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Tsss… Houellebecq, Houellebecq !

Tsss… Houellebecq, Houellebecq !

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Houellebecq… Michel Houellebecq. Un nom d’auteur aux consonances familières. Tout le monde ou presque a entendu parler de Michel Houellebecq. Tous ont entendu ce nom au moins une fois. Ne serait-ce que lorsque La Carte et le territoire (2010) fut couronné par le Goncourt. Le Goncourt ? Oui, le Goncourt pour celui de ses livres qui est loin d’être le meilleur. Bref, Michel Houellebecq auteur connu, même très connu voire reconnu.

Houellebecq : un tsunami médiatique à chaque publication. Houellebecq : il faut l’avoir lu (ou pas) mais avoir écrit au minimum un article sur lui. Tout le monde ou presque veut avoir son mot à dire sur Michel Houellebecq. Et va que je te ponde des lignes sur sa dernière sortie et sur celle d’avant et l’autre encore d’avant. Houellebecq : du pain béni pour les copistes.

A son premier opus, H. P. Lovecraft : contre le monde, contre la vie (1991), personne ne savait que Houellebecq existait. Par suite, personne ne parlait de Houellebecq. Personne ne lisait Houellebecq. Personne n’écrivait sur Houellebecq. Avec Extension du domaine de la lutte (1994), la situation n’était pas franchement meilleure. Malgré – ou à cause de – cela, c’est devenu un roman culte !

Ma rencontre avec Houellebecq s’est déroulée au cours de ce deuxième livre. Une vraie claque.  Totalement abasourdie, la môme ! Je l’ai recommencé derechef une fois la dernière ligne achevée. Le seul livre que j’ai lu d’une traite deux fois de suite sans reprendre ma respiration ne serait-ce que pour m’exclamer « Mais quel con ce mec ! » Oui, le narrateur en tient une couche ! Je ne pouvais croire ce que je venais de lire. Touchée ! Bang ! En plein cœur ! Coup à la tempe ! Tout devient noir ! Noir comme cette écriture houellebecquienne savait parfois si bien le faire pour camper un personnage haïssable et touchant à la fois.

Sans me vanter, j’en ai lu des tonnes de romans ! Dans tous les genres, toutes les époques, tous les styles, Tradis, Indés, bouquins de tous les continents, tous les pays… Peu m’ont incitée à les relire. Ainsi, Extension du domaine de la lutte fut une tout autre équipée. Une de ces rencontres qui n’arrive qu’une seule fois dans la vie et elle avait choisi la mienne.

De là, j’ai voulu essayer de comprendre. Ce fut Houellebecq. Sperme et sang (2003). Premier ouvrage de critique littéraire sur l’auteur. En fait, mon mémoire de maîtrise. Liberté totale pour la novice que j’étais puisque, me précédant, il n’y avait aucun mandarin à suivre. Je pouvais écrire ce que je voulais comme je l’entendais avec au fond de moi cette rage que m’avait transmise le narrateur par son auto complaisance, son auto apitoiement, son manque d’investissement accompli non assumé.

De toute évidence, en dépit de son maniement adroit des concepts sociaux et de ses comparaisons fulgurantes entre les systèmes économiques et sexuels, si Houellebecq appliquait dans son écriture l’effet papillon, la loi de Pareto, quant à elle, en était tout à fait absente.

Cette constatation me donna envie de me pencher plus avant sur l’écriture houellebecquienne d’où mon deuxième ouvrage, Michel Houellebecq revisité : L’écriture houellebecquienne (2007).

En travaillant à ce livre, je remarquais le peu d’innovation de Michel Houellebecq, son consensus avéré. S’il faisait couler tant d’encre, c’est que beaucoup le voyaient comme un génie, un prophète, un précurseur. Il avait osé écrire « Il bandait comme un rat » dans Les Particules élémentaires (1998) ! La belle affaire ! Ses admirateurs le répétaient à foison. Les journalistes s’en gargarisaient. Ses détracteurs le traitaient de toxique alors qu’il n’était que doxique. Tout ce sexe : rien que du convenu, de l’accepté. Rien de bien folichon, pas de quoi fouetter des vierges ! Plusieurs auteurs – autrement rebelles – avaient sévi dans ce domaine auparavant. Houellebecq : pas du tout le vilain garçon que certains désiraient clouer au pilori. Dans la foulée, je commis Michel Houellebecq. Sexuellement correct (2013).

Alors, demanderez-vous, Sérotonine (2019) ? Oui… Sérotonine… Michel Houellebecq a déclaré : « C’est un roman d’amour ». Ah, oui ? Ben voyons ! Il existe, c’est certain, d’autres tropes amoureux que ceux hantés dans les harlequinades. Toutefois, les expressions « grosses salopes, petits culs et pédés » forment-elles la fondation pour une intrigue entre amants ? Plutôt un fonds de commerce, non ?

