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Chevènement raconte 50 ans de vie politique

Chevènement raconte 50 ans de vie politique

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Qui veut risquer sa vie la sauvera, tel est le titre du livre de Jean-Pierre Chevènement emprunté à un verset de l’Evangile de Luc ou de Jean. Dans ses Mémoires, l’homme politique retrace son histoire personnelle et professionnelle, la construction européenne, ses relations avec François Mitterrand. Sa figure de souverainiste a toujours été singulière et sa critique du modèle technocratique européen utile. Se plonger avec lui dans cinquante de vie publique française est fécond d’autant qu’il se veut passeur : « Parvenu assez loin dans l’automne de ma vie, j’ai été aussi soutenu par l’espoir d’éclairer les nouvelles générations sur les évènements qui ont conduit, depuis près d’un siècle, à ce que l’idée de la France se soit ainsi brouillée. La France reste, à mes yeux, le plus sûr levier pour façonner leur avenir. Peut-être puiseront-elles dans ces pages l’envie de la réparer et de la porter plus haut. »

Voici quelques bribes du portrait qu’il dresse de Mitterrand, son mentor en 1981 : « Il avait l’art de ne retenir dans ses argumentations que ce qui pouvait servir à convaincre ses interlocuteurs. Il faisait profession de mettre la politique très au-dessous de la littérature et de beaucoup d’autres activités humaines mais il la pratiquait en artiste, en y consacrant  en définitive beaucoup de temps. »

Jean-Pierre Chevènement se demande s’il eût été possible de faire autrement ces dernières années, et quelle fut au fond la signification de l’élection d’Emmanuel Macron : « Elle est intervenue alors que le cycle néolibéral touchait à sa fin […] On s’avisa, avec la crise d’à peu près toutes les nations européennes (Italie, Espagne, Grande-Bretagne, Allemagne même) et en France avec le mouvement des Gilets jaunes, des fractures qui résultaient de la soumission des politiques publiques opérée il y a plus de trente ans aux dogmes du néolibéralisme. » Le tournant s’opéra en 1983 lorsque Mitterrand s’appropria le « there is no alternative » de Reagan et Thatcher, emboîtant ainsi le pas du grand frère américain : « la gauche est allée plus loin en matière de dérégulation et de transfert de compétences à Bruxelles que jamais la droite n’eût été capable de le faire […] C’est pourquoi dans l’entourage de François Mitterrand, au début des années 1980, on ne trouve, à peu d’exceptions près, que des technocrates formés à l’école d’un conformisme libéral bon teint, et même, pour les plus originaux, franchement néolibéraux. » Concernant le président français actuel, notre auteur souligne que son programme est apparu très vite en porte-à-faux avec la réalité d’une Europe où chaque nation semblait se replier sur ses propres problèmes et « surtout quand il devint évident que son projet de relance à travers un budget de la zone euro se heurtait à l’ordolibéralisme d’Angela Merkel. » Il y a une logique entre le néolibéralisme qui a triomphé en France et en Europe dans les années 1980-1990 et le grand vent de dégagisme qui s’est levé ensuite et grâce auquel Emmanuel Macron est venu au pouvoir en France mais qui le frappe à son tour aujourd’hui.

Chevènement, fin observateur des mutations en cours, constate que la mondialisation libérale, à travers la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des hommes, se trouve mise en cause non par la gauche, largement ralliée au social-libéralisme, mais par la droite dite « populiste ». C’est même selon lui le moment de la déconstruction : « Nous sommes entrés dans une nouvelle ère, où les rapports de force et les compromis bilatéraux vont se substituer au multilatéralisme libéral qui structurait « le monde d’avant ». C’est le retour au primat du politique, celui des Etats, avec ce que cela implique de contrôles. C’est le retour des frontières. » Sur le plan géopolitique, il s’essaie aux prévisions : « Les tensions commerciales mais aussi politiques entre les Etats-Unis et la Chine sont devant nous, et pour longtemps. Elles pèseront aussi sur la croissance européenne. Le PIB de la Chine va dépasser irréversiblement celui des Etats-Unis. La rivalité technologique va alors prendre le pas sur la rivalité commerciale. On ira vers un certain partage des zones d’influence, dans une ambiance qui rappellera peut-être la guerre froide mais exclura, en principe, les guerres chaudes. L’arme nucléaire, en effet, fonctionne, à cet égard, comme un puissant ralentisseur des conflits militaires. Naturellement, il y aura des conflits indirects, mais limités. Ce qui sera intéressant à observer, c’est le partage des zones d’influence en Asie, y compris au Moyen-Orient, mais aussi en Afrique, en Amérique latine et même en Europe. De quel côté tombera-t-elle ou plutôt se partagera-t-elle ? »

Au crédit de Macron dont il observe décidemment les moindres faits et gestes, notre auteur évoque  l’ouverture qu’il a réalisée vis-à-vis de la Russie en invitant, en août 2019, à Brégançon, le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine : « La Russie est un peuple européen incontestable et l’Europe a avec elle de nombreux intérêts communs : la lutte contre le terrorisme djihadiste, la protection des minorités, notamment chrétiennes, dans le monde musulman, la stabilité d’une région proche et vitale comme le Moyen-Orient, où la Russie, vis-à-vis de la Turquie et de l’Iran pèse son poids. »

Le vieux grognard de la politique aperçoit évidemment les périls qui se profilent à l’horizon : « Il nous faut rompre enfin avec la version pénitentielle qui est donnée du récit national, ainsi à travers la pensée « décoloniale » qui voudrait rendre les Français étrangers à leur propre pays. » Il sait aussi que l’Histoire ne se résume pas à l’économie, qu’il y a d’autres moteurs que les forces du marché. Nous le suivons néanmoins plus difficilement quand il affirme que « la République, comme communauté de citoyens unis par les mêmes souvenirs, les mêmes projets et les mêmes valeurs, est une idée toujours neuve. », tant celle-ci a, à nos yeux, poussé trop loin l’idée du multiculturalisme et des droits de l’homme. Nous acquiesçons en revanche quand il exhorte aux côtés de Bernanos à relever le « parti de l’Histoire de France ».


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