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Sarah Vajda contre le moloch Utilitariste

Sarah Vajda contre le moloch Utilitariste

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IVG dans la constitution, projet de loi pour l’euthanasie… Au train où va la chute, il est plus qu’urgent d’écrire des dystopies. Notre époque est celle où le réel double les prophètes de malheur. Notre époque doit donc être celle où les écrivains sanctuarisent par leur langue, leur univers, l’être contre toutes les idéologies qui veulent le réduire au rang de bétail.

Pour son grand retour en librairie, Sarah Vajda a décidé de camper son histoire dans une France ayant rendu obligatoire l’euthanasie pour les plus de 68 ans sous peine de se voir privé de tout : identité, sécurité sociale, carte bancaire, etc. Le choix est donc donné de soit mourir dans la pseudo dignité, soit crever comme un chien. La dernière prescription en date d’un Etat se voulant encore et toujours providence en cumulant les injonctions contradictoires est donc l’euthanasie obligatoire. « Jacques a dit : Rien ne va plus ! (…) Les jeux sont faits. (…) Impaire et passe, la Vieille tu te casses. » Le programme s’appelle effectivement Les jeux sont faits. Mais rien de violent là-dedans, il s’agit simplement d’offrir à tous de mourir dans la dignité. Comme toujours, les tenants du pouvoir inversent les définitions, et, voulant faire l’ange, ne font que la bête. Tous les mots valise du camp du bien sont convoqués pour draper de conscience écologique et de raison la transformation nazie de la société. La fin de vie proposée est une sorte de dernier parc d’attraction permettant de « se faire buter, en douceur et allégresse, honneur et dignité. » C’est ainsi que « la mirifique euthanasie démocratique » permet aux vieillards de rejoindre les trisomiques et autres erreurs de la nature, enfermés avec leur consentement au bagne du plaisir. D’un fascisme à l’autre… donc. Eugénisme et jeunisme se rejoignent ici pour consolider l’Etat totalitaire et sa SS (sécurité sociale) déficitaire. Le géronticide est banalisé et positivé comme boire, manger et dormir… ; ouvrir son téléphone, acheter des êtres vivants… ; faire naître des enfants dans des ventres étrangers… ; changer de sexe et de genre comme on change de vêtement… ; comme on va à l’école, au turbin et enfin au trou.

Mais c’était sans compter sur Mireille ! Elle ne se laissera pas faire comme ça ! « Plutôt mourir de faim que de ridicule en bandes organisées. » Plutôt crever qu’être euthanasiée ! Mireille, l’héroïne, juste une vieille, demeure obstinée à ne pas vouloir rater son dernier acte. L’histoire de Mireille nous est racontée par Davia, orpheline de Corse, devenue prof gourou pour inciter à la résistance contre la destruction de Piazzino par le tourisme. Son but : faire chacun de ses élèves des aborigènes. A la mort de son père dans un attentat énigmatique, Davia choisit Mireille pour mère et mentor tandis que son frère fuit et s’engage dans l’armée. Et nous tournons autour de Davia au travers de l’inspectrice Demona sur les origines de divers tags et incendies dans l’île de beauté dénonçant « une dénaturation du patrimoine devenu marchandise. » Que ce soit par l’euthanasie pour tous ou le tourisme, l’ennemi identifié est donc toujours le capital, hydre aux multiples manifestations, qui s’organise pour gérer le bétail humain.

Ces récits dévoilent petit à petit tout ce qu’il faut d’absurde, de hasards, de banalités, de malignité pour que la tragédie se tisse. Et nous avons le sentiment de voir naître également un conte philosophique. Si dystopie il y a, il y aura aussi utopies. L’urgence est de sanctuariser l’être en fuite du monde. L’utopie, c’est d’abord la province que Mireille avait oubliée et qu’elle rejoint dans sa fuite. Puis la Camargue, puis La Corse ayant accompli son destin en faisant sécession, la Corse, premier morceau libéré de la France nazie. Face au tourisme venu transformer l’île en marina aux loisirs mercantiles vouée, on perçoit que l’utopie sera Lanyu, île au large de Taiwan que le frère de Davia avait rejoint. En fait, le vrai nom de cette utopie est la fuite, le salut est dans la fuite face au monde. Le vrai nom de cette utopie est aussi solidarité. Dans la France de l’euthanasie obligatoire, « le trafic de faux papiers et le secours aux dissidents s’organisaient contre le moloch Utilitariste. » Le vrai nom de cette utopie est enfin transmission. Il s’agit de croire à la transmission du flambeau de la résistance de l’humain. « L’Etat peut jouer les gros bras, la résistance toujours aura le dernier mot. »

Sarah Vajda, Les jeux sont faits, roman, Ed. Le Cherche Midi, 336 pages, 21€


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