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Chérir son impuissance avec Drieu La Rochelle

Chérir son impuissance avec Drieu La Rochelle

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Les amateurs de culture sont assommants ! Cette frénésie de spectacles et d’expositions me rend mal à l’aise. Il y a quelque chose d’anormal à ingérer autant de billets et de tickets. Faire la queue pour pénétrer dans une salle obscure, c’est toujours faire la queue. Le caddie domine décidément tout. Il faut le remplir. Si seulement, on pouvait rendre tout silencieux et vide pendant quelques instants, on s’apercevrait avec ironie que rien ne nous manque. Remettre un brin de distance et d’indifférence dans les choses nous ferait du bien. D’un côté, il y les boulimiques du bip. Tout bipe. On fait une marche arrière, cela bipe. On frôle une voiture, cela bipe. Les restaurants, les gares, les hôtels bipent nuit et jour à rendre fou un coléoptère. Les téléphones bipent, sonnent, rôdent dans les absides du bruit. De l’autre, bips dans la poche, les professionnels de l’exposition immanquable bruissent de découvertes en extases. Les neurones grillent. Cela sent la saucisse.

Il y a ce fameux photographe que personne ne connaissait ! Et ce peintre dada dont on plante au mur les nanars picturaux qu’il n’aurait pas osés montrer de son vivant ! J’aspire à la cellule monacale ! Une prière et au lit, pouce dans la bouche, loin des doudous « culturels ». Néanmoins, me voici à relire Drieu : le feu follet et l’homme couvert de femmes ! Drieu est le seigneur du détachement. Il ne regarde pas les femmes, il les dissèque avec le scalpel d’argent. Il ne contemple pas un genou, il anticipe sa dégénérescence graisseuse ou squelettique. Il ne voit pas les hommes. Il n’en divulgue que la sombre nostalgie de rien et de pas-grand-chose. Pour un homme qui a tant parlé du suicide et qui s’est suicidé lui-même, son sujet favori est le déclin des êtres et des choses. Chez lui, tout décline : la mort elle-même est moins dramatique. La mort est préférable au déclin. Chez lui, il n’y a pas de queue à faire, ni de caddie à pousser. Il est seul. Il comprend qu’il seul. Il n’aime pas être seul. Pourtant, il n’épouse aucune forme de tristesse. Il scrute le monde comme s’il n’en venait pas. Ses yeux sont deux soucoupes volantes qu’aucun illuminé n’a vues atterrir dans son jardin. Drieu est impuissant. Il regarde le monde comme certains explorateurs chinois du moyen Âge qui accostaient sur des côtes inexplorées et se disaient : il n’y a rien d’intéressant ici. Drieu n’est pas un occidental au fond. Il nous invite à chérir notre propre impuissance, qu’aucun spectacle ne pourra enlaidir, pour nous rendre meilleurs. Je me souviens d’une anecdote littéraire, eh oui, j’y viens aussi, j’ingère à mon tour. Aragon et Drieu sont dans un bordel dans les années 1920. Drieu sort, en hurlant, de sa chambre avec une prostituée empalée sur son sexe et accrochée à son cou. Il hurle : « Louis, Louis, je suis impuissant ». Peut-on ajouter quelque chose à ce sourire en coin ?


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