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L’art, c’est bien fini

L’art, c’est bien fini

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« Dans le domaine des arts visuels qu’on appelle Art tout court avec un A majuscule, on passe d’œuvres d’art (traditionnellement tableaux et sculptures) à des installations, environnements, dispositifs multimédias qui enveloppent le spectateur dans des expériences multi-sensorielles. Telle est la « vaporisation de l’art », son passage à l’état gazeux. » Ainsi parle le philosophe Yves Michaud dans son livre L’art, c’est bien fini, écrit à l’âge de Maurizio Cattelan, de Laurent Garnier, de Philippe Starck, de Rem Koolhaas, de Jeff Koons, du tourisme, de l’argent roi, des musées et des bonnes œuvres queer et décoloniales.

« Le monde des atmosphères n’est plus celui de la perception esthétique. Le monde du Grand Art est mort et bien mort. Le sujet n’a plus de maîtrise. L’individu est une fiction et l’individualisme un mythe. » La beauté est devenue indifférente, qu’il y en ait ou non, là n’est pas le sujet car tous les critères ont changé : « En art, le beau, ce n’est plus le problème. » Paradoxalement, dès que l’on quitte le monde de l’art, il n’est question que de rechercher le beau, « mais un beau insaisissable, indéfinissable, pluriel, multiple, polymorphe, flottant, qui accompagne et signale l’expérience esthétique. » Notre auteur nomme ce phénomène : hyper-esthétisation. La représentation du monde ne se fait plus, comme jadis, à travers les prismes du courage, de la vertu, du salut ou de l’honneur, pas plus par le travail qui fut un moyen de s’accomplir et inspira pensées, actions et réalisation de soi.

Les esthétiqueurs sont désormais à l’œuvre, ils ont gagné et continuent à gagner de plus en plus de domaines de la vie, « depuis la culture du corps jusqu’à celle des sentiments, depuis les loisirs jusqu’à la consommation, depuis la ville jusqu’à la nature sauvage, depuis l’Art avec un A majuscule jusqu’aux arts culinaires ou aux arts martiaux, depuis le travail des artistes jusqu’à celui des cuisiniers et des karatékas… Un pas de plus et c’est la chirurgie plastique, depuis les interventions anti-rides (botox, liftings) jusqu’aux opérations pour corriger l’obésité (liposuccion), modifier les visages (nez, paupières, oreilles), poser des implants, retendre la peau du cou ou du ventre, produire des silhouettes callipyges ou les rendre moins hottentotes, gommer le vieillissement. »

Dans ce monde liquide, voire gazeux comme le décrit Michaud, la condition ultime est celle du touriste, esthète ou consommateur d’exotisme, cherchant sensation, plaisir et beauté dans un monde de vacance : vacance d’esprit, d’occupation, désintérêt par rapport au temps quotidien, prise de distance aussi bien psychologique (« on oublie tout ») que physique (« on part loin »). Cet homo touristus, synthèse d’homo economicus et d’homo festivus, a perdu le rapport si salutaire à la transcendance. Il ne croit ni à Dieu ni à Diable, croit en lui sans réellement être assuré de cette croyance, il ne va plus à l’Eglise, ne regarde plus le ciel, encore moins le cosmos trop énigmatique, violemment anxiogène, parce qu’il lui rappelle l’inanité de sa condition qui conduit à la mort, en même temps que la grandeur insondable de cette condition tirée du mystère inouï qu’est la vie.

En lisant Yves Michaud, on entend parfois Régis Debray dans le ton rythmé et l’humour grinçant : « La plupart de ces « people » sont jeunes, belles, modelées par la gymnastique et les programmes d’entraînement personnel, régulièrement retouchées par les meilleurs spécialistes de chirurgie esthétique. Sur les photos, elles ont la perfection Photoshop. Leur beauté fait rêver -jusqu’au moment où un tabloïd révèle leur dépression, leur dépendance à l’alcool ou aux « painkillers » et leur entrée en clinique de « rehab ». Peu importe, elles en ressortent encore plus belles avec en prime l’auréole de la Rédemption. »

Dans ce monde horizontal, la mort a été expulsée de tous les radars. En la niant, l’homme moderne, tel Sisyphe, subit le châtiment éternel de vouloir remonter vainement le rocher de la jeunesse vers des sommets inaccessibles, puis constate, impuissant, qu’il dévale vers l’abîme du vieillissement et de la décrépitude.

L’esthétisation vient donc artificiellement gommer chez lui ce qui pourrait subsister de peur et d’angoisse ; « elle est le remède contemporain à l’Être-pour-la-mort. »


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