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Romans policiers

Romans policiers

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Quand on y songe bien, et clairement, et rien de mieux pour cela qu’une nuit d’insomnie, dans laquelle on ne s’ennuie pas ou bien où l’on essaie d’échapper à l’ennui, on ne mesure pas assez les vertus, si, si, les qualités du roman policier. C’est une matière romanesque un peu décriée, jamais entièrement prise au sérieux, et qu’on lit avec une forme de distraction coupable, et que les écrivains de grand ton, qui prennent leur air de flûte pour les grandes orgues de Chateaubriand, parfois, affectent de mépriser ou méprisent sérieusement. Ils ont tort.

Prenons, essentiellement, l’exemple de la France. Il y a des romanciers du genre policier, des créateurs oubliés, et d’autres insoupçonnés. On pense bien sûr à Eugène Sue, à certains aspects de ses mystères de Paris, à Emile Gaboriau, le Charentais, et à son enquêteur Lecocq, qui est l’un des papas de papier et d’encre du grand détective Sherlock Holmes. Mais comment oublier, toujours pour le dix-neuvième siècle, l’aventureux Rocambole de l’abondant Ponson du Terrail ? Ou bien encore, et même surtout la lutte titanesque et morale, la métaphysique policière qui chez Victor Hugo dans Les Misérables s’incarnent entre Javert et Jean Valjean, trouant un siècle noir et dur avec les éclats et la force d’une terrible chanson de geste ? Là, franchement, dans cette cathédrale de mots, le genre policier atteint au sublime. Curieusement, et pudiquement aussi, sans jamais le dire à son vieil ami Hugo le sourcilleux, le gourmand Alexandre Dumas n’aimait pas Les Misérables. Les reproches qu’il fera, à sa publication, à ce grand roman ne sont pas injustes. Ils furent secrets, n’étant avoués que par une lettre que Victor Hugo ne connût pas. Les aveux les plus doux, chez le créateur de cette autre splendide et terrible machinerie policière et contemporaine alors, et qui s’appelle Le Comte de Monte-Cristo, où l’on s’aperçoit que l’injustice de notre temps n’avait rien à envier à celle des années louis-philippardes, donc d’avant 1848, sont les aveux que l’on ne se fait qu’à soi-même, qui ne franchissent pas la barrière bien serrée des dents.

Il y a des écrivains qui, aujourd’hui encore, condamnent, par esprit de sérieux, en France et ailleurs, le roman policier parce qu’il ne serait qu’un roman abâtardi, une créature aux manières déplorables. Un genre servi par des écrivaillons. Allons donc, la belle affaire ! Ce jugement tient de la blague, de la grosse ficelle ou du mensonge épais, du faux témoignage et du vilain procès. Ils condamnent aussi, ces gens-là, toute l’expression littéraire policière, qu’importe sa forme, d’ailleurs ! Le genre policier existe depuis toujours, dès la tragédie antique grecque (les drames d’Œdipe en sont l’une des illustrations ; celui d'Antigone préfigure Crime et Châtiment ou Les Frères Karamazov, du merveilleux inquisiteur de l’âme humaine que fut Dostoïevski). Il y a dans le retour d’Ulysse et dans ses ruses contre les Prétendants quelque chose de terrible qui contient en germe Les dix petits nègres ou Le Crime de l’Orient-Express d’Agatha Christie ; or le crime vient de loin, et son récit aussi : il sort, moralement, de quelques épisodes bibliques, ainsi de Caïn et Abel. Dans le roman policier, dans le récit policier classique, il y a de tout ! Des figures terrifiantes de géants, comme le Vautrin de Balzac, des faces blêmes, jetées ou actives dans l’ombre la plus froide, celle de l’Histoire et de la vie politique, cette vie de glace, qui sait brouiller les pistes, broyer les faits et les êtres : c’est l’œuvre de Fouché et ses agents dans Une Ténébreuse affaire, par exemple.

Nul besoin, sinon pour lui offrir ici un salut respectueux pour ses mérites, de plonger dans les crimes racontés par Edgar Allan Poe, dans ses récits merveilleusement traduits par Baudelaire, ou dans sa langue originelle d’Outre-Atlantique ! Si certaines professions du droit, qui abordent aussi aux rives du crime et qui sondent les cœurs autant que les bourses, sont aujourd’hui menacées parce qu’elles sont réglementées et soudain visées par des réformes affirmées par des têtes grillagées, affichées et tambourinées, claironnées et rangées en uniforme grisaillé, et dont l’esprit manque de méthode ou se résume au fourre-tout, le roman policier est peut-être, lui aussi, après tout, et paradoxalement, en France, une espèce menacée. Cela depuis la mort de quelques hautes figures. Allons vite : de Balzac à Dumas, jusqu’à celle d’Albert Simonin ou du duo efficace composé, en bons complices criminels majeurs, par Boileau-Narcejac, depuis la mort de Léo Malet, enfin, qui fut le Balzac malicieux et tapageur du XXème siècle et un merveilleux flâneur parisien, les stylistes manquent, peut-être, chez nous, pour le roman policier d’aujourd’hui. Mais, enfin, avec notre actualité financière, avec les déjeuners politiques qui exigent ou pas la tête des autres en entrée ou au dessert, avec les ministres ou les serviteurs de l’Etat qui boudent le fisc, avec tout ce qui palpite ou bondit, comme un diable d’une boîte, à longueur de colonnes dans les journaux et sur les ondes, et tout ce qui reste dans les coulisses parlementaires et tout ce qui sort dans la rue, vraiment, la matière policière ou le fruit romanesque ne manque décidément pas. Le roman policier resterait, à plein : un genre d’actualité. Ses écrivains d’aujourd’hui sont sans doute moins pressés ou moins doués pour tenir leurs chroniques que Stendhal pour faire le procès de son temps, ou que Dumas, pour nous offrir le redoutable et accablant modèle vivant entre les lignes du procureur de Villefort. Notre temps politique respire mal. Notre littérature policière aussi. C’est dommage !


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