Décès du père Dujardin
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Une des plus importantes pages du renouveau de la relation judéo-chrétienne vient de se tourner. Le père Jean Dujardin est mort le 3 mars dernier à l'âge de 81 ans.
Né en 1936, entré en 1955 dans l'ordre enseignant des oratoriens, le père Dujardin est ordonné prêtre en juin 1962. Il enseigne l'histoire à l'École Saint-Martin de France dont il a été le directeur. Supérieur général de l'Oratoire de France, il devient secrétaire du Comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme en 1987, poste qu'il occupera jusqu'en 1999.
De sa rencontre avec le père Pierre Dabosville, un des piliers du dialogue judéo-chrétien instauré par le concile Vatican II, naît l'engagement du père Dujardin en faveur du dialogue judéo-chrétien. Membre de l'Amitié Judéo-Chrétienne de France, il prend position lors de diverses polémiques qui émaillent le parcours de « réconciliation » judéo-chrétienne sous le pape Jean-Paul II. Sa grande connaissance de l'Histoire et la justesse de sa vison du monde l'amènent à maintes reprises à prendre position.
On se souvient de son implication dans l'affaire Paul Touvier, chef de la Milice de Lyon qui avait longtemps échappé à la justice avant d'être finalement arrêté en 1989 dans un prieuré de Nice, ou encore lors de l'affaire dite du « Carmel d'Auschwitz », affaire qui s'était déroulée au cours des années 1980/1990 et avait provoqué une crise grave dans les relations entre Juifs et Chrétiens. L'installation de quelques carmélites dans un bâtiment dans l'enceinte du camp d'extermination d'Auschwitz avait alors soulevé des réactions de protestation de la part de personnalités juives mais aussi catholiques. L'affaire avait duré près de dix ans et s'était soldée par le départs des carmélites.
Le Père Dujardin frappe particulièrement les esprits en 1992, lorsqu'il intervient pour suspendre la béatification de la reine espagnole Isabelle la Catholique. En 1492, celle-ci décidait de l'expulsion des Juifs d'Espagne, événement majeur de l'histoire juive qui mit un terme à une présence de près d'un millénaire et d'un âge d'or de la littérature juive.
Tout au long de son parcours, le père Dujardin a tissé des liens indéfectibles auprès de la communauté juive, comme en témoigne l'hommage rendu lors de la cérémonie religieuse de ses obsèques en l'église Saint Eustache à Paris, le 8 mars 2018 par M. Franklin Rausky, Doyen de l'Institut Universitaire Elie Wiesel :
« Mon cher Jean,
Une voix juive dans cette enceinte a quelque chose d'exceptionnel. Mais comment faire autrement ? Nous, croyants juifs engagés dans le dialogue avec nos frères chrétiens ne pouvons pas garder le silence au moment de ton départ pour Eretz ahaim, la terre de la vraie vie éternelle. […]
A nous de rappeler avec beaucoup d'émotion l'intelligence, la sensibilité, le courage, la lucidité, la sérénité et l'érudition, des qualités d'esprit dont tu as témoignées dans la longue marche du dialogue entre les enfants de l'église et les enfants de la synagogue. Tu as su vivre le dialogue et non seulement penser le dialogue. Pour toi, la rencontre avec les croyants juifs a toujours été un moment de reconnaissance de l'autre comme autre dans son altérité radicale et irréductible.
Nous vivons dans une civilisation planétaire en proie à un retour violent, mortifère, haineux, fanatique du religieux. Dans l'essor d'un terrorisme comme passion de la destruction de l'autre, de l'extirpation des différences. Mais face à ce tableau cruel, nous avons eu avec toi le privilège d'imaginer une société où le dialogue n'est pas un échange de propos courtois et convenus mais une réflexion commune autour de l'essentiel. Le dialogue que Juifs et Chrétiens, en France et en Europe, ont réussi à bâtir peut servir de paradigme au futur dialogue entre toutes les croyances, entre toutes les familles spirituelles, philosophiques et religieuses du monde contemporain. Avec toi, avec ta parole de conviction et sérénité, nous avons trouvé l'homme de dialogue qui nous a marqué par son courage et sa détermination.
Pour tout ce que tu as fait au cours de tellement d'années, pour la rencontre et la réconciliation des enfants d'Abraham, longtemps enfermés dans une conflictualité interminable, pour tout ce que tu as dit, pour détruire des murs infranchissables et pour bâtir de solides passerelles entre les hommes et les communautés, nous croyants juifs, engagés dans un dialogue constructif et sincère avec les croyants chrétiens, te disons très simplement et très profondément : Merci.
Que le souvenir des Justes soit pour l'éternité une source de bénédictions. »
Quel plus bel hommage pourrions-nous lui rendre ?