d’une relation préexistante. Le silence est la règle et la communication se fait surtout avec leurs téléphones portables, à travers le déroulement anxieux de leurs messages. Aucun objet technologique ne symbolise, mieux que lui, la fermeture au monde immédiat. C’est comme si la communication potentiellement illimitée qu’il permet se faisait au détriment de la parole sensible. Avec lui le prochain disparaît au profit du lointain. C’est l’instrument idéal pour tous ceux et celles qui veulent, pour un raison ou une autre, échapper à la présence de leurs semblables dans leur champ sensoriel. Certes, l’échange oral ne va pas de soi dans une société policée. Il faut, comme on dit, briser la glace et ce n’est pas facile, surtout lorsque le désir sexuel est de la partie.

L’œil, ainsi, se balade sur des silhouettes et des visages plaisants. Quelquefois les regards sont plus éloquents que les lèvres. Et nous pouvons presque entendre ce que pensent les hommes en présence d’une femme à l’allure affriolante. Nous voudrions, dans l’idéal, lui exprimer les émotions qu’elle nous inspire. Mais la décence ordinaire, la peur de déplaire et d’être rejeté, voire le manque de temps, nous en empêchent le plus souvent. Et nous gardons ainsi à l’état de pensées les paroles que nous avions déjà formées dans notre esprit. On peut parler de frustration avec les non-dits qu’engendre la vie quotidienne. Et c’est dommage car dire soulage (presque) autant que faire, la parole étant le prélude à l’action qu’elle détermine.

Imagine-t-on ce que serait l’espace public si la masse quotidienne des non-dits venait à s’y épancher subitement ? Ce serait alors un véritable raz-de-marée langagier, une cacophonie comme jamais nous n’en avons entendue et d’où émergeraient les mots les plus doux comme les plus obscènes.

Qu’on l’admette ou pas, le non-dit façonne notre vie sociale. Car bien davantage que la communication tant vantée, c’est la non-communication – sinon l’incommunicabilité – qui s’avère être la règle commune. C’est pourquoi la parole représente toujours une victoire sur cette force d’inertie qu’est le silence. Au niveau individuel ou sur un plan collectif, prendre la parole est toujours une forme de courage. Car la parole est la première des armes humaines. C’est le prélude à toutes les révolutions. Lesquelles ne viennent pas toujours de là où on les attend : voyez le mouvement Me too et la protestation des femmes sexuellement abusées tant aux USA qu’en Europe. Oui les puissants de ce monde ont tout intérêt à maintenir l’omerta sur leurs agissements, en quelque domaine que ce soit. Mais ils ne peuvent, heureusement, rien faire contre le temps qui joue toujours en leur défaveur.


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