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MORT AU PEUPLE

MORT AU PEUPLE

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Une seule phrase sur la quatrième de couv’ du dernier roman de Marc Obregon, Mort au Peuple : « Si la France pue, c’est qu’on y bâfre encore la charogne des rois. » La phrase éclate comme un slogan et nous salit en même temps. Pas de pitch, pas de mise en bouche, juste une petite baffe pour nous « réveiller » et nous mettre au pied du mur pour choisir notre rôle : complice ou victime ! On choisit de s’identifier à la victime et on ouvre le livre. Sans aucun préliminaire, sans passer par un quelconque sas narratif, Marc Obregon nous immerge dans la tête d’un complotiste et nous y resterons quasiment jusqu’à la fin en flirtant avec la folie. Nous sommes immédiatement assimilés au héros. Donc nous voici célibataire, malingre, banlieusard à Arcueil, vivant seul dans la résidence Lénine entre deux bretelles d’autoroute, baigné dans une véritable odeur de cafard mouillé. Bref nous appartenons au camp des perdants de la mondialisation. Paris n’est pas pour nous ! D’ailleurs, pour le héros « Cette ville n’était plus peuplée d’humains depuis longtemps. »

Notre monde et notre époque étant tenus pour une farce, et puisque nous vivons dans la société post-bourgeoise, post-rêveuse, post-parturiente, post-tout, si on ne veut pas finir comme une simple composante du bétail humain, on ne peut que devenir complotiste. Nous avons bien toutes les raisons de l’être si on y réfléchit bien. Notre héros, nous même, partons d’« Une idée première qui pouvait se résumer ainsi : le monde est une trahison. » Devenir complotiste est la seule façon de sortir du piège, de se sentir à nouveau élu, non plus à la marge du monde mais en surplomb.

C’est une rencontre qui va tout changer et redonner du sens à cette vie de déchet du mondialisme. Ifiq apparait comme un prince à la beauté fascinante, légèrement plus jeune que nous, barbe noire et drue en collier, traits anguleux, ailes de nez frémissantes et yeux vermeils d’haschischin. C’est lui qui nous remet en selle pour le combat pour la vérité, qui nous permet d’être à nouveau fidèle au chevalier que nous ambitionnions d’être enfant. « Oui, nous les adorateurs de contre-vérités, nous étions persuadés à ce moment précis de l’Histoire qu’elle bifurquait vers un mensonge global. »

Nous voilà donc désormais membre d’une secte chiite radicale. Avec Ifiq, nous découvrons, sur un chantier de désamiantage, la chambre du roi dans laquelle nous tombons sur la véritable boîte noire de l’humanité. Dès lors, tout renforce nos théories complotistes à mesure que nos yeux s’ouvrent. Toutes ces ficelles employées par le prince de ce monde et ses sbires deviennent tellement évidentes, voire grossières ! Les liens de causalité se tissent ainsi que le roman lui-même, nous sommes le roman, et nous commençons à avoir le vertige. Une autre voie était-elle possible ? Simplement tomber amoureux pourrait peut-être suffire, remplacer nos velléités d’anéantissement à grande échelle de l’humanité… Callixte d’Arcourt, la jeune fille parisienne au prénom de garçon, passe devant nous, on se prend à rêver, à croire à une pureté quelconque. Mais l’histoire d’amour salvifique est devenue impossible dans ce post-monde. La parisienne spectrale à la nuque d’oiseau se volatilise pour réapparaitre bien trop tard en clef de voute.

Dès lors, l’attentat apparaît comme le seul acte honnête possible à poser. L’attentat suicide, comme la seule réponse pour sortir du piège tissé. On ne peut pas survivre à son attentat, car ce n’est pas le grand soir que l’on cherche, mais à rétablir la vérité en emmenant dans sa propre chute le prince de ce monde. Notre avenir oscille dès lors entre la ceinture d’explosifs et la camisole de force. Tout le monde finira peut-être par se payer notre tête, c’est sûr. Nous pensions être un terroriste cosmique, et nous ne serons peut-être qu’un déséquilibré de plus et puis basta.

A la lecture de Mort au Peuple, on rit et on frissonne en même temps. On jouit et on vomit en même temps. On a tellement douté, qu’on finit par vouloir relire pour se situer dans le récit : « C’était sans doute le stade ultime du complotisme que de mettre en doute sa propre existence. »

Jacques-Léonor Croseta

Mort au peuple, Marc Obregon, Ed. Nouvelle Marge, 194 pages, 22€


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