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Le passé ne meurt pas

Le passé ne meurt pas

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Le passé ne meurt pas. Le titre du dernier livre de l’historien Jean de Viguerie disparu en décembre 2019 claque comme une ultime effronterie lancée aux modernistes de tous poils. Ceux-là mêmes qui sont bien décidés à enterrer le passé une bonne fois pour toutes. Ceux qui prétendent que seul le présent compte et que le vieux monde est derrière nous. Voilà, à ceux-là, et à tous leurs inverses opposés, ceux qui croient au passé, à l’histoire, à la mémoire, au Dieu incarné de la Bible plutôt qu’aux décérébrantes religiosités du temps, l’auteur livre sa clé, son testament probablement.

Dans ce livre de souvenirs, Jean de Viguerie parle « des choses et des gens » qu’il a vus. Il se fait témoin d’une époque, de « l’atmosphère, de l’ambiance de ces temps disparus. » Immédiatement, on s’interroge sur le paradoxe qui voit des temps disparus se confronter à un passé qui ne meurt pas. La vision d’éternité du catholique pratiquant l’a sans doute emporté car le passé ne se survit en réalité que le temps du souvenir qu’en ont les vivants, perpétué par l’écrit s’il trouve quelque esthète, après, il disparaît et s’efface à tout jamais face à l’inexorable avancée des choses. Drame de notre époque d’ailleurs, privée de sens parce qu’elle a voulu supprimer la mémoire encombrante et la vie intérieure qui lui rappelaient trop violemment l’inanité de ses choix.

Né à Rome en 1935 et baptisé en l’église Saint-Louis-des-Français, notre auteur vient au monde sous le pontificat de Pie XI, ce pape jugé « mauvais » au sein de sa famille qui est royaliste et catholique parce qu’il a condamné l’Action française et permis aux évêques français d’infliger des sanctions aux abonnés de ce journal. Le cardinal Pacelli, élu pape en 1939 sous le nom de Pie XII, redorera le blason de la papauté aux yeux des Viguerie.

Dans cette famille traditionnelle, on rend visite aux morts, c’est la « politesse des cimetières de village ». Les trépassés sont présents chez les vivants qui les honorent. Ils ne mourront finalement que plus tard après avoir joui de ce dernier sursis. On croit bien sûr au Maréchal car l’honteuse défaite de 40 est assurément imputable à cette République mise ainsi en pénitence : « On ne souhaitait dans la famille ni la fin du régime de Vichy, ni la victoire des anglo-américains. » Elève du collège Saint-Théodard à Montauban, Jean de Viguerie passe une scolarité heureuse avec des enseignants dont certains sont laïcs et d’autres prêtres du diocèse. La religion est gravée dans son cœur d’élève édifié par ses maîtres « pieux et savants ». Son séjour à Rome avec la troupe scoute à laquelle il appartient est inoubliable : « Il a été convenu que nous visitions les villes et les lieux sacrés. L’énumération serait interminable des églises, des palais, des œuvres d’art, des sites visités, de la Tour penchée à Pise, à Pompéi et à la plage de Sorrente où nous dormons devant le Vésuve empanaché de flammes, en passant par les fresques de Giotto à Assise et à Santa Maria Novella de Florence. » Sur son journal de bord, il écrira quelques vers de l’Adieu à Rome de Rutilius Namatianus, l’un des derniers grands poètes latins : « Entends-moi, magnifique souveraine du monde, Rome qui as ta place dans les cieux étoilés ; entends-moi, mère de tout ce qui est sacré ; tes temples sont proches du Ciel. Nous te chanterons jusqu’à la fin du monde. »

En 1955, alors étudiant, il débarque à Milan pour préparer son mémoire du Diplôme d’études supérieures d’histoire. Le thème en est l’histoire moderne et le XVIIème siècle italien. A 20 ans, c’est le départ pour l’Algérie. Avec nombre de ses camarades qui combattent pour certains d’entre eux les fellaghas depuis sept ans, il n’accorde pas crédit au putsch d’Ager et n’est pas enclin à suivre les généraux « félons » Salan, Challe, Jouhaud et Zeller. Pour ces jeunes appelés, il y en a assez de cette guerre et de cette Algérie. Pourtant, notre auteur reconnaît que grâce au roi Charles X et au corps expéditionnaire débarqué en 1830, la Méditerranée a pu être délivrée de la piraterie. La grandeur de l’aventure franco-algérienne se révèle également pour lui dans la splendeur de la Mitidja, « ce pays infect, lacis de marécages, devenu un paradis terrestre, un merveilleux jardin de vignes et d’orangers », c’est-à-dire l’une « des plus grandes réussites de la colonisation en Algérie ».

Admis à la Sorbonne, le saint des saints de l’Université française, il est nommé assistant à la faculté des Lettres. Fier bien que conscient de la modestie du grade, il vivra de l’intérieur les événements de mai 68. En 1971, il est nommé maître de conférences à l’université d’Angers. Proche de Dom Gérard fondateur de l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux, il appartient à la frange des catholiques traditionalistes. Professeur et conférencier, il publie 13 livres de 1976 à 2015 et plus de 140 articles, et fait en outre quelques apparitions dans les médias audiovisuels.

Jean de Viguerie, dans les dernières lignes de l’ouvrage, dévoile son précieux legs en s’adressant à ceux qui tentent de demeurer libres et de conserver l’héritage de la civilisation européenne : « Le régime, la fameuse république des valeurs, est usé jusqu’à la corde. Il est même incapable de se définir lui-même. Mais personne ne s’interroge sur les raisons véritables de cette impuissance et de l’anarchie qui en résulte. On se complaît dans les vieilles recettes. Il est donc nécessaire que ceux qui en sont capables réfléchissent et s’interrogent sur les moyens de protéger le bien commun. Ensuite qu’ils écrivent. Leurs écrits resteront. La cité pourra y avoir recours. Verba volant. Scripta manent. »

Le passé ne meurt pas.


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