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Gainsbourg aux enchères

Gainsbourg aux enchères

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Jeudi 31 octobre se tenait à Nantes une vente aux enchères d’objets ayant appartenu à Serge Gainsbourg. L’information avait été relayée par la presse depuis plusieurs semaines et, un quart d'heure avant l'ouverture de la vente, une trentaine de personnes attendait déjà devant la porte de l’hôtel des ventes. Certains n’ont pas hésité à parcourir de nombreux kilomètres pour vivre l’événement. Ils viennent des Deux-Sèvres, parfois des Vosges… On discute de l’idole et, liste de vente à la main, on rêve de l’objet qu’on pourrait emporter. Près de là, des journalistes, manifestement fans de Gainsbourg également, préparent fébrilement leurs micros et caméras.

Les portes s’ouvrent enfin, alors qu'une bruine toute bretonne faisait son apparition ; chacun se précipite à l’intérieur. La salle, habituellement encombrée de meubles, a indubitablement été rangée et préparée pour cette vente exceptionnelle et de nombreux sièges y ont été disposés. Des places sont réservées pour la presse et pour les acheteurs qui se sont fait connaître. Les quelques curieux qui se sont déplacés pour l’événement tentent de trouver la place qui leur permettra de s’approcher au plus près du mythe. En quelques instants, la salle est remplie et nombre de personnes sont contraintes de rester debout.

Virginie Bertrand, commissaire-priseur, prend enfin la parole révélant l’origine des objets mis en vente et qui ont appartenu à un certain Fulbert, ancien majordome de Gainsbourg. Elle récapitule les conditions de la vente et commence avec le premier lot : un ensemble de trois livres estimé à 15 euro. La vente démarre doucement et les enchères sont encore très raisonnables. Parmi les quelques retardataires qui arrivent encore, l’un peine à reprendre son souffle mais n’hésite pas à lever la main sur l’enchère en cours, un ensemble de livres pour 45 euro. Il glisse bientôt à son voisin qu'il n'a été prévenu qu'au tout dernier moment de la vente et qu’il est accouru dès qu’il l’a appris. Lorsque trois 45 tours de Gainsbourg partent à 250 euro, il s’étonne et regrette amèrement de s’être débarrassé de ses vinyles à l'arrivée des CD.

Une série de livres dont « All that men know about women » d’Abdul Smith est présentée par le commissaire-priseur, qui le feuillette pour montrer quelques pages… toutes blanches, éclats de rire dans la salle. Vient ensuite un lot de deux affiches « Monsieur Gainsbourg respecte les traditions, Fête Nationale du 14 juillet 1985 » et « 140 F devant, 110 F derrière, Gainsbourg au Casino de Paris ». Virginie Bertrand lance l’enchère à 40 euro aussitôt couverte à 360 par un acheteur sur Internet. Dès lors, les acheteurs s’emballent et les enchères s’enchaînent à une vitesse impressionnante, des « oh ! » de surprise s’élèvent dans la salle. « 380, 400, 420… 1.000, 1.090, personne ne couvre l’enchère à 1.090, une fois, deux fois, trois fois, adjugé ! ». La salle s’émeut et murmure. Un couple de petits vieux commente : « ah ben, je ne les mettrais pas ». À l’énoncé du lot comprenant quatre mégots de cigarettes Gitane fumées par Gainsbourg mis à prix à 300 euro, de nouveaux rires fusent dans la salle. Ce lot ne trouve néanmoins pas d’acquéreur.

Le point d’orgue de la vente arrive enfin : une mini-cassette sur laquelle on entend Gainsbourg se livrant au processus créatif et aux arrangements de la chanson « Unkown Producer », dernière chanson achevée par l’artiste et écrite pour rendre hommage à son directeur artistique Philippe Lerichomme. Cette chanson n’a été chantée qu’une seule fois, par Jane Birkin accompagnée au piano par Serge Gainsbourg dans l’émission « Tous à la une » le 12 octobre 1990. Le commissaire-priseur annonce que la cassette va être lue avant sa mise aux enchères. Le silence se fait dans la salle, quelques notes s’égrènent lentement mais la mauvaise qualité de l’enregistrement empêche de percevoir distinctement la voix de l’artiste. Notre couple de petits vieux se fend d’un nouveau commentaire : « Il devait être tard le soir, il devait être fatigué ». L’enchère est lancée à 5.000 euro mais aucun acquéreur ne se manifeste, le commissaire-priseur semble étonné et déçu du manque d’intérêt pour ce lot unique. L’enchère pour un agenda Hermès du deuxième semestre 1985 est lancée à 5.000 euro également, y figurent des annotations du chanteur notamment « Charlotte couche chez Jane », « Écrire scénar no comment version 45 », « cadeau Thomas », « dîner chez Dutronc », « stopper l’alcool ». À l’énoncé de cette dernière annotation, la salle part dans un grand éclat de rires.


Se succèdent ensuite un certain nombre de lots hétéroclites dont une bouteille de champagne dédicacée par Serge, une liste de courses à destination d’Élisa, un télégramme destiné à Jane Birkin, un portrait d’enfance. On arrive ensuite à un bracelet en or blanc serti de cinq saphirs porté par l’artiste à la fin de sa vie. L’enchère démarre à 150 euro et passe instantanément à 1.200 pour atteindre très rapidement 1.900 euro. L’heureux acquéreur prend immédiatement possession de son lot et l’accroche triomphalement à son poignet. À la fois ému, fier et comblé, une larme perle au coin de son œil ; les journalistes présents se précipitent à l'instant vers lui pour recueillir quelques propos teintés d'une forte émotion.

Vers 17 heures, la vente s’achève avec un vinyle de la bande originale du film « L’eau à la bouche » ayant appartenu à Gainsbourg. Les personnes venues en curieux quittent rapidement la salle, tandis que les acquéreurs quittent leurs sièges, comme à regret, pour se diriger vers l’estrade du commissaire-priseur et régler leurs achats. Le rêve et la communion avec l’artiste s’évanouissent brutalement et le retour sur terre paraît pénible pour certains. Les journalistes s’affairent autour d’eux, tentant d’obtenir quelques minutes d’interview ; certains s’y prêtent de bonne grâce, prolongeant ainsi ces instants d’exception. Tous sont ravis d’avoir pu emporter un lot, même minime, qui les relie à leur idole autour de laquelle tourne toute leur vie.

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