Déjà avec Soumission (2015), j’avais un peu tiqué ! Là, idem dito. Ça patine. Ça s’embourbe ! Un tour de passe-passe plutôt raté. Je ne suis pas la seule à l’avoir constaté[1]. Allez… Soyons fous ! Si je voulais me ranger du côté positif, je me prononcerais ainsi : « C’est inimaginable ! L’auteur est revenu à son écriture première d’Extension du domaine de la lutte ! C’est indéniablement l’extension du domaine de l’écriture[2] ! Une plume noire trempée dans le goudron chaud, fluide et solide. »

Mais équation oblige… le goudron en refroidissant devient gluant, puis il durcit. Sérotonine, c’est un goudron froid qui colle, qui tache, mais ne durcit jamais. Un goudron dont on n’arrive plus à se dépêtrer. L’auto apitoiement est toujours présent ; de même l’auto complaisance et l’absence d’empathie. Oui, tout est bien là, mais… édulcoré tout en étant forcé. Dire que je suis déçue serait un euphémisme, quoique… De toute façon, qu’attendre après Soumission ?

La sérotonine, un des neurotransmetteurs composant le MDMA administré aux soldats démobilisés souffrant de troubles de stress post traumatique est prescrite au narrateur. C’est quoi le traumatisme de notre Florent-Claude ? Tirer la chasse avec de l’eau potable alors que des millions de ses semblables meurent de soif ? Nan ! Ses capacités d’adaptation sont bel et bien débordées, mais par quoi exactement ? Grosse énigme. Encore un narrateur – handicapé du gland – qui, bien que du côté des vainqueurs, se complaît à geindre sur l’état de sa vie (soit dit en passant : somme toute assez réussie – ce qu’il ne sait/veut pas voir). Rien de plus. Un peu léger, non ?

Bon d’accord, il y a un petit effort du côté mauvais-garçon-provocateur-auteur-maudit avec un peu de zoophilie, un peu de pédophilie, le tout présenté par le filtre d’une vidéo. Comme l’a aussi noté Arthémise Johnson[3], le narrateur, le personnage et l’auteur restent ainsi tout ce qu’il y a de plus conventionnels, dissimulés hors d’atteinte des foudres de la bien-pensance : ils frôlent l’interdit sans le transgresser. Florent-Claude considère les vidéos répréhensibles ! Tu m’étonnes ! Doxique, je vous dis !

Subséquemment, pour la prochaine étape, c’est quoi la recette ? Un soupçon de nécrophilie ?  Un zest d’acrotomophilie ? Une touche de coprophagie gastronomique ou mieux d’émétophilie ? Un narrateur alektotophile ? Il reste encore pas mal de paraphilies à saupoudrer pour relever la sauce !

Mais putain, Michel, réveille-toi ! Rembouche ton dentier ! Émerge de ton houellebecquisme ! Écris un truc qui développe autre chose que des chiffres de vente ! Qu’il ne puisse plus baiser ou se masturber… Pfffuuit ! Mais je m’en fous de sa bite, de cette resucée que tu nous ressers sans discontinuer ! Ce que je veux, c’est un livre qui prenne aux tripes. Un livre qui enrage, qui transporte. Un livre qui transmette l’envie de vouloir comprendre. Écoute, Michel. Je refuse de titrer mon prochain opus La Débâcle houellebecquienne ! Compris ? Alors, au boulot !

 

[1] « Notons que c’était déjà le même tour de passe magique dans Soumission (2015) : la drôle de construction romanesque d’alors arrivait à nous faire croire que quelques millions de musulmans en France, une minorité donc, était en mesure d’accéder à la toute-puissance politique. Une religion minoritaire, sous la plume de « MH », cela devient une religion d’État. Dans Sérotonine, c’est la même chose : une minorité de femmes devient une armada d’araignées venimeuses qu’il faut écraser à tous prix. Voilà comment on fait de la littérature à partir des fantasmes d’une époque, ou plutôt à partir des fantasmes d’une catégorie de population majoritaire qui ne supporte pas de partager un morceau de couverture symbolique avec celles et ceux qui ont envie d’autre chose qu’un regard sexuel modulé en regards sexistes. » Arthémise Johnson, « De la littérature du Phallus dans Sérotonine de Michel Houellebecq », Diacritik, 8 janvier 2019. Cf. aussi Johan Faerber, Diacritik, 8 janvier 2019.

[2] Celle-là est facile et usée, je sais.

[3] Cf. Arthémise Johnson, art. cit.


Houellebecq : celui qui ne sait ni écrire ni vivre
